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Derrière la mue de la social-démocratie en social-libéralisme, l'émergence d'une idéologie qui ne dit ni son nom, ni son fond
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Parti de la raison

Emmanuel Macron est en train de dévoiler son "programme" pour la France. L'étiquette de social-démocrate ou de social-libéral dont il se targue est relativement révélatrice et s'éloigne du mode de gestion raisonnable qu'il prétend être.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le projet dévoilé ce jeudi 2 mars par Emmanuel Macron est le plus souvent décrit comme étant "social-libéral" ou "social-démocrate", représentatif d'une "3e voie" incarnée politiquement par Gerhard Schroder ou Tony Blair. Pourtant, au fil des années, cette orientation politique a également pu se confondre avec le traitement du cas grec, la financiarisation de l'économie, les politiques de dévaluation interne par la baisse des salaires, la volonté de l'Allemagne d'intégrer un grand nombre de migrants afin de satisfaire aux besoins d'une main d'oeuvre à bas coût (entre autres raisons..), en quoi ces politiques se démarquent elles de l'idée même de social-démocratie dont elles se revendiquent ? Cette présentation n'est elle pas le masque d'une autre idéologie ?

Christophe BouillaudLe terme de social-démocratie a pris bien depuis la fin du XIXème siècle bien des sens. Pour répondre à votre question, il faut arbitrairement fixer le sens de ce terme à une époque donnée, celle des années 1940-1970.  La social-démocratie, c’est en ce sens d’abord le choix d’une stratégie pour le mouvement ouvrier qui consiste à refuser l’usage de la violence, que ce soit d’une élite d’avant-garde (blanquisme, léninisme) ou des masses (conseillisme, luxemburgisme), pour faire avancer ses revendications. C’est bien sûr la fracture entre réformisme et révolution, mais c’est surtout le choix de la compétition électorale dans un cadre démocratique et pluraliste. Par ailleurs, les partis socio-démocrates dans leur phase de plus grande puissance politique, entre 1945 et 1970, articulent tous leur action avec un vaste mouvement syndical. Tout en restant dans le cadre du capitalisme, il s’agit de le subvertir de l’intérieur en en modifiant des paramètres essentiels à l’avantage de la classe ouvrière, et plus généralement à celui de tous les salariés d’un pays. Il faut gagner des « acquis sociaux » et pas « le paradis sur terre ». 

C’est le fameux « compromis social-démocrate » entre capital et travail pendant les « Trente Glorieuses » que décrivent tous les manuels d’histoire. Cela n’a déjà pas grand-chose à voir avec la « 3ème Voie » des Blair et Schröder : en effet, ces deux personnalités des années 1990-2000 symbolisent par leur parcours la rupture entre les syndicats ouvriers et leur parti respectif. Les syndicats, sciemment marginalisés, restent au mieux un acteur parmi d’autre de la gauche social-démocrate dans une constellation de forces plus large. Surtout, ces deux personnalités acceptent tous les deux de rompre de fait avec l’universalisme de la social-démocratie. C’est particulièrement net en Allemagne où le chancelier Schröder acte à travers les lois Hartz l’éclatement du marché du travail en deux segments : un segment protégé, bien payé et syndicalisé, et un autre livré à la loi du marché. C’est l’abandon total de la promesse social-démocrate d’universaliser les conquêtes de la classe ouvrière la plus mobilisée à tout le salariat. Les années 2010 ont vu une radicalisation de cette attitude de la part des héritiers des partis socialistes et socio-démocrates : face à la crise, pour lutter contre le chômage, ils ont tout accepté ou presque en matière de recul des droits sociaux, en acceptant l’idée néo-libérale simpliste que, si le coût du travail s’écroule pour les chômeurs qui restent à placer, il y aura mécaniquement une baisse drastique du chômage.

Comme le montrent le cas allemand ou le cas britannique,  cela s’avère vrai dans une large mesure, sauf que cela revient à créer un vaste secteur de travailleurs tellement mal payés au final que leur seul travail ne les fait plus vivre. On en arrivera à ce paradoxe que ce seront les Conservateurs britanniques revenus au pouvoir après 2010 qui ont augmenté le salaire minimum au Royaume-Uni pour que l’Etat ne soit pas submergé par les demandes d’aide sociale. Certes, les statistiques du chômage semblent témoigner de la réussite sociale de ces gauches rénovées, mais les statistiques de la pauvreté laborieuse, voire de la misère, dénoncent la perte totale de sens du terme « social-démocratie » dans les dernières années. Du coup, effectivement, les politiciens socio-démocrates ou socialistes ressemblent furieusement à des néo-libéraux qui ne s’assument pas complètement comme tels : leur vision du marché du travail est basique et semble avoir tout oublié des revendications ouvrières classiques, pour ne pas parler des revendications féministes. En effet, l’un des aspects de cette involution, c’est aussi le fait que la pauvreté laborieuse qu’on encourage ainsi pour lutter contre le chômage est très largement féminine. 

En quoi cette "idéologie" reprend-t-elle les termes de ce qui a été défini par la notion de pensée unique ? Comment expliquer cette persévérance à vouloir mettre en place des politiques pourtant largement remises en causes, notamment sur les questions économiques ? En quoi est il possible de qualifier la social démocratie d'idéologie, de par son incapacité à se remettre en cause ?

Le terme de « pensée unique » est hautement polémique, mais on peut simplement y voir la pensée économique néo-libérale ou ordo-libérale, très largement dominante parmi les décideurs politiques occidentaux depuis le milieu des années 1970. Elle  se trouve reprise par les dirigeants actuels des partis socialistes ou socio-démocrates – dont par exemple le Président F. Hollande. Une des raisons de la persistance de cette pensée, c’est qu’elle permet facilement d’ouvrir le dialogue au niveau européen et plus généralement international. Quoiqu’appuyée sur des écrits savants produits par dizaines de milliers par des économistes universitaires, elle est par ailleurs facile à expliquer en quelques phrases. Ce sont les recettes de politique économique qui énervaient déjà J. M. Keynes dans les années 1920-30.  La baisse du coût du travail pour créer soi-disant de l’emploi ou le budget de l’Etat comparé à celui d’un ménage, tout le monde peut comprendre. Elle est en plus inscrite dans tous les Traités européens récents. L’économiste Yanis Varoufakis, le ministre de l’Economie grec entre février et juin 2015, a bien expliqué comment il a énervé ses collègues de l’Eurogroupe en essayant d’argumenter en économiste hétérodoxe sa position de refus de la poursuite de l’austérité en Grèce. Ses collègues ne l’ont pas démenti sur ce point. On pourrait paraphraser  un propos bien connu de Juncker : il ne peut y avoir de réflexion économique en dehors des traités. Il a fallu tout le pragmatisme d’une Banque centrale européenne sentant venir la fin de son existence même en 2012 pour sortir de la boîte, et encore en pratique seulement, pas vraiment en théorie. Pour ce qui est des dirigeants socio-démocrates et socialistes, il faut aller voir du côté de leur formation ou de celle de leurs conseillers. Ils sont tous prisonniers des idées de années 1970-80 : F. Hollande est le meilleur d’entre eux en ce sens. Il faudra sans doute attendre un saut de génération pour avoir d’autres idées. Cela suppose cependant que les opposants à cette vision néo-libérale ou ordo-libérale arrivent à synthétiser leurs idées dans une nouvelle vision intégrée de l’économie et de la société. Nous en sommes encore loin. Il n’est que de voir les hésitations de Benoît Hamon sur sa propre idée de « revenu universel ». 

La montée populiste que l'on peut constater en Europe n'en est elle pas le meilleur allié ? La polarisation du débat entre "extrémistes" et sociaux démocrates empêche-t-elle l'émergence d'une autre approche ?

La polarisation dont vous parlez n’est pas à l’œuvre partout, et, au contraire, la montée populiste n’aide guère les socio-démocrates et socialistes. Ce sont pour l’instant eux les principales victimes politiques de la crise économique.  Il n’y aura qu’à voir pour s’en convaincre les résultats des élections néerlandaises dans quelques jours. Le PvdA  devrait en sortir moribond. Par contre, ce qui tend à s’observer, c’est la tendance des partis traditionnels de gauche comme de droite à s’allier – comme en Allemagne, en Autriche ou au Pays-Bas - ou ne pas se gêner trop – comme en Espagne ou en Italie – pour que tout continue comme avant, alors même que la montée protestataire à droite ou à gauche met en cause les anciens équilibres. Ce qui empêche la montée d’une autre approche que ce néo-libéralisme encore dominant malgré ses échecs, d’ailleurs liée à une vision européenne oublieuse des aspects sociaux de l’Union européenne, c’est qu’en s’alliant les partis traditionnels peuvent encore largement l’emporter sur la partie mobilisée contre eux de l’électorat. Si E. Macron est effectivement en capacité d’arriver à figurer au second tour de l’élection présidentielle contre M. Le Pen, on devrait avoir la démonstration française de ce constat: les électorats européens, de plus en plus âgés par ailleurs,  restent dominés par des partis incapables de réfléchir vraiment aux effets du néo-libéralisme sur les sociétés qu’ils gouvernent depuis longtemps, mais encore capables de contrer les extrémismes. 

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