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France à grande vitesse… et France assignée à résidence : investissements publics et transferts sociaux, mais qui bénéficie vraiment des milliards publics ?
©Reuters

Où va l'argent ?

François Hollande et le président de la SNCF, Guillaume Pépy, ont inauguré mardi 28 février la nouvelle ligne à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux. L'occasion de réaliser un point sur la répartition des dépenses publiques, des prestations sociales et ceux qui en profitent.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Atlantico : François Hollande et le Président de la SNCF, Guillaume Pépy, ont inauguré mardi 28 février la nouvelle ligne à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux. Réseau autoroutier, ferroviaire, accès au haut débit... Quels sont les Français qui aujourd'hui bénéficient du bon niveau d'équipement du territoire ?

Laurent Chalard :  Sans surprise, le meilleur niveau d’équipement en infrastructure permettant l’accessibilité externe concerne les grandes métropoles, qui concentrent les principaux flux de circulation. On y retrouve les aéroports internationaux, les gares desservies par les lignes TGV, un accès au très haut débit, et elles se situent toutes en position de carrefour autoroutier. Au fur-et-mesure que l’on descend dans la hiérarchie urbaine, le niveau d’équipement se réduit. Les aéroports internationaux sont rares pour les agglomérations comptant moins de 200 000 habitants, l’accès au réseau à grande vitesse pour celles de moins de 50 000 habitants et l’accès au haut débit pour les territoires ruraux éloignés des axes de communication, seul le réseau autoroutier, sauf cas particuliers, couvrant relativement bien le territoire national aujourd’hui. Cependant, cette situation n’a rien d’illogique, dans le sens qu’il est normal que les équipements en infrastructure, lourds et coûteux, soient en nombre limités et se situent, de manière privilégiée, dans les territoires les plus densément peuplés et les plus productifs, en l’occurrence les grandes métropoles. Il ne peut y avoir des aéroports ou des lignes à grande vitesse partout !

Par ailleurs, pour ce qui concerne l’accessibilité interne, la situation est moins contrastée entre les territoires, dans le sens que les réseaux routier et autoroutier dans les grandes métropoles sont souvent sous-dimensionnés par rapport aux besoins générés par les migrations journalières, d’où les nombreux embouteillages, sources de pollution, sachant que les transports en commun ne sont guère adaptés dans les zones périurbaines, peu densément peuplés, où le recours à l’automobile est obligatoire. Donc, la situation des grandes métropoles concernant les infrastructures n’est pas aussi favorable qu’il pourrait le sembler au premier abord, les temps de trajet en leur sein pouvant rallonger fortement les distances. Par exemple, l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, premier aéroport du pays, est plus facilement accessible en voiture pour les habitants du département de l’Oise, perçu comme un territoire « périphérique », que pour une large partie des franciliens !

L'idée d'une France périphérique, délaissée par les pouvoirs publics comme le décrit Christophe Guilluy pourrait-elle se retrouver également sur le plan de cet accès aux infrastructures ?

Laurent Chalard : Concernant l’accès aux infrastructures de la "France Périphérique", il n’est pas possible de généraliser, car la situation est très variable selon le type d’infrastructures.

Si l’on prend l’exemple du chemin du fer, il apparaît clairement qu’il y a eu un sous-investissement dans la "France Périphérique" depuis plusieurs décennies, dans le sens que la SNCF a tout misé sur le réseau TGV, qui, par définition, ne relie que les grandes métropoles, car, étant donné son coût prohibitif, il n’est pas rentable ailleurs. En effet, en-dehors des zones périurbaines, le réseau ferroviaire secondaire, dont le réseau Intercités, a été complètement abandonné, conduisant à une déliquescence de l’infrastructure et à une offre de services inadaptée aux besoins, rendant le train peu concurrentiel par rapport à la route. En conséquence, au fur-et-à-mesure du temps la desserte ferroviaire disparaît dans de nombreuses petites et moyennes villes.

A contrario, si l’on regarde le réseau autoroutier, en incluant les voies express à 2X2 voies non concédées, le territoire français à quelques exceptions près, dont les régions frontalières du nord-est ou les agglomérations industrielles d’Annonay et de Castres-Mazamet, se caractérise par une très bonne desserte, peu de territoires se trouvant aujourd’hui à moins de 20 minutes d’une entrée d’autoroute. On pourrait même dire que nous nous situons dans une situation de suréquipement, avec certaines autoroutes dont le trafic est ridiculement bas par rapport à leur coût de construction. Il n’est donc guère possible de critiquer l’action de l’Etat en ce domaine.

Néanmoins, concernant l’accessibilité à l’internet haut débit, indispensable aujourd’hui pour toute activité économique, le problème est certain car les territoires ruraux les plus isolés, non reliés au réseau, sont grandement défavorisés dans leur développement territorial par rapport au reste du pays. C’est donc un enjeu beaucoup plus important pour la « France Périphérique » que l’enclavement routier, qui relève, bien souvent, beaucoup plus de la perception que de la réalité. L’Etat se doit consécutivement de faire tout son possible pour résorber cette fracture numérique.

Au niveau interne aux grandes métropoles, la question de l’accessibilité se pose aussi concernant les quartiers populaires, qui sont souvent présentés comme enclavés, étant considérés comme mal reliés aux centres des grandes agglomérations. Cependant, dans les faits, la situation apparaît très contrastée selon les quartiers. Par exemple, la commune de Bobigny, qui a très récemment défrayée la chronique, bénéficie d’une excellente desserte en métro vers le cœur de la capitale ! Par ailleurs, beaucoup de ces quartiers ont vu (et vont continuer de voir) leur accessibilité s’améliorer, étant donné les nombreux projets d’infrastructures qui ont été menés ces quinze dernières années, que ce soit les projets de tramway dans les grandes métropoles de Province ou le métro du Grand Paris Express en banlieue parisienne. Sauf exceptions (par exemple, les quartiers « nord » de Marseille restent mal reliés au reste de la cité phocéenne), on ne peut objectivement considérer que ces territoires sont délaissés sur le plan des infrastructures, le problème relevant beaucoup plus de la piètre qualité des services publics, de l’absence d’une politique de gestion des flux migratoires et de la perte d’autorité de l’Etat.

En définitive, la « France Périphérique » n’est pas aussi dépourvue d’infrastructures que l’on pourrait le penser en rapport à sa densité de population, relativement faible à l’échelle de l’Europe occidentale. Les problèmes que ces territoires connaissent relèvent plus de leur spécialisation économique, du vieillissement de leur population et du désengagement de l’Etat des zones peu densément peuplés concernant les services publics.

En 2014, le montant des prestations sociales s'élevait à 557 milliards d'euros soit 26% du PIB. A quelle population les prestations sociales bénéficient-elles vraiment ?

Pierre-François Gouiffès : La statistique publique distingue dans sa présentation des dépenses publiques une approche par nature avec notamment les prestations sociales et le montant que vous citez, mais également une approche suivant la finalité de la dépense publique. Dans ce cas, il faut additionner les 175mds€ de dépenses de santé et les 529mds€ de dépenses de protection sociale pour un total de 704mds€ représentant 34% du PIB. Il faut également tenir compte du fait que la France se caractérise par des systèmes collectifs obligatoires collectifs pour toutes les dépenses sociales alors que le financement de deux fonctions – la santé et la retraite – est largement pris en charge par les entreprises dans d’autres pays et notamment les USA et la Grande-Bretagne.

La France détient le record du monde des dépenses sociales et Julien Damon avait malicieusement calculé il y a quelques années que la France avec environ 3% du PIB mondial représentait à elle toute seule 15% des dépenses sociales mondiales. En outre ces dépenses progressent toujours beaucoup plus vite que le PIB : en 5 ans (2010-2014) elles sont passée de moins de 25% à plus de 26% du PIB. C’est le principal problème de finances publiques, et on peut considérer que la dépense sociale exercice un double effet d’éviction, à la fois sur la dépense publique régalienne qui baisse tendanciellement mais également sur l’économie productive marchande.

Si l’on regarde la protection sociale par fonction en les classant de la plus élevée à la plus faible, la principale dépense et de loin est constituée par les 292mds€ des retraite (+34mds€ pour les pensions de réversion), puis les 61mds€ liés à la santé, les 54mds€ des dépenses liées à la famille, les 42mds€ liées aux allocations chômage et les 40mds enfin du triptyque pauvreté-aide sociale-logement.

Si l'on devait dresser un portrait des personnes en France qui bénéficient le plus de ses prestations sociales, à quoi ressemblerait-il ?

Pierre-François Gouiffès : Les politiques sociales sont sectorisées. Donc les principaux bénéficiaires peuvent être classés de la façon suivante. Il y a d’abord les personnes âgées qui bénéficient du système des retraites et représentent un cout majeur pour le système de santé puisqu’une partie massive des dépenses sanitaires sont localisées vers les dernières années voire les derniers mois de la vie.

Il y a ensuite les enfants et les familles puisque beaucoup de dépenses sanitaires ont lieu au début de la vie. Concernant les familles, notons que cette dépense est la principale zone d’économie retenue depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir avec notamment la fin du caractère universel des allocations familiales et leur mise sous condition de ressource. Passons ensuite aux personnes principalement d’âge actif bénéficiant de revenus de substitution : les demandeurs d’emploi, les locataires (25 centimes d’un euro de loyer est financé par la puissance publique via l’APL ou d’autres dispositifs), les bénéficiaires de minimas sociaux, enfin l’impressionnante liste de dispositifs publics spécifiques (APE, CMU…) Rappelons enfin que le système social français mixe une logique assurantielle et une logique de solidarité et donc qu’il « attrape » des personnes faisant face à des accidents de la vie.

Au final, tout le monde bénéficie un peu du système et les prestations sociales constituent désormais une part majeure du revenu des ménages, ce qui rend politiquement très difficile des réformes pourtant indispensables si l’on veut rétablir les comptes publics.

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