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Qui des mécanismes de résistance de "l'Etat profond" ou des populismes modernes remportera le bras de fer ?
©AFP

Démocratie souterraine

Un des plus grand combat que devra mener Donald Trump ne se jouera pas à l'extérieur des Etats-Unis mais bien au sein même du pays. Pour gouverner, le Président Trump devra mettre au pas le "gouvernement profond". Pas une mince affaire et dans le cas où des populistes arriveraient à la tête de la France, rien ne dit que la tâche sera plus aisée.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Participant à la Conservative Political Action Conference le 23 février dernier, Stephen Bannon a livré un rare aperçu de sa vision du monde et des objectifs de Donald Trump. Trois chapitres se détachent : la sécurité intérieure et la souveraineté, le nationalisme économique, et la déconstruction de l'Etat administratif. Si les deux premiers ont déjà beaucoup été commentés, qu'entend le conseiller de Donald Trump par déconstruire l'Etat administratif concrètement ?

Jean-Eric Branaa : L’intervention de Steve Bannon devant le CPAC a, en effet, été particulièrement significative car le conseiller de la Maison-Blanche a révélé les intentions profondes de Donald Trump : la déconstruction de l’Etat administratif tient donc une grande place dans les objectifs principaux et prioritaires, d’après celui qui est le Mikhail Suslov de cette administration (Suslov était le principal idéologue du Politburo soviétique jusqu'à sa mort en 1982). L'Etat administratif est un terme générique pour une bureaucratie permanente. En réalité, il faut comprendre par là une bureaucratie qui s’est exonérée de ses amarres constitutionnelles et qui s’autorégule, échappant donc à tout contrôle démocratique. Car la plupart des lois du pays sont maintenant créées de façon quasi-automatique, écrites par des chefs de bureau non élus dans les entrailles du gouvernement, d’après Steve Bannon. Autrement dit, en cherchant un peu, il nous a dit qu’on met assez rapidement à jour un magma législatif ou pseudo-législatif, composé de tout ce qui a trait aux impôts, aux règlements et aux pactes commerciaux, un ensemble qui crée de la régulation et entrave la croissance économique. Or, le pire, d’après Bannon, est que tout cela violerait la souveraineté des Etats-Unis, car ce serait le résultat direct de la cession par le Congrès de ses pouvoirs au pouvoir exécutif pendant plusieurs décennies. Il y a donc urgence de rendre ses prérogatives au Congrès et de faire passer toutes ses pseudos-lois par le contrôle et le vote des représentants du peuple, ne laissant à l’administration que le rôle plus limité qu’elle doit avoir : la stricte application des lois votées à Capitol Hill.

A quelles oppositions de la part du "gouvernement profond" Bannon et plus largement l'administration Trump pourraient-ils être confrontés pour "déconstruire" l'Etat administratif, tant au niveau fédéral que local ?

Jean-Eric Branaa : Le viol démocratique serait déjà très ancien et ce serait donc installé dans tous les rouages du pouvoir. En réaction, toujours d’après le puissant conseiller, le nouveau président des Etats-Unis aurait nommé tous les membres du gouvernement avec cet objectif commun : la « déconstruction de l'Etat administratif ». Plusieurs think-tank américains voit dans cet objectif « un chant du rossignol », ce qui est une métaphore anglo-saxonne très courante pour signifier que personne ne peut s'approprier un talent qu'il ne possède pas et que ce sera une œuvre quasi-impossible à réaliser. Ils mettent alors en avant l’exemple de la bataille menée par le président contre la CIA ou le FBI et dont il n’est pas forcément sorti victorieux. Mais, en réalité, là-encore, il s’agit d’un leurre car l’Etat profond se situe à un autre niveau et les batailles à venir seront nombreuses et sur plusieurs fronts, à savoir la FDA, l'OSHA, la FCC, l'EPA et d'innombrables autres agences, qui créent une nébuleuse de régulations nombreuses et denses auxquelles sont effectivement confrontées les entreprises, tout comme le public de façon plus générale.

C’est pourquoi Donald Trump a voulu montrer sa détermination et est allé très vite : dès vendredi, il a signé un nouveau décret visant à simplifier les règles administratives. Le décret, signé dans le bureau ovale en présence de plusieurs chefs d'entreprises, ordonne à chaque agence fédérale de désigner un groupe de travail chargé de passer en revue les réglementations en vigueur et de déterminer celles qui nuisent à l'économie américaine. Chaque groupe de travail a aussi reçu mandat pour présenter des recommandations en vue de simplifier ou de supprimer ces règles. « La régulation excessive tue l’emploi et conduit plus que jamais les entreprises à quitter notre pays »,  a expliqué le président de Etats-Unis. "Chaque régulation devra être soumise à un simple test: rend-elle la vie meilleure ou plus sûre pour les salariés et pour les consommateurs américains ?" Il a ajouté que les Etats-Unis pouvaient se passer de « 75% de ces horribles règles redondantes qui font mal aux entreprises, qui font mal à l'emploi ».

L’objectif de Bannon ou de Trump est effectivement de démanteler l'Etat administratif et de renvoyer le travail de l’élaboration de la loi au Congrès et l’interprétation de celle-ci devant les tribunaux. L’objectif est louable, mais il reste surprenant : car, il est curieux que l’exécutif s’empare de cette tâche alors qu’elle devrait revenir à la branche législative et, surtout, rester sous son contrôle. La majeure partie de ce travail doit être faite par le Congrès, et non par la présidence. Car la définition et l’étendue même de ce démantèlement ne doivent pas échapper à ceux qui sont chargé de l’élaboration de la loi. Steve Bannon ne s’est pas étendu sur cette question. Si son diagnostic est bon, la réponse est donc plus discutable.

Si des populistes arrivaient au pouvoir en France, que pourrait faire le gouvernement profond national pour s'opposer à ces derniers ? 

Eric Verhaeghe : Les leviers du gouvernement profond sont de plusieurs ordres. Le levier "premier" est celui de la crédibilité, ou plutôt du discrédit dans les medias subventionnés. N'oublions jamais que ces medias qui s'imaginent libres sont dépendants de l'Etat qui les subventionne et des annonceurs qui les font vivre. Cette situation de dépendance ne crée par une obéissance au sens où la Pravda allait chercher ses contenus dans un ministère de la propagande. Le fonctionnement de la dépendance est plus subtile. Il repose sur des "clins d'oeil", des coups de téléphone bien placés appelant à la modération ou au dénigrement selon les cas. Modérez votre enthousiasme si vous en avez, et lâchez la bride à vos ressentiments lorsqu'il le faut, pour discréditer l'action du gouvernement. Ce genre de processus est connu de tous les journalistes. Cela passe par exemple par le choix de la Une, qui peut être assassin, avec un titre de derrière les fagots qui va faire mouche et orienter la lecture. 

Mais des moyens plus directs peuvent être employés. Au premier plan, l'action de l'administration peut être marquée par un zèle bien senti. Les hauts fonctionnaires font alors tacitement tout pour biaiser l'action du gouvernement. Soit qu'ils la ralentissent en prenant trop de temps pour instruire les dossiers, soit qu'ils l'empêchent en prétextant des obstacles juridiques ou techniques là où il n'y en a pas vraiment. Soit qu'ils cachent une partie des informations au ministre. Dans tous ces cas de figure, pour reprendre l'hypothèse Front National, il est assez curieux de voir Marine Le Pen pencher pour des solutions très étatistes. L'appareil d'Etat ne lui est pas acquis et, sauf à pratiquer de violentes purges (Mitterrand avait choisi la retraite à 60 ans pour cela en 1981), elle aura beaucoup pas à le domestiquer pour qu'il applique sa politique. 

Enfin, rien n'exclut que des réseaux se mettent en place pour contrecarrer l'action d'un gouvernement qui entre en conflit frontal avec le gouvernement profond. On a connu cela en Italie, par exemple, avec le réseau Gladio. C'est un exemple parmi d'autres de ce qui peut arriver lorsque le pouvoir exécutif est en rupture avec les intérêts majeurs du gouvernement profond. 

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