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Commandes SNCF à Alstom : mais que fait vraiment gagner à la France le colbertisme moderne ?
©Reuters

Dépôt de bilan

Ce lundi 27 février, l'Etat signera une convention avec la SNCF en vue de commander une trentaine de trains intercités à Alstom. Loin d'être le signe d'une gestion efficace de l'économie via un interventionisme étatique, elle a surtout vocation à cacher sous le tapis un bilan difficile à assumer.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Ce lundi 27 février aura lieu la signature d'une convention entre l'État et la SNCF en vue de commander 30 trains Intercités à Alstom. Quel bilan du colbertisme moderne, c'est-à-dire de la volonté pour l'Etat de diriger certains secteurs considérés comme stratégiques pour la puissance de la France peut-on faire aujourd'hui ?

Jean-Yves Archer : Certains dossiers ont le privilège de rester dans le domaine technique. Hélas pour le contribuable français, les différents dossiers clefs de la SNCF sont pollués par des considérations politiques. Du fait du risque électoral de la fermeture de l'usine de Belfort, l'Etat s'est à nouveau plongé dans les arcanes du dossier Alstom. Il en ressort que les rames de TGV qui devaient être commandées (et donc payées) par l'Etat pour une mise en circulation sur des voies ordinaires (liaison du type Bordeaux-Marseille) seront finalement à la charge directe de la SNCF. Celle-ci avait-elle besoin de cette modernisation ? Evidemment, à deux mois des présidentielles, tout le monde affirme que " oui ", la main sur le cœur. S'agissant de la commande des 30 rames Intercités, elle s'inscrit dans le nécessaire car les anciens Corail sont " à bout de souffle " pour reprendre le mot du Secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies. Il est logique qu'un réseau comme celui de la SNCF ne soit pas placé sous l'égide du tout TGV. Mais – car à la SNCF il y a trop souvent un mais – il faut garder en mémoire que le déficit des Intercités s'élève à plus de 300 millions d'euros. Pour être exact, 400 millions d'euros en 2015 juste avant la réorganisation des trains de nuit et la suppression de plusieurs circulations. La SNCF est un bastion qui, au sein des grandes entreprises publiques, a ses règles et ses codes. Ainsi, il a fallu plusieurs observations des commissaires aux comptes pour que le groupe accède aux demandes de dépréciations comptables directement reliées à la vétusté du réseau ou de certains matériels. Pour un total de 12 milliards d'euros… Evidemment ceci n'améliore guère la qualité du bilan où figure une dette totale de 46 milliards dont une large part est issue, année après année, du coût des régimes spéciaux de retraites.

Le colbertisme moderne est surtout le marqueur incontestable d'un management peu économe à l'inverse de ce que Jean-Paul Bailly avait réussi à la RATP. L'exemple de la scission SNCF par création de RFF est là pour nous rappeler que cette idée " géniale " n'aura eu aucune portée financière comme le démontre la lecture des rapports des agences de notation.On nous dit que bien des charges sont tenues au cordeau alors que sur le terrain, il y a bien des incohérences. Voir la rentabilité très incertaine de la deuxième gare TGV de Montpellier. En tant qu'actionnaire de référence de la SNCF, l'Etat a parfois été cupide par ses demandes de dividendes tandis que sa politique industrielle est restée trop longtemps hexagonale.Nous avons su, dans le temps, créer Airbus. Nous n'avons pas su construire une alliance entre Siemens et Alstom qui aurait été pertinente dans le secteur ferroviaire mais surtout optimale dans le secteur de l'énergie. Au lieu de cela, Alstom n'est plus un groupe doté de capacités contra-cycliques (principe du conglomérat) et se retrouve dans une situation plus exposée.

Loïk Le Floch-Pringent : L’Etat n’est ni un bon actionnaire, ni un bon stratège industriel. Les entreprises dépendant de l’Etat ne peuvent s’ en sortir qu’avec un Président de la République croyant au long terme qui donne carte blanche à un dirigeant charismatique qui ne dépend que de lui et qui fait taire toute la bureaucratie. Les grands programmes réussis dont on a coutume de se louer ont toujours eu cette caractéristique, cela a donné le nucléaire français, l’aéronautique, le spatial, le ferroviaire, le pétrole, le gaz, l’électricité… dans une autre époque. Désormais les Présidents de la République n’ont pas le même tempérament, et les hommes qu’ils désignent à la tête des entreprises non plus, les bureaucraties étudient, discutent, condamnent, il est devenu très difficile d’envisager une action vigoureuse de l’Etat donnant un blanc-seing sur une période longue à un entrepreneur à grande autonomie. Les temps ont changé, Louis XIV et Colbert ne sont plus ! La question de savoir comment l’Etat peut maintenir des secteurs stratégiques se pose, et 2016 nous a montré que plusieurs filières ont connu des désastres majeurs difficilement réparables.

Ma réponse est claire, dans les filières indispensables à notre avenir, il faut des industriels compétents et talentueux que l’on laisse travailler, et si les capitaux nécessaires ne sont pas mobilisables sur le marché, il faut que l’Etat, provisoirement, intervienne en capital pour effectuer la restructuration. C’est ce que j’ai préconisé pour « sauver Alstom » de la vente à General Electric, c’est ce que je conseille pour les « Chantiers de l’Atlantique » , c’est ce que je vois pour restructurer la filière nucléaire…Les marchés veulent une rentabilité forte et assurée, un rémunération du risque très élevée, pour assurer le développement stratégique national il faut le relais de l’Etat, mais il faut trouver des hommes et des femmes compétents et les protéger des bureaucrates. Ces dernières années ce n’était pas envisageable ! Qu’en sera-t-il demain ?

Comment gérer au mieux le bien commun ? j’ai tendance à considérer, comme vous avez évoqué la SNCF, que cette compagnie que j’ai dirigée est un bien commun avec des gens compétents qui méritent de ne pas être sous la coupe permanente des bureaucrates.

Au regard des dossiers de ce type dans lesquels l'Etat est directement intervenu, quels exemples montrent que ce colbertisme moderne s'avère efficace ?

Jean-Yves Archer : L'entrée au capital de la Bpi a certainement évité bien des déboires à Vallourec qui encaisse mal le fort ralentissement des investissements du secteur pétrolier et a encore un dur chemin avant de restaurer pleinement sa rentabilité. Le dossier Air France semble, lui aussi, mieux engagéParmi les participations de l'Etat, citons également le dynamisme commercial retrouvé de sociétés comme DCNS : contrat australien de sous-marins. Bilan probablement plus mitigé quant aux modalités et aux prix de cession des aéroports de Province (exemple de Toulouse).

Loïk Le Floch-Pringent : Je pense que la démonstration a été faite récemment avec Peugeot sur la méthode moderne à succès du Colbertisme. On prend un dirigeant compétent et on le laisse travailler après avoir restructuré le capital avec de l’argent public. Je propose la même chose ailleurs. On peut dire que ce modèle a été celui du secteur aéronautique, celui du pétrole, et que lorsque l’on s’est trompé sur la qualité des dirigeants la catastrophe est arrivée vite, je n’ai pas envie de donner des exemples.

A l'inverse, quels dossiers ont pu montrer les limites de cette doctrine d'Etat stratège ?

Jean-Yves Archer : Vous l'avez dit vous-même : c'est d'une doctrine de l'Etat interventionniste dont on parle et non d'un Etat stratège comme l'a parfaitement pointé du doigt un récent rapport de la Cour des comptes. Avec gravité, j'estime que le bilan de l'Etat en matière énergétique est véritablement un échec. Survie et recapitalisation d'Areva, ouverture ratée du capital d'Areva, situation hasardeuse d'EDF qui doit faire face à 35 milliards d'endettement et plus de 65 milliards d'investissement dans le futur démantèlement nucléaire sont des faits. Des défis considérables. On pourra noter l'absence de mise en cause des responsables de l'époque ( Anne Lauvergeon, Henri Proglio, etc ) et les prêches dans le désert d'un homme rigoureux comme Pierre Gadonneix. En droit privé, la " faute de gestion " existe et est sanctionnée par les Tribunaux pour les grands groupes comme pour le patron d'une TPE. Deux poids deux mesures ? 

Loïk Le Floch-Pringent : Encore une fois, l’Etat en tant que tel n’est pas stratège. Le Président de la République peut avoir une vision, il s’entoure de gens qui matérialisent sa vision, et ensuite il leur donne les moyens de réussir . Il n’écoute plus personne d’autre que celui qu’il a nommé. S’il réussit c’est un Grand Homme , s’il échoue c’est un nul , c’est donc risqué ! Il ne faut pas faire des erreurs de casting ! Mais dans le cinéma c’est la même chose, un bon scenario ne suffit pas, il faut choisir les bons acteurs qui ne sont pas forcément sympathiques, qui ont un ego très développé, qui peuvent avoir beaucoup de défauts…mais on leur demande de réussir avant tout, et ainsi de remplir les salles. On accepte ça pour le cinéma, il faut faire la même chose avec l’industrie, on prend des risques et donc on choisit les meilleurs, nous avons de merveilleux acteurs en France, comme des patrons industriels magnifiques.

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