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"Condescendants" et peu professionnels : la bien pâle réputation des journalistes français selon leur collègues étrangers
©Reuters

Bonnes feuilles

Côté face, les journalistes écrivent n’importe quoi. Ils vont trop vite. Ne vérifient pas leurs sources. Sont trop politisés. Se prennent pour des stars, croient tout savoir et supportent mal d’être critiqués. Côté pile, les journalistes percent les secrets de la République qui, sans eux, resteraient enfouis. Voir très récemment le compte suisse de Cahuzac ou l’affaire Bettencourt. Au prix d’une enquête fouillée et d’entretiens avec nombre de journalistes français et étrangers, Gilles Gaetner nous offre une plongée déconcertante dans les arcanes d’une profession qui, il y a peu encore, fascinait. Extrait de "Les journalistes ne devraient pas dire ça" de Gilles Gaetner, aux Editions L'Artilleur (1/2).

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Joëlle Meskens, du Soir : quelle condescendance, la classe politique française !

Cette indifférence, voire condescendance, dont fait preuve la classe politique française, Joëlle Meskens correspondante à Paris depuis plus de vingt ans du quotidien belge Le Soir la déplore, comme Gabriela Cañas. Et de citer l’attitude d’Alain Juppé. Ainsi, le pool de journaux européens dont fait partie Le Soir – et aussi El Pais, La Tribune de Genève, La Reppublica –a dû effectuer démarche sur démarche pour que l’ancien Premier ministre daigne accorder une interview, dans le cadre de la primaire de la droite et du centre. Après plusieurs semaines d’attente, l’interview –  un journaliste du Guardian y participait – eut finalement lieu le 21  octobre 2016. Grâce aussi au forcing du correspondant à Paris de La Tribune de Genève, Xavier Alonso, auprès de Claudine Schmidt, députée Les Républicains représentant les Français de l’étranger, résidant en Suisse et partisane d’Alain Juppé.

« Ce dédain, je le comprends et le déplore à la fois, confie Joëlle Meskens , nous ne sommes d’aucune utilité, puisque nous ne sommes pas des électeurs français. » « Ce n’est pas tout à fait vrai, renchérit-elle, car c’est oublier que les Français de l’étranger votent. » (Plus de 67  000  électeurs français résidant en Belgique étaient inscrits sur les listes électorales pour la présidentielle de 2012, ce qui est loin d’être négligeable. Quant à la Suisse, elle compte 122 000 Français inscrits sur les listes électorales).

L’affrontement Sarkozy-Joffrin, un jour de janvier 2008

Cette légèreté d’un dirigeant politique français rappelle à Joëlle Meskens une autre anecdote qui, elle, frôle, pour ne pas dire plus, le mépris à l’égard des journalistes. C’était le 8 janvier 2008, à l’occasion de la première conférence de presse de Nicolas Sarkozy en tant que président de la République. Ce jour-là, Laurent Joffrin, le directeur de Libération lui demande « s’il n’a pas instauré une forme de pouvoir personnel, pour ne pas dire une monarchie élective ». Pouvoir personnel… Monarchie élective… Voilà des appréciations qui ne plaisent guère à Nicolas Sarkozy. Le Président se retient, puis se laisse aller : « Monsieur Joffrin, un homme comme vous ! Dire une aussi grosse bêtise ! » Voici Joffrin brutalement renvoyé dans ses cordes. Les journalistes sont éberlués. Le lendemain, sur le site du Nouvel Observateur, le directeur de Libération réplique : « Il existe encore dans ce pays un journal d’opposition. Manifestement, pour le Président, c’est un de trop. »

Alors que dans le royaume de Belgique, une telle attitude de la part du Premier ministre ou de tout autre haut responsable politique est exclue… Mais le paradoxe, dans ces rapports pouvoir-journalistes en France, remarque la correspondante du Soir, c’est que lesdits journalistes rassemblés au sein de la Cour s’esclaffent à chaque bon mot – ou supposé tel – du monarque républicain.

Joëlle Meskens : à quoi bon cette recherche de scoops lors des attentats en France

À propos des attentats qui ont secoué en 2015-2016, aussi bien la France que la Belgique, Joëlle Meskens regrette que ses confrères français soient sans cesse à la recherche de scoops pouvant faire capoter des opérations de police (voir la prise d’otages du 8  janvier 2015 à l’Hyper Cacher). Et la journaliste du Soir de s’étonner du peu de civisme de ses confrères français. Et de rappeler l’attitude exemplaire de ses confrères belges, qui se sont abstenus, les 23 et 24  novembre 2015, alors que le royaume se trouve en état d’alerte maximum, de délivrer la moindre information sur les opérations antiterroristes conduites par la police fédérale. Cela, à la demande expresse de cette dernière, afin d’éviter de faire capoter lesdites opérations. Aussi, les médias belges, respectant la consigne, ont-ils diffusé sur Internet des milliers de photos de… chats ! Quelques jours plus tard, pour les remercier, la police a mis en ligne sur Internet des paquets de croquettes destinés aux chats. Preuve que l’humour, même en période de tension extrême, comme c’était le cas en ce mois de novembre dans tout le royaume de Belgique, peut se concilier avec la raison d’État.

Comment les journalistes doivent traiter Marine Le Pen ?

De même, la correspondante du Soir porte une appréciation différente de ses collègues français, sur le traitement auquel doivent être soumis, dans la presse, le Front national et sa présidente Marine Le Pen. Pas d’ostracisme, bien sûr. Elle doit pouvoir s’exprimer, mais « sa parole doit être encadrée ». Autrement dit, si ses propos sont évoqués, ils ne le sont pas avec des guillemets, mais dans un style indirect. Cette pratique est totalement inconnue, en France, les chaînes de télévision en information continue étant toujours partantes pour tendre le micro à la présidente du Front national. Sur les relations avec ce parti, Xavier Alonso, correspondant à Paris depuis quatre ans de La Tribune de Genève et de 24  heures (Lausanne), livre un point de vue différent. « Lorsque j’interviewe Marine Le Pen ou un dirigeant du FN, je mets des guillemets. » Et d’en expliquer les raisons : « C’est parce que, chez nous, en Suisse, pays du consensus, nous avons une tradition, celle de dialoguer avec l’adversaire. Ne serait-ce parce que depuis soixante ans nous avons un parti très à droite, l’Union démocratique du centre (UDC) – un peu comme le FN, mais avec des différences notables, présent en Suisse dans les allées du pouvoir . »

Extrait de "Les journalistes ne devraient pas dire ça" de Gilles Gaetner, aux Editions L'Artilleur 

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