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Comment le FN se prépare pour ne pas être le perdant automatique du second tour de la présidentielle
©REUTERS/Pascal Rossignol

Le deuxième tour !

Alors que la course à l'élection présidentielle bat son plein la stratégie du Front national de Marine Le Pen commence à se dessiner. Loin du mouvement qui se résume à la dé-diabolisation le FN parie désormais sur une ligne bien différente.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Atlantico : Alors que le Front national est désormais entré en campagne, que peut on dire de la stratégie développée par le parti de Marine Le Pen en vue de l'élection présidentielle de 2017 ? Au regard du discours et des propositions, quelle est la ligne dessinée par le parti ? 

Nathalie Krikorian-Duronsoy : Depuis qu’elle a pris les commandes du Front National, Marine Le Pen suit la même stratégie de conquête de l’opinion par la normalisation de son parti. Poursuivant du reste l’oeuvre paternelle qui avait consisté, au début des années 1970, à faire évoluer des idées contre-révolutionnaires, c’est à dire anti-parlementaires et anti-démocrates par la création d’un parti réformiste, le Front National, présentant des candidats au Suffrage Universel.

Le travail de normalisation de Marine Le Pen dès 2000 a consisté à transformer le vieux FN en un parti moderne, rompant progressivement avec un extrêmisme auquel elle n’a du reste jamais adhéré.

Le but de créer un électorat stable, adhérant à ses analyses autant qu’à ses propositions, s’est réalisé à travers deux objectifs : transformer, en partant du haut vers le bas, l’idéologie du FN et former des cadres et des candidats, en particulier au moment des municipales de 2014.

Au plan électoral, force est de constater que Marine Le Pen a rempli le contrat fixé. Son parti suit une progression constante et solide. En 2012 : 17,9% des voix à la Présidentielle contre 5,5% pour son père en 2002. En 2014 : 24,86% des voix aux européennes, il devient le premier parti de France, passant de 3 à 20 députés et il gagne 14 villes aux municipales contre 3 en 1999. En 2015 : 28% aux régionales et 25, 14% aux départementales.

Enfin aujourd’hui, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au premier tour de la prochaine présidentielle avec 26%, devant Emmanuel Macron, 20,5% et François Fillon, 17,5%. Mais surtout, au regard des autres candidats, son électorat est le plus motivé et le plus stable : 85% de ses électeurs se disent sûrs d’aller voter pour elle.

Mais on ne comprendra rien à la réussite de ce parcours du combattant, qui a fait passer le FN de troisième force politique à première en à peine trois ans, si on ne perçoit pas le rôle joué par le labourage idéologique des consciences, entrepris depuis bientôt 16 ans, qui a soulevé dans le pays un véritable mouvement en faveur du lepénisme.

Dans ce contexte, c’est surtout l’aveuglement, parfois délibéré, de ses adversaires face à un changement en profondeur et non pas en surface des théories frontistes qui a permis leur progression au plan électoral. Ainsi, sur la question de l’immigration que le Parti Socialiste instrumentalisait depuis les années 1980, via un antiracisme de combat privilégiant la morale au politique tout en se coupant des principes de la laïcité au profit de ceux de la diversité, les analyses sociologiques du FN, dont il a tiré sa riposte idéologique, triomphent.

C’est autour de ses thèses, non pas tant « ethno-sociales » mais qui lient questions culturelles et économiques que s’organisent désormais le débat politique français.

Une réflexion idéologique en phase avec la réalité du pays a donc précédé la stratégie pour la candidature à la présidentielle de Marine Le Pen.

Elle a rompu, non par tactique mais par choix, avec les thèses extrémistes de son père, replaçant les idéaux républicains si bien analysés par Claude Nicolet, dans le giron du nationalisme lepéniste. Faisant dès lors à nouveau coïncider Nation et République que l’Affaire Dreyfus avait désunis. C’est la congruence de ses deux idées qui a donné au FN sa force de persuasion auprès d’une opinion publique désorientée par les effets destructeurs conjugués de la mondialisation sur l’économie nationale, et de la domination du discours relativiste sur les consciences populaires qui l’ont rejeté.

Quelle est la stratégie mise en place par le FN pour parvenir à briser le "plafond de verre" auquel il a pu être confronté lors des dernières élections régionales ? 

Si l’expression « plafond de verre » est utilisée pour transmettre l’idée qu’exprimait la notion de « Front républicain » inventée par le PS et la gauche afin de convaincre leurs électeurs de voter Jacques Chirac, pour « barrer la route au FN » à la présidentielle de 2002, puis, afin d’empêcher des alliances de second tour au plan local, seuls les résultats du second tour de la prochaine présidentielle nous en indiquerons l’épaisseur.

Plus que par la stratégie la force de la ligne mariniste réside dans sa cohérence intellectuelle face aux contradictions internes des discours de ces adversaires qui critiquent ses positions tout en se ré-appropriant les thèmes de ses discours. J’ai été frappée par l’emploi désormais récurrent chez François Fillon, Emmanuel Macron ou Benoît Hamon, pour ne citer qu’eux, des mots : « nation » « patrie » ou « patriote » bannis des discours des deux grands partis de gouvernement avant l’an 2000, et des mots « laïcité » et « peuple » tombés en désuétude avant cette date. Emmanuel Macron, libéral en économie et multiculturaliste bon teint est devenu plus anti-UMPS que le FN, et sa critique du «système » n’a d’égal que celle proférée autrefois par Le Pen père contre «l’establishment ». François Fillon a fait sienne la critique lepéniste du lien entre les dangers de l’islamisme et les idéaux multiculturels de la gauche. Avec son projet de « revenu universel » Benoît Hamon tente de contrer le FN sur le terrain des idées, en particulier celle du rôle de l’Etat Providence devenu propriété de Marine Le Pen qui veut le rendre au peuple depuis que la gauche de gouvernement est devenue capitaliste.

La force du FN c’est que c’est autour de ses théories que s’orientent désormais non seulement le débat public mais les discours et les choix politiques de ses adversaires en vue de la présidentielle.

La désignation d'un ennemi a longtemps fait parti de la stratégie de campagne du FN, qui avait réussi un coup politique avec l'invention de l'UMPS. Cette stratégie peut-elle être poursuivie aujourd'hui ? L'affaissement des partis de gouvernement, peut il être, paradoxalement, un handicap pour le Front national ?

L’invention d’un ennemi politique unique réunissant les deux grands partis de gouvernement UMP et PS, droite et gauche confondues, correspondait à la volonté politique de présenter le FN comme une troisième voie, nationaliste et populiste, tout en faisant éclater la distinction droite gauche. Ce corollaire était notamment légitimé par le tournant économique libéral et donc « de droite » du PS à l’époque mitterrandienne et l’adhésion de l’UMP, donc de la droite, aux thèses de l'antiracisme différentialiste de la gauche.

Comme je l’ai dit les cartes sont désormais rebattues et la dichotomie droite vs gauche est en plein décomposition. De plus l’affaire Fillon comme l’élection de Benoît Hamon contribuent à complexifier les rapports de force sur le nouvel échiquier politique. Ils ont, semble-t’il pour l’instant, chacun à leur façon ruiné les chances des deux grands partis de gouvernement d’arriver au second tour de la Présidentielle. Mais je ne crois que ce soit un réel handicap pour Marine Le Pen qui a déjà marqué sa rentrée politique à Lyon par un discours contrant ouvertement son concurrent en populisme, Emmanuel Macron, dont les sondages prédisent qu’il serait son adversaire au second tour. En faisant de l’islamisme et du mondialisme les deux faces idéologiques d’un unique ennemi de la souveraineté autant que de la liberté du peuple français, la présidente du FN a en effet posé les jalons de ses futures attaques contre les propositions libérales et multiculturalistes du président En Marche.

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