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 Saint-Valentin virtuelle : quand les rencontres sur internet se terminent en fraudes massives
©Reuters

Miroir, mon beau miroir

La Saint-Valentin, c'est l'occasion de faire de nouvelles rencontres. Avec internet, il devient plus facile de trouver des partenaires mais les pièges sont aussi nombreux. Action Fraud, le service britannique de lutte contre les fraudes recense en moyenne, une tentative de fraude toutes les trois heures.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Avec la Saint-Valentin et lors de chaque fêtes symboliques, de nombreux Français vont vouloir chercher l'amour sur internet. Action Fraud, le service britannique de lutte contre la fraude recense une arnaque toutes les trois heures. Le phénomène est-il si important ?

Franck DecloquementOn ne saurait trop recommander d’être prudent. Chaque année, il est presque possible de dresser un panorama des "nouveautés" en matière d’arnaques et d’escroqueries à caractère "sentimentale". Qui se cache au juste derrière ces profils factices ? En général, il s’agit d’escrocs inventifs qui opèrent depuis l’Afrique de l’Ouest. On les appelle "les brouteurs", qui est le sobriquet que se donnent eux-mêmes ces escrocs à la "love romance"... Les sites de rencontres et les réseaux sociaux facilitent grandement leur travail d’accostage frauduleux. Et la Saint Valentin est aussi l’occasion toute trouvée pour les "brouteurs" de tous poils - et autres arnaqueurs "à la nigériane" - de perpétrer de nouveaux forfaits délictueux, et de causer ainsi des dizaines de milliers de nouvelles victimes chaque année. Tous sexes confondus. Quand bien même la population dans son ensemble apparait aujourd’hui davantage avertie et sensibilisée à ces pratiques malsaines qu’il y a quelques années. Comment expliquer ce paradoxe apparent ?

Les nouvelles fonctionnalités - plus évoluées - des sites de rencontres expliquent pour partie cette constance et parfois même, la recrudescence de ces cybers-arnaques à l’amour. Il y a quelques années en arrière, les cas les plus récurrents étaient ces fameux spams laconiques bien connus des spécialistes, truffés de grossières fautes d’orthographe, et envoyés par des inconnus à partir de l’Afrique de l’Ouest. La Côte-d’Ivoire étant longtemps restée l’un des pays emblématiques en la matière. (L’Egypte semble désormais se distinguer elle aussi, dans le registre de ses actions crapuleuses depuis quelques mois). Mais ceux-ci ont peu à peu été délaissés au bénéfice d’arnaques bien plus complexes dans leurs méthodes d’approches, et qui se sont adaptées au fil du temps à la hausse globale du niveau de vigilance de la majorité des internautes au contact. Les "brouteurs" se sont donc "modernisés" et organisés en véritables réseaux de cybercriminels, de plus en plus performants. Déployant ici et là des méthodes ingénieuses de captation, pour actualiser leurs arnaques dans la durée.

On peut dire qu’il existe une véritable "géopolitique" de la cybercriminalité en matière "d’arnaque à l’amour". Comme l’indiquait de spécialiste Gwendal Delcros, on constate en effet d’importantes évolutions dans la dynamique géopolitique de ces actions délictueuses et criminelles. Il est ainsi possible de d’extraire certains éléments de réflexion. Selon ce spécialiste, deux types de profils cybercriminels cohabitent et coopèrent en Côte-d’Ivoire : les brouteurs historiques - agissants seuls ou en petits groupes familiaux organisés - très coordonnés mais aussi peu professionnalisés. Ceux-ci réalisent des escroqueries sentimentales, "sur initiative" ou "sur ordre". D’autres réseaux cybercriminels agissent en revanche en lien avec la criminalité dite "classique", et agissent en véritables "donneurs d’ordres" puisqu’ils disposent d’un rayonnement local et régional fort. En ce sens ils occupent un rôle similaire à celui joué dans le passé par le Nigeria. Certains groupes criminels ivoiriens sont encore aujourd’hui l’émanation francophone de la Nigerian Connection. Ils reçoivent leurs ordres et doivent rétribution à leur tête de réseau anglophone. En Afrique de l’Ouest, et c’est une nouveauté, le Bénin est en passe de devenir une nouvelle puissance montante dans le domaine de la cybercriminalité. Les réseaux cybercriminels ivoiriens exportent leur savoir-faire non seulement localement (Togo, Bénin, Burkina Faso, Mali, Ghana pour les cibles nord-américaines…), mais aussi au nord de l’Afrique. Une part croissante des fraudes constatées ces derniers mois avait pour origine des groupes criminels mixtes ivoiriens et marocains, dont les têtes de réseau sont installées à Casablanca. Enfin, les fraudes ayant conduit aux préjudices les plus importants impliquaient des têtes de réseau et des relais de complicité en France, Belgique ou Suisse. Les experts s’accordent à dire que ces mutations géopolitiques n’ont pas été sans conséquences sur le déploiement de ces arnaques. En effet, la surmédiatisation des escroqueries à caractère "sentimentales" en provenance de Côte-d’Ivoire a eu un effet pervers. Alors que la vigilance des Français à l’égard des sollicitations en provenance de Côte-d’Ivoire augmentait, des escrocs résidants au Bénin et au Maroc sévissaient.

Quels sont les cas les plus récurrents d'arnaques en ligne ? Quels sont les bon comportement à adopter pour éviter les embûches ? 

Les brouteurs font une utilisation de plus en plus fréquente de séquences préenregistrées de vidéos. Pour reprendre à notre compte les explications très éclairantes de Gwendal Delcros, au premier semestre 2014, plus de 3 personnes sur 4 ayant contacté Internet Bodyguard - suite à une problématique d’escroquerie sentimentale - avaient eu un entretien vidéo (Skype ou autres), avec leur interlocuteur/trice. Du moins le pensaient-ils. Car une vidéo en elle-même n’est jamais une preuve suffisante de la bonne foi ou de l’existence "réelle" de l’interlocuteur avec lequel on interagit. La raison en est assez simple : de plus en plus d’escrocs utilisent ces séquences vidéos préenregistrées afin d’induire leurs victimes en erreur. Il est cependant possible de vérifier par soi-même si la vidéo est usurpée. Certains signes peuvent en effet apparaître très suspects : la vidéo est saccadée et se fige régulièrement, votre interlocuteur prétexte une mauvaise connexion. La personne que l’on peut voir en vidéo ne correspond pas, traits pour traits, à celle que l’on avait vue d’elle préalablement en photo. On peut aussi observer certaines incohérences visuelles ou des répétitions spécifiques. A commencer par la météo, la luminosité, les vêtements portés, le décor environnant. Prudence cependant, car certains fraudeurs vont même jusqu’à prévoir des préenregistrements d’individus faisant divers signes de la main devant la webcam, et ceci afin de tromper la vigilance de leurs interlocuteurs. Dès lors, il n’y a qu’une seule méthode fiable pour savoir si la vidéo que l’on visionne est bien réelle ou non : il s’agit de demander à son interlocuteur d’écrire devant soi son nom, la date du jour et l’heure dite sur une feuille de papier libre.

Il faut toutefois rester vigilant puisque cette méthode ne protège pas dans l’éventualité où les fraudeurs ou leurs complices agiraient à visage découvert, même si de tels comportements sont assez rares en définitive. Comme toute entreprise criminelle, l’escroquerie sentimentale est soumise aux lois de la concurrence et aux fluctuations du marché, et les arnaqueurs de tous poils cherchent à accroître leurs parts de marché, par tous les moyens possibles. Dans ce contexte, les spécialistes ont pu observer une stratégie de diversification de la part des cybercriminels : une diversification des cibles vers un public plus jeune, par le biais des arnaques du type piège à la webcam ("Sex scam" ou "Romance scam"). Un ciblage beaucoup plus marqué sur les ressortissants de nationalité suisse qui subissent, en plus de la cybercriminalité francophone, les attaques de la "Nigérian Connexion" anglophone. De surcroît, la réputation de solvabilité des Suisses fait que ces derniers jouissent d’une excellente "réputation" auprès des arnaqueurs. Selon des statistiques internes à la police française, les pièges à la webcam, qui touchent des victimes majoritairement âgées entre 14 et 26 ans, ont augmenté de plus de 300% par an depuis 2011… 

Dans cette forme de chantage, la méthode "douce" n’est pas utilisée plus de quelques minutes consécutives par un agresseur. Très rapidement, la "jolie jeune femme"  - ou jeune homme - rencontrée sur Internet disparaît pour laisser place à un maître chanteur aguerri demandant le paiement immédiat d’une rançon, sans laquelle ce dernier menacera d’envoyer la vidéo intime de la victime à sa famille, à ses amis et tous ses contacts sur les réseaux sociaux. En cas d’échec de l’approche coercitive, un membre supposé des forces de l’ordre ou un "pseudo procureur" intimera à la victime de payer une amende au prétexte fallacieux de détournement de mineur sur Internet. Cette tendance inquiétante au chantage est en pleine expansion dans la mesure où elle impacte majoritairement des jeunes gens pour lesquels la prise de distance par rapport à cet événement parfaitement traumatique est très difficile à assumer, dans l’instant de l’arnaque. Les conséquences peuvent donc s’avérer dramatiques dans certains cas. Certaines pouvant mener au suicide les plus fragiles.

Est-il possible de savoir à combien s'élève les montants dont sont victimes les gens sur internet ? Est-ce plutôt des grandes sommes ou des petits prélèvements qui peuvent passer inaperçus ? 

Ces arnaques aux sentiments représentent un marché très juteux. Ce qui explique aussi leur pérennité dans le temps. C’est aussi l’une des formes d’escroqueries qui prolifèrent le plus sur Internet. Chaque année, elles font des dizaines de milliers de victimes en France. Selon certaines sources autorisées, elles rapporteraient chaque année la bagatelle de 150 millions d’euros aux escrocs. Les victimes sont malheureusement de plus en plus nombreuses. Sur la Côte d’Azur par exemple, elles sont plusieurs centaines chaque année à subir ce genre "d’accostage numérique" à vocation crapuleuse. Majoritairement des femmes mâtures, victimes d’escroqueries "à la Nigériane", qui sortent bien souvent le cœur brisé et le compte en banque vidé à chaque fois. Il n’est pas rare de déplorer pour certaines d’entre elles des sommes très conséquentes, allant même jusqu’à débourser entre 16 000 et 30 000 euros, qu’elles croyaient avoir "prêté" à un homme qu’elles pensaient aimer, et qui n’était en réalité qu’un escroc. Mais elles sont désormais de plus en plus nombreuses et déterminées à se rebeller et à témoigner de leurs mésaventures. Bien décidées à porter leurs affaires en justice, quitte en fin de compte à braver leur timidité parfois maladive, et à passer pour de gentilles "idiotes". Loin de se replier derrière la honte de s’être fait escroquer, les pouvoirs publics et certaines associations ne cessent d’interpeller les webmasters des sites qui véhiculent ce type d’arnaques, mais aussi les banques qui acceptent de faux chèques sans vérification, la Poste et les agences de Western Union qui n’informent pas leurs clients des risques inhérents des transferts d’argent liquide vers l’Afrique de l’Ouest. Mais aussi la justice qui, le plus souvent, ne donne pas suite aux requêtes des plaignants, faute de moyens d’enquêtes.

Quel est le profil de ces personnes qui se font arnaquer sur internet ? Qui est le plus à même de se faire avoir ? 

Des milliers de victimes sont recensées en France chaque année. Ce sont en majorité des femmes célibataires, entre 40 ans et 60 ans révèlent certains de ces bonimenteurs repentis. Et nombre d’entre elles osent parfois évoquer leurs aventures malheureuses, validant de fait les informations délivrées par les escrocs en veine de confidence. De son côté, la Grande-Bretagne a recensé l’année dernière plus de deux cent milles de ces "love escroqueries", estimant le préjudice global à près de 50 Me. En France, ces combines restent la plupart du temps dans les eaux troubles du "non-dit", ou des faits non-dénoncés…Conquises sur le Net puis rançonnées dans la vraie vie, la plupart des victimes ont perdu leurs illusions… Et des dizaines de milliers d’euros dans la foulée. La plupart se demandent rétrospectivement comment elles ont pu être aussi naïves. In fine, lorsqu’elles osent porter plainte, les victimes appréhendent la double punition de révéler l’escroquerie dont elles ont été l’objet, et le regard des autres. Particulièrement dans le cas des victimes de "romance scam". Ce petit air ironique que certains membres des forces de l’ordre chargés de recevoir leurs plaintes ne peuvent réprimer parfois, lors des dépositions. Dans ces conditions, victimes sur le Net de ces escroqueries à l’histoire d’amour, elles hésitent tout naturellement à demander justice auprès des services de l’Etat.

De nombreux sites de rencontres sur la toile permettent ainsi de rechercher et de classer les utilisateurs, selon des critères qui donnent aux escrocs toutes les clefs et la latitude nécessaire pour mystifier aisément leurs victimes, et atteindre la "cible idéale". Le portrait-robot des malheureux est souvent le même : un homme ou une femme à la retraite le plus souvent, un divorcé(e) ou un veuf(ve), qui souhaitent faire des rencontres amoureuses après avoir renseigné un profil d’utilisateur(trice) sur un site dédié. Le tout, en délivrant des informations souvent très personnelles sur leurs hobbies, leurs goûts et leurs aspirations. Des victimes de préférence solvables, à en juger par le niveau de vie ou la profession qu’elles affichent. Afin de maximiser leurs chances de succès, les escrocs vont également rechercher à toucher leurs cibles sur des sites de rencontres "spécialisés". Des sites de rencontre thématiques, susceptibles de regrouper des personnes sentimentalement plus fragiles (ex : sites de rencontre pour veufs ou divorcés, sites de rencontre pour séniors, sites de rencontre entre personnes séropositives, etc.). Des sites méticuleusement arpentés par les prédateurs en quête "du bon coup". Si ces sites spécialisés fondent leur communication sur la sélection des profils et la sécurité de leur base d’utilisateurs, en réalité, ils ne sont pas plus à l’abri de l’escroquerie sentimentale que les sites de rencontres généralistes… Bien au contraire.

Pour comprendre comment ces arnaques fonctionnent et déjouer leur mécanique intime, des enquêteurs ont souvent tenté de créer de faux comptes sur des sites de rencontres pour "hameçonner" les imposteurs. En moins de quelques minutes, les escrocs se manifestent est entrent en contact sous des pseudonymes évocateurs : "Douce libellule". En quelques semaines de "chats" ininterrompu sur les réseaux sociaux, les enquêteurs font mine de tomber sous le charme verbal de la demoiselle. Les mots d’amour fusent : "je t’aime, tu me manques, je ne tiens plus", le numéro de charme bat son plein se remémorent de nombreuses victimes. Très vite, cette prétendue jeune femme à la plastique très avantageuse confie qu’elle doit très bientôt toucher un héritage… Mais pour cela, il faut que son aimable correspondant - tombé entre-temps sous son charme "virtuel" ravageur -  lui prête 150 euros aussi sec... Et pour motiver les ardeurs de son "cavalier" du jour, elle envoie des photos d’elle en petite tenue… Le piège s’active et se referme irrémédiablement sur la victime.

La majeure partie du temps, les cellules de lutte contre la cybercriminalité ne retrouveront jamais l’escroc en question derrière de faux profils féminins, sauf à remonter ce qui, manifestement, ressemble à de vraies filières de la cyber-escroquerie. Et pour cause : dissimulés derrière un profil Facebook le plus souvent piraté, les brouteurs officient depuis d’improbables cybercafés en Afrique. D’Abidjan à Dakar,  du Bénin au Togo, à l’abri ou presque de toute poursuite judiciaire car ce type d’arnaque sur le Net explose littéralement. En attendant, surfant sur la confusion des sentiments et un rapport totalement faussé au réel que les réseaux sociaux nourrissent dans les rangs de personnes en situation de désespérance affective ou sociale, les "brouteurs" prospèrent en toute impunité sur la toile. Renouvelant sans cesse, les scénarios de leurs arnaques.

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