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Pourquoi les excédents commerciaux records allemands devraient nous inspirer autre chose que de la simple admiration
©Capture Couverture Der Spiegel

Trou noir

Année après année, Berlin enchaîne des chiffres commerciaux de plus en plus impressionnants. Pourtant, et au lieu de jalouser les résultats allemands, les dirigeants français feraient mieux de prendre la mesure des effets désastreux de cette politique sur l'équilibre économique européen

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Pour cette année 2016, l'Allemagne affiche un excédent commercial de 252 milliards d'euros. Berlin affiche des records historiques les uns après les autres au cours de ces dernières années. Par quels moyens l'Allemagne parvient elle à afficher de tels résultats ?

Nicolas Goetzmann : Ce qui est le plus intéressant avec ce chiffre, c'est que les commentaires sont élogieux vis-à-vis de la position commerciale allemande. Or, il s'agit d'une cause essentielle du déséquilibre économique européen. Parce que les questions de commerce international sont souvent analysées d'un point de vue simpliste bâti sur le concept de "compétitivité". Mais la balance commerciale est en réalité le fruit d'une identité comptable autre que celle du simple rapport "importations-exportations", il s'agit du rapport entre épargne et investissement. Lorsque l'épargne est supérieure à l'investissement, le résultat est une balance commerciale positive. En l'occurrence, l'Allemagne affiche un surplus d'épargne conséquent couplé avec un taux d'investissement relativement faible, et inférieur à celui de la France. De plus, il ne s'agit pas d'un surplus d'épargne des ménages, selon le présupposé d'une population allemande vertueuse, mais d'un surplus d'épargne de la part des entreprises. Or, ce surplus d'épargne des entreprises est la conséquence d'une distribution des revenus inégalitaire. En gros, la population allemande ne voit pas la couleur de ses efforts, et son niveau de revenu est décorrélé de sa capacité de production. Ainsi, la population allemande n'a pas les moyens d'absorber l'ensemble de ce qu'elle produit, c'est ce qui explique l'excédent commercial.

Selon une note publiée par la DG trésor, cet excédent commercial allemand aurait pour effet de "peser sur la demande adressée aux autres économies de la zone euro". Quels sont les mécanismes à l'œuvre ? 

L'Allemagne agit comme une sorte de trou noir de la demande au sein de la zone euro ; puisqu'il s'agit de la plus grande économie du continent. En choisissant délibérément d'être en état de sous consommation et de sous-investissement, l'Allemagne parvient à ce résultat excédentaire, mais elle déséquilibre le continent en produisant un "manque" de demande. C'est exactement le problème pointé par la note de la DG Trésor :

"Ces déséquilibres pourraient nuire durablement à l'activité économique en zone euro. D'une part, la faiblesse de la demande interne des pays en excédent courant (liée notamment à une hausse du niveau d'épargne désiré par les agents) pèse sur la demande adressée aux autres économies de la zone euro"

Donc, au lieu de regarder l'Allemagne avec admiration en supposant que ce résultat est la conséquence de la très bonne qualité de ses produits, il faudrait comprendre qu'il s'agit d'une agression commerciale caractérisée. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les règles européennes indiquent qu'un excédent commercial d'un pays membre ne doit pas dépasser le seuil de 6% du PIB. Or, le solde allemand est supérieur à ce chiffre depuis plusieurs années, et Wolfgang Schäuble, ministre des finances du pays, a déjà pu indiquer qu'il n'avait aucune intention de changer de stratégie.

La DG trésor semble également remettre en cause le processus général de baisse du coût du travail en Europe, selon la logique de compétitivité. Quelles en sont les raisons ?

Voici ce qu'indique la DG Trésor :

"Dans ce contexte, la procédure pour déséquilibres macroéconomiques (MIP), destinée à corriger ces déséquilibres, a encouragé un mouvement de baisse du coût du travail. En particulier le cadre d'analyse retenu prévoit une évaluation asymétrique entre excédent et déficit courant, ce dernier étant considéré plus risqué. Ainsi, si elle a contribué à réduire les déficits courants, cette procédure ne permet pas de répondre à l'amplification des excédents courants néerlandais et allemands en parallèle. Elle a donc encouragé le mouvement général de baisse du coût du travail, pesant sur la demande et l'inflation, sans permettre de faire converger symétriquement les soldes courants."

La logique est la suivante. Puisque l'Allemagne sous paye ses salariés par rapport à leur capacité de production, les autres pays sont entrainés dans une compétition absurde pour pouvoir rivaliser. Mais pour qu'une forme d'équilibre puisse voir le jour, il faudrait déjà que l'Allemagne corrige sa position, c’est-à-dire qu'elle laisse les salaires progresser pour combler l'écart qui existe aujourdhui. La seconde raison de la problématique posée par la baisse du cout unitaire du travail est que celle-ci engendre une stagnation voir une baisse de la consommation et donc, de l'intérêt des entreprises à investir dans les pays concernés. La croissance ne va pas revenir toute seule, sans consommation et sans investissement. C'est une logique de dépression. Le bon moyen pour rééquilibrer l'ensemble, c'est que l'Allemagne pousse ses salaires et ses investissements, et que les autres pays se corrigent en relatif au rythme d'une croissance soutenue en Europe. Sans cela, la convergence européenne ne pourra pas se produire. Un tel défi dépend beaucoup de la Banque centrale européenne qui est seule à pouvoir véritablement soutenir la croissance en Europe, ce qui aboutira à une forme de contrainte à la hausse sur les salaires allemands. En effet, puisque le pays affiche un contexte de plein emploi, plus la demande sera forte, plus les salariés gagneront en pouvoir de négociation. Mais le gouvernement doit également pousser les syndicats en ce sens. De plus, une relance budgétaire allemande permettra de donner un coup de pouce à un tel processus. Le problème, c'est que pour le moment, Berlin ne veut rien entendre. Au final, au lieu de s'émerveiller devant l'excédent allemand, les dirigeants français devraient en faire un casus belli au niveau européen. 

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