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Ce qui se joue vraiment dans le bras de fer entre Trump et la justice américaine
©Reuters

Executive Orders

La bataille judiciaire autour des décrets de Donald Trump fait rage parce que c’est le seul recours encore disponible à l’opposition pour le contrer. C’est aussi la preuve de la solidité des institutions américaines.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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La bataille judiciaire autour du décret sur l’immigration signé par Donald Trump le 27 janvier dépasse le cadre de la simple validité d’un ordre présidentiel. Le véritable enjeu c’est la division des pouvoirs pour les deux ou quatre années à venir, c’est-à-dire le rapport de force entre la Maison Blanche et l’opposition. Minoritaires au sein de l’appareil législatif, les Démocrates et, plus globalement, les opposants à Donald Trump n’ont que l’appareil judiciaire pour exercer leur contrepouvoir. D’où leur volonté de s’approprier ce terrain et d’y ramener tous les combats. Sachant qu’ailleurs ils en seront réduits à faire au plus de l’obstructionnisme. Cela ne plaira guère à Donald Trump et certains de ses supporters. C’est pourtant le cœur de la démocratie américaine. 
Les habitudes ont la vie dure. Dans les médias,  le président des Etats-Unis est régulièrement présenté comme « l’homme le plus puissant du monde ». Pourtant il a suffi qu’un simple juge fédéral de Seattle, à l’extrême nord-ouest des Etats-Unis, rédige une brève injonction pour que son décret présidentiel bloquant pour 90 jours l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane, soit instantanément suspendu. Donald Trump a soixante millions d’électeurs derrière lui. Le juge James Robart n’en n’a aucun. Pourtant en l’attente d’une décision en appel, c’est la volonté du juge qui prime. Ainsi en va-t-il du système de  « checks & balances » mis en place par les Pères Fondateurs de  l’Amérique. Ce système limite considérablement les pouvoirs du président, n’en déplaise à Donald Trump, mais c’est un garde-fou de la démocratie. 
Le bras de fer engagé depuis quelques jours n’a rien d’inhabituel. Les juges fédéraux sont régulièrement sollicités pour intervenir face aux décisions du gouvernement fédéral. Leur rôle étant de statuer sur la constitutionnalité de ces décisions. Bien que nommés par le président, et confirmés par le Sénat (le juge Robart fut désigné à son poste par le président George W. Bush), ces juges ont une totale indépendance. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils sont nommés à vie. Afin de ne pas craindre d’être révoqués par le pouvoir, quelle qu’en soit la couleur,  au cas où leurs décisions viendraient à déplaire…
Ce qui peut surprendre c’est l’étendu de ces sollicitations si tôt dans un mandat présidentiel. Depuis son investiture Donald Trump a dû affronter près de cinquante injonctions en justice. Le seul décret du 27 janvier en a suscité une dizaine, de la part de familles directement affectés, de la part d’entreprises impactées, ou même de la part d’Etats s’estimant lésés par la mesure et qui ont trouvé en la personne du juge Robarts, un magistrat sensible à leur cause. 
La raison de la multiplication de ces challenges judiciaires tient au choix du président de gouverner par décret, (« executive order »). Il en a le droit. Les décrets font partie de la panoplie d’outils à sa disposition. Tous les présidents depuis George Washington en 1789 en ont fait usage. Certains plus que d’autre. Le champion toutes catégories fut  le président Franklin Roosevelt qui signa plus de trois mille sept cents décrets. Barack Obama de son côté en signa 276, seulement ! Le plus retentissant d’entre eux étant un ordre de 2015 adressé aux autorités de l’immigration de ne plus expulser les enfants d’immigrants clandestins. L’ordre avait été contesté et suspendu par un juge du Texas, puis examiné en appel jusque par la Cour Suprême des Etats-Unis. Mais celle-ci n’avait pas  pu trancher.  Ses huit juges actifs ( le neuvième juge, Antonin Scalia, venait de décéder)  parvenant à une parfait égalité de quatre voix pour et quatre voix contre. Dès lors c’est la décision du juge texan qui avait primé. Et le  président s’était incliné…
Il pourrait en aller de même cette fois si la Cour Suprême était appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de ce décret avant que le juge Neil Gorsuch, nommé au siège vacant d’Antonin Scalia, par le président Trump le 31 janvier, ne voit sa nomination confirmée par le Sénat.   
Le bras de fer qui oppose la Maison Blanche au juge Robarts est donc d’une portée capitale. Il impacte non seulement les  politiques migratoires et de sécurité des Etats-Unis mais aussi le rapport de force entre l’exécutif et les autres branches du gouvernement fédéral. 
Selon la Constitution des Etats-Unis, rédigée en 1787, le gouvernement fédéral est constitué des trois branches séparées, le pouvoir législatif représenté par le Congrès, le pouvoir exécutif, représenté par le président et son administration, le pouvoir judiciaire représenté par la Cour Suprême et les cours fédérales (« cours de districts » et « cours d’appel fédérales ») réparties à travers le territoire américain (il y a 94 juridictions de districts, et 12 régions appelées « circuits » où sont regroupées les cours d’appel). Le droit de regard (« judicial review ») de ces cours sur la constitutionnalité des lois votées par le Congrès, ou des textes signés par le président, ou encore des décisions d’applications prises par les différentes agences fédérales, n’est pas spécifiquement cité dans la Constitution, mais il a été affirmé lors du débat sur la ratification qui suivit, notamment dans « Le Fédéraliste », recueil d’articles interprétatifs rédigés, entre autre, par Alexander Hamilton, l’un des Pères Fondateurs des institutions américaines. Son Fédéraliste N° 78 explique ainsi que « l’interprétation des lois revient de droit et de spécificité aux cours fédérales». 
Le souci d’alors était d’instituer un système de gouvernement qui empêche l’émergence d’un « tyran », c’est-à-dire d’un homme susceptible de rassembler tous les pouvoirs sur sa seule personne. Les Pères Fondateurs voulaient prévenir le rétablissement de la monarchie. Deux cent trente ans après leur système de « checks and balances » (vérifications et équilibres) fonctionne toujours pour contrôler et limiter les pouvoirs présidentiels et législatifs…Surtout dans un contexte où ces deux pouvoirs sont entre les mains d’un seul et même parti, comme c’est le cas actuellement avec le parti républicain.
La joute actuelle n’est probablement donc que la première d’une longue série, qui va se prolonger jusqu’aux élections de mi-mandat en novembre 2018. Le renouvellement du Congrès (l’ensemble des sièges de la Chambre des Représentants et un tiers des sièges du Sénat) offrira alors aux Démocrates une chance de reprendre le contrôle de l’appareil législatif, et d’exercer une véritable opposition face au pouvoir exécutif. En attendant, ils en seront réduits à quelques artifices de procédures permettant de ralentir les procédures –tel le recours au « filibuster » (moyen de repousser indéfiniment ou presque un vote) par le Sénat pour certaines confirmations -  sans pouvoir les stopper. 
Quelle que soit la décision de la cour d’appel de San Francisco concernant l’injonction du juge Robarts,  ce dernier a envoyé un signal clair à la Maison Blanche quant au contenu et à l’étendue des décrets que le président peut espérer signer sans risque de les voir automatiquement suspendus par tel ou tel juge. Loin d’avoir une totale liberté d’action,  ni même un mandat électoral,  le président américain sera limité dans ces décisions à ce que les juges fédéraux sont disposés à accepter. 
Au contraire des Cassandres qui prédisaient que l’élection de Donald Trump signifierait la fin de l’expérience démocratique américaine, les institutions américaines fonctionnent et le système démontre sa solidité. 

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