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"Le Concours" : original, courageux et instructif
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Gilles Tourman pour Culture-Tops

Gilles Tourman pour Culture-Tops

Gilles Tourman est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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CINEMA

LE CONCOURS

France. Couleur. Documentaire de Claire Simon.

LA REALISATRICE

Née en Grande-Bretagne, en 1955, Claire Simon passe la majeure partie de son enfance dans le Var. 

Étudiante en ethnologie, arabe et berbère, elle décroche des stages de montage grâce à la Cinémathèque d’Alger. 

Après quelques courts métrages en autodidacte, fin 70, son passage aux Ateliers Varan lui révèle sa passion pour le cinéma direct. Elle réalise La police, court métrage primé au Festival de Belfort (1988). En 1991, elle tourne la série TV  Scènes de ménage dans laquelle Miou-Miou, femme au foyer, effectue son travail en pensant tout haut à sa vie conjugale. Un an plus tard, sortRécréations, documentaire sur les “intrigues” se nouant dans la cour de récréation d’une école maternelle. Le film paraît en salles en 1997, année où elle réalise son premier long métrage de fiction, Sinon, oui, inspiré de l’histoire vraie d’une femme qui s’invente une grossesse et vole un enfant. 

Elle alterne depuis œuvres de cinéma et de télévision avec la même originalité et le même regard pointu sur notre monde. Retenons, parmi son immense filmographie où la fiction et le documentaire font bon ménage, Les bureaux de Dieu (2008), avec Nathalie Baye, Nicole Garcia, Isabelle Carré en conseillères du planning familial (Grand Prix de la SACD à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes), Gare du Nord (avec Nicole Garcia, François Damiens, Reda Kateb, Monia Chokri) où elle compare notre vie sur terre à un passage dans une gare, le très remarqué Le bois dont les rêves sont faits (2015), sur le bois de Vincennes comme paradis perdu. Le film est nominé pour le Prix Louis-Delluc 2016.

THEME

Février. Mille deux cent candidats franchissent le lourd portail de la Fémis (Ecole Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son), rêvant de réussir au concours qui leur permettra de faire carrière dans le cinéma comme scénariste, réalisateur, technicien, costumier… 

Six mois plus tard, les résultats s’affichent.

Entre temps, nous avons partagé les espoirs et les doutes des candidats comme les interrogations des jurés.

POINTS FORTS

Attention à ne pas se laisser piéger par le synopsis ! Sous couvert de nous faire pénétrer dans les coulisses du temple français de la formation aux métiers du cinéma, Claire Simon, ex directrice du département réalisation de l’Ecole, nous offre un regard pointu sans être didactique, engagé sans être polémique, sur le processus de sélection dans notre pays, dépassant de loin le cadre de la Femis.

Il faut donc, tout en se laissant guider par le plaisir qu’offre le récit vivant, passionnant et dynamique, être attentif aux clins d’œil de la mise en scène : l’ouverture du portail par lequel tout à coup les mille jeunes vont s’engouffrer rappelle le Metropolis de Fritz Lang (1927), l’entrée par les coulisses semble nous prévenir que tout en étant réel, Le concours n’en est pas moins un film monté selon un point de vue. Pour preuve, plans gros, moyens, larges ou très larges, fixes ou en travellings, se succèdent, parfois mobiles, parfois concentrés sur les réactions des candidats et des jurés. Pour découvrir les saisons qui passent, il faut observer les vêtements des examinateurs ou les rares plans sur l‘extérieur. On croit être dans un huis clos quand en réalité deux lieux ont servi (Nanterre et la Femis). 

Enfin, au fil du documentaire, la masse des élèves du début se désagrège en individus dilués au sein d’un groupe (celui de leur option) puis en candidats attendant leur tour, seuls, avec leur angoisse. Le cinéma, dans son art de l’illusion, quoi !

Comme l’annonce d’entrée le Directeur, “Dans cette école, pas de cours ni de profs”. Uniquement des gens de la profession (scénaristes, réalisateurs, distributeurs, producteurs, techniciens) qui changent chaque année et ont pour désir profond de transmettre leur passion, leur savoir-faire et “l’image” de cette institution, de réputation mondiale, où la méritocratie républicaine est en action. 

Pas d’a priori, donc. Ce qui donne parfois lieu à des échanges savoureux (cf infra "UN EXTRAIT"). Et pourtant, malgré toutes les bonnes volontés, quel étonnement est le nôtre de constater combien la photo finale des soixante heureux lauréats est d’une éclatante monochromie...

POINTS FAIBLES

Curieusement, l’intelligence de la mise en scène. En se voulant faussement neutre, en laissant le film s’expliquer par lui-même, à l’instar de son collègue américain Frédérick Wiseman (At Berkeley– 2013, National Gallery 2014, In Jakson Heights – 2015), une référence dans le genre, voire Raymond Depardon chez nous (Les habitants - 2016), Claire Simon prend le risque du déjà vu dans un nouveau décor. C’est peu à peu qu’on réalise combien ce documentaire est profondément politique, lucide et questionnant. Pas du tout sous la forme d’une prise de tête mais bien par l’attention qu’il exige pour profiter pleinement de ses finesses.

EN DEUX MOTS

“Il s’agissait pour moi de filmer le pro­cessus (de sélection). Ne pas le personnaliser en suivant un candidat ou un jury, mais suivre le scénario que notre méritocratie républicaine a inventé. Tous égaux mais seuls les meilleurs… Voir comment chacun interroge et tente de faire ce qu’il croit être le mieux, qu’il soit jury ou candidat. (…) Filmer le processus du concours m’est toujours apparu comme un acte citoyen. Filmer les humains aux prises avec un système tel que le concours d’entrée d’une grande école me passionne. (…) Ce que nous voyons est l’histoire de tous, une chose publique pensée par la République. (…) Et c’est en connaissant ce lieu de sélection, de jugement qu’on peut mieux mesurer qui nous sommes, nos idéaux, et nos aveuglements.“ Claire Simon.

On repense, dubitatif à Pierre Bourdieu et au couple de sociologues Pinçon-Charlot (Les ghettos du Gotha). Au finale : Prix du meilleur documentaire cinéma à la biennale de Venise 2016.

UN EXTRAIT

Ou plutôt trois:

- “Il faut sélectionner selon notre désir et non selon les choix finaux de l’ordinateur”. Un membre du jury.

- “Il en faudrait quinze qui sortent du lot : sept garçons et huit filles. Une asiate, une noire, un rebeu… Qu’en plus, ils viennent de toute la France. Et pour faire plaisir à Patricia et Sylvie, des pauvres (rires).” Une examinatrice épuisée par leur volonté d’ouverture d’esprit.

- “Une génération d’hommes invisibles a enfanté une génération qui vit ses rêves”. Un élève (qui sera retenu)

RECOMMANDATION : EXCELLENT

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