Macron / Le Pen : le week-end de l'affrontement entre la France “de l'enthousiasme et de la fraternité” et celle du “repli et du déclin” (pour la France majoritaire, cherchez ailleurs) <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Macron / Le Pen : le week-end de l'affrontement entre la France “de l'enthousiasme et de la fraternité” et celle du “repli et du déclin” (pour la France majoritaire, cherchez ailleurs)
©Reuters

Asymétrie

Si les projecteurs sont tous braqués sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen les 3 et 4 février, cela n'égaillera pas pour autant de nombreux Français de droite. Ceux-ci craignent en effet de voir la victoire leur passer sous le nez, et la bonne santé de ces deux concurrents n'a rien pour les rassurer.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Ce week-end, Emmanuel Macron animera un grand meeting à Lyon pendant que Marine Le Pen lancera sa campagne de candidate du Front National. Pourtant, si leurs dynamiques semblent positives, ne néglige-t-on pas la présence d'une France majoritaire, aujourd'hui oubliée par les médias, coincée entre ces deux candidats ?

Vincent Tournier : Oui parce que, d’une certaine façon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen correspondent à deux pôles très antagonistes dans l’électorat. Emmanuel Macron incarne un pôle que l’on pourrait qualifier de libéral et internationaliste, alors que Marine Le Pen représente un pôle de nature plus autoritaire et nationaliste. Entre ces deux pôles, il existe évidemment de multiples situations et combinaisons possibles, mais il y a vraisemblablement la place pour un électorat qui ne se reconnaît pas dans les deux tendances précédentes. C’est un électorat qui est à la fois libéral et autoritaire, ou libéral et identitaire. Il est inquiet devant certaines évolutions, attache de l’importance à l’ordre et à la nation, critique l’immigration et ses effets, mais qui ne rejette pas pour autant le libéralisme des mœurs. La meilleure preuve que cet électorat existe, c’est le score de Nicolas Sarkozy au premier tour de 2007.

A lire également sur notre site : "Grand meeting de Lyon : Emmanuel Macron, le candidat copier-coller"

A l’époque, Nicolas Sarkozy a fait une remarquable poussée en proposant un programme qui combinait deux mots d’ordre : le travail (doublé de la critique de l’assistanat) et l’identité nationale, donc un thème libéral et un thème autoritaire-nationaliste. Le succès de François Fillon à la primaire des Républicains confirme qu’il existe un large espace électoral disponible pour ce type de positionnement. Bien sûr, l’électorat de la primaire ne reflète pas exactement celui de la droite dans son ensemble, mais cela donne quand même une indication. Cela permet de penser que François Fillon dispose d’une importante réserve de voix. C’est aussi pour cela que la question de son retrait est difficile. S’il s’en va, Alain Juppé est le mieux placé pour lui succéder du point de vue « légal » puisqu’il a fini en seconde place ; mais du point de vue de la stratégie électorale, ce n’est pas évident. C’est d’ailleurs pourquoi il n’est pas exclu que Nicolas Sarkozy refasse parler de lui. Remarquons que le premier responsable politique qui a lancé le débat sur le retrait de Fillon est George Fenech, lequel est justement un soutien de Nicolas Sarkozy.  

Entre la France “ouverte et généreuse” de Macron et France du “repli” de Le Pen, quelles sont les valeurs que défend la France de droite et qui sont occultées par l'affaire Fillon ?

Il est normal que les médias soient polarisés sur l’affaire Fillon. C’est une affaire qui a progressivement pris de l’ampleur et qui s’est révélée bien plus importante que prévue. Du coup, ses effets risquent d’être massifs. En particulier, si la candidature de François Fillon explose en vol, ce qui est maintenant une hypothèse hautement plausible, il pourrait bien y avoir des répercussions en cascades sur le système politique. On ne peut pas exclure, à ce stade, que se produisent des recompositions car on voit bien que la gauche et la droite connaissent des fractures internes très fortes. La gauche de type Macron pourrait très bien se rapprocher de la droite de type Juppé, ainsi évidemment que du centre de Bayrou. A gauche, Hamon et Mélenchon sont-ils radicalement différents ? Quant à la droite, une partie des Républicains ne peut-elle pas opérer un rapprochement avec le FN, au moins avec la tendance Philippot ?

En même temps, la polarisation sur l’affaire Fillon présente un inconvénient majeur : elle conduit à mettre de côté tous les grands débats que l’élection présidentielle était censée aborder. C’est d’ailleurs le côté paradoxal de la campagne actuelle : la question de l’islam est devenue un clivage majeur, au point de fracturer la droite et la gauche, mais le débat sur l’islam est toujours au point mort. Toutes les questions qui devraient être posées sont mises en retrait. Ces questions concernent la laïcité dans tous ces aspects puisque les manifestations religieuses se développent dans les entreprises, les hôpitaux, les universités, les crèches. Cette mise en retrait peut se comprendre car les partis n’ont pas intérêt à ouvrir un débat interne qui risque ne pourra qu’aggraver les tensions. Mais l’intérêt des partis ne recouvre pas l’intérêt général. Le drame serait que l’élection de 2017 se contente de survoler ces questions et laisse ces débats en jachère. 

Qu'est-ce qui ne peut satisfaire un électeur de droite dans les programmes respectifs de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron ?

Comme la plupart des électeurs, les électeurs de droite sont partagés entre des désirs contradictoires. Ils peuvent être séduits par la volonté de contrôler l’immigration et de lutter contre l’insécurité, mais aussi par le désir d’ouvrir les frontières et de donner plus de libertés aux individus. Leurs choix dépendent aussi des réticences qu’ils peuvent avoir pour l’une ou l’autre de ces personnalités. C’est pour Marine Le Pen que le blocage est le plus important car, pour nombre d’électeurs, le FN continue d’incarner un parti dangereux, même si certaines de ses propositions sont approuvés. Pour Emmanuel Macron, le blocage résulte moins d’un interdit sur sa personne que sur l’incertitude qui l’entoure, d’autant qu’il vient de la gauche.   

Cela étant, il est difficile de répondre de manière claire à votre question dans la mesure où, pour Marine Le Pen comme pour Emmanuel Macon, on est toujours dans un grand flou artistique concernant leurs programmes. Il est même intéressant de relever que ce sont ces deux candidats qui ont le plus cultivé le secret. Le contraste est ici frappant avec les candidats aux primaires, que ce soit au PS ou aux Républicains, qui ont tous pris grand soin de dresser une longue liste de propositions, et encore avec Jean-Luc Mélenchon qui a fortement investi dans la préparation et la diffusion de son programme. Avec Macron et Le Pen, c’est à se demander si le programme n’est pas devenu superflu. Le silence d’Emmanuel Macron est d’autant plus énigmatique qu’il est nouveau en politique ; on aurait donc pu s’attendre à ce qu’il mette l’accent sur ses propositions, ce qui n’est visiblement pas le cas. Pour Marine Le Pen, ce déficit d’informations est moins frappant parce qu’elle est connue. Mais on pouvait quand même s’attendre à ce qu’elle mette en avant son programme, ne serait-ce que pour montrer le caractère novateur de son projet depuis l’exclusion de son père. Or, son programme ne sera présenté que dans les jours qui viennent. 

Pourquoi ces deux candidats ont-ils donc fait un tel choix ? La raison doit sans doute être recherchée dans leur situation d’outsider. En se présentant comme des candidats antisystème, ils misent d’abord sur leur image de contestataire, mais aussi sur le fait que les autres candidats vont s’entredéchirer. L’un comme l’autre ont pensé qu’il valait mieux rester en retrait, à travailler leurs réseaux et leur image. Rester à l’écart des grandes polémiques leur permet aussi de rallier plus facilement les déçus des autres partis. En somme, ils ont misé sur le fait que le système politique est en crise, que les autres partis vont s’affronter durement et qu’il ne sert à rien d’entrer trop tôt dans la bataille si on veut éviter de prêter le flanc à la critique avec des propositions clivantes. Cette stratégie ne peut pas s’éterniser. Les candidats vont devoir étaler leur jeu, tout en cherchant à atténuer les polémiques. Cette préoccupation permet de comprendre l’annonce récente de Marine Le Pen concernant la peine de mort : elle sait que son programme va être scruté et contesté par les journalistes ; elle tente donc de déminer le terrain en annonçant qu’elle ne compte pas demander de manière explicite le rétablissement de la peine de mort. Il sera intéressant de voir comment, dans son programme, elle tente d’équilibrer les propositions fortes qui visent à rappeler sa dimension hors-système et les propositions plus tempérées destinées à conforter sa respectabilité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !