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Espoir sur le front des anti-douleurs : les avancées des neurosciences permettent d’espérer un monde où les traitements ne riment plus avec la dépendance ou les overdoses
©Reuters

Quand la souffrance meurt

Le laboratoire pharmaceutique américain Trévéna a développé un nouvel antidouleur : l'Oliceridine. Selon les premiers résultats des essais publiés par le site du Musée Smithsonian de Washington, ses effets seraient plus rapides, plus puissants que la morphine habituelle. Il aurait l'avantage de supprimer les effets secondaires indésirables.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Des recherches menées par Trevena, un laboratoire pharmaceutique américain, ont permis de mettre au point un nouveau médicament qui est en cours de test, l'Oliceridine. Il s'agit d'un anti douleur plus puissant que la morphine, mais dépourvu de ses effets secondaires les plus dangereux. Quelle est le principe d'action de cette molécule ? En quoi se distingue-t-elle de la morphine ? Quel pourrait-être son champ d'application ? Cette molécule est elle d'ores et déjà l'étude en France ?

Stéphane GayetL’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé de classer les médicaments analgésiques (médicaments qui suppriment ou atténuent les douleurs, sans modifier de façon importante l’état de conscience, à la différence des narcotiques qui provoquent un sommeil artificiel ou narcose) en trois niveaux appelés paliers. Le palier I s’adresse aux douleurs faibles à modérées, le palier II aux douleurs modérées à intenses et le palier III aux douleurs intenses à très intenses.

Les douleurs ayant résisté aux produits des paliers I et II nécessitent la mise en route d'un traitement opiacé (palier III). Mais, pour les douleurs initialement très intenses, on peut d'emblée débuter par le palier III. Les opiacés sont les dérivés de l’opium. Ce dernier est directement issu du latex du pavot somnifère ou Papaver somniferum. La morphine est le principal alcaloïde (c’est-à-dire une substance azotée basique et insoluble dans l’eau, produite par un végétal) de l’opium. Elle est la chef de file des analgésiques opiacés, c’est le produit de référence (quant à l’héroïne, il s’agit d’un dérivé semi-synthétique de la morphine : elle a autrefois été utilisée comme analgésique, mais ne l’est plus). Les analgésiques de palier III ne doivent pas être réservés aux seuls malades cancéreux : leur prescription est uniquement conditionnée par l'intensité de la douleur (pourtant, un traitement par la morphine est encore, pour beaucoup de personnes, synonyme de mort et de situation irréversible). Il existe une très grande variabilité d’un individu à l’autre des doses nécessaires pour soulager les douleurs et il n’y a aucune limite supérieure définie a priori. En principe, si la morphine est prescrite selon les règles, il n'y a pas de risque de toxicomanie (addiction) ; il faut insister sur ce point. En France, la prescription d'opiacés nécessite l'utilisation d'ordonnances sécurisées et doit être rédigée en toutes lettres, y compris les chiffres indiquant la posologie (dose), sans dépasser la durée légale de prescription de chacun d'eux (7, 14 ou 28 jours selon le produit).

La morphine a une excellente activité pharmacologique, mais ses effets secondaires gênent son utilisation. Ce sont : la constipation qui est constante, les nausées et les vomissements qui surviennent chez un tiers des patients lors de la mise en route du traitement, la confusion ou les hallucinations qui peuvent nécessiter de diminuer les doses ou d’associer un neuroleptique, la somnolence en début de traitement qui correspond à un sommeil récupérateur en rapport avec une dette de sommeil due à la douleur, ainsi que la rétention d'urine (globe vésical) qui est relativement fréquente, en particulier chez le sujet âgé. En revanche, la dépression respiratoire, tant redoutée, n'est pas à craindre avec le schéma thérapeutique recommandé (augmentation progressive des doses). De la même, façon l’addiction (toxicomanie) à la morphine n’est pas le fait de sa seule utilisation thérapeutique, du moins quand elle est prescrite selon les règles.

En raison de ses effets secondaires souvent gênants, on cherche depuis des décennies des produits ayant une activité pharmacologique du même type que la morphine, mais avec une bien meilleure tolérance. La mise au point du tramadol de niveau ou palier II (TOPALGIC) a déjà été un énorme progrès, car cet analgésique est assez bien toléré, mais il est moins puissant que la morphine. L’oliceridine (TRV 130) – encore en développement - apporte une analgésie plus rapide que la morphine, mais elle ne semble pas avoir une tolérance significativement meilleure. Elle serait surtout intéressante pour traiter les douleurs postopératoires. En revanche, la molécule PZM 21 – également en développement, mais depuis très peu de temps - a un effet analgésique comparable à celui de la morphine, mais il dure beaucoup plus longtemps, et ce produit ne provoque pratiquement pas d'effet indésirable sur la respiration. De plus, il semblerait que le PZM 21 génère moins d’addiction que la morphine et les produits apparentés. La TRV 130 et la PZM 21 restent bien sûr des analgésiques opiacés. Comme la morphine et tous les opiacés, ces produits agissent directement sur le système nerveux central. Ils bloquent l’influx nerveux douloureux (dit nociceptif) en se fixant sur les récepteurs appelés opioïdes. Tous les opiacés agissent schématiquement de cette façon. La douleur ne parvient plus aux centres nerveux qui en temps normal reçoivent ces messages. Ces deux molécules ne sont donc qu’en développement. Leur commercialisation n’est pas pour demain. Il est certain que, dans la mesure où de nouveaux opiacés tels que ces deux-là arriveront dans l’arsenal thérapeutique, on pourra avec plus de sécurité et de confort soulager un grand nombre de patients, pour lequel on est aujourd’hui parfois un peu désarmé.

La morphine, produit dérivé de l'opium est très addictive. Aux Etats-Unis, depuis 1999, les cas d'overdoses et de sur-prescriptions ont quadruplé. Quelle est la situation pour la France ? Les prescriptions de morphine ont-elles entraînées une hausse des overdoses comparables ? La France est elle également touchés par cet inquiétant phénomène d'addiction ? 

Il a fallu attendre le XXe siècle pour que la morphine connaisse une réglementation à des fins strictement médicales. En effet, durant ce siècle, les deux guerres mondiales firent littéralement exploser la consommation de morphine. Durant la Première Guerre mondiale, elle était utilisée en tant qu’antalgique (médicament diminuant la perception des sensations douloureuses), pour soigner les nombreux blessés, mais également pour des soins palliatifs avec un usage important dans la pratique de l’euthanasie.

La consommation de morphine, au niveau mondial, a plus que quadruplé entre 1992 et 2011, passant de 10 tonnes à plus de 42 tonnes. Cependant, il existe de nombreuses variations des quantités utilisées entre les pays, du fait de leur réglementation ou de l’utilisation ou pas de la morphine dans la prise en charge de la douleur. En 2011, ce sont les États-Unis qui ont consommé le plus de morphine. Avec plus de 23,1 tonnes, ce pays a absorbé plus de la moitié de la production mondiale (55 %). Ensuite, on trouve le Canada et le Royaume-Uni (chacun 3 tonnes, soit 7 % du total), la France (2 tonnes, soit 5 %), l’Autriche et l’Allemagne (chacun 1,9 tonne, soit 4 %), puis l’Australie et la Chine (chacun 1 tonne, soit 2 %). Cependant, si l’on étudie le détail de cette consommation, il faut regarder le nombre de doses quotidiennes consommées par million d’habitants et par jour. Dans ce cas, ce ne sont plus les États-Unis qui occupent la tête du classement, mais l’Autriche. L’explication de la forte consommation de morphine par ce pays est simple. En effet, la morphine y est utilisée, certes pour le traitement de la douleur, mais également pour le traitement de substitution de la dépendance aux opiacés. En France, les 2 tonnes de morphine consommées se répartissent sur différentes spécialités pharmaceutiques. Selon l’enquête OPPIDUM 2012 (Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse) effectuée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et du réseau des CEIP (Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance), enquête menée principalement dans des centres de soins pour usagers de drogues, 76 % des personnes ayant déclaré consommer du sulfate de morphine (SKENAN) signalent l’avoir obtenu de manière illégale. La morphine, principalement sous forme de sulfate, fait donc l’objet en France d’une toxicomanie à partir d’un médicament commercialisé. Le trafic est principalement alimenté par des usagers réguliers de ce médicament qui pratiquent eux-mêmes un commerce clandestin. Les stratégies pour se procurer légalement ce médicament en quantité suffisante pour effectuer un commerce rentable ne manquent pas… La toxicomanie (addiction) à la morphine est donc bien réelle en France, mais elle est extrêmement difficile à estimer sur le plan quantitatif.

Quels sont les espoirs pour ces patients ? L'oliceridine est elle une solution ? Dans l'attente, quels sont les moyens permettant aux patients de sortir de cet engrenage ? 

Médicalement, les effets secondaires de la morphine et de ses proches dérivés sont assez bien maîtrisés par les professionnels de santé. Il s’agit d’analgésiques de niveau III, d’efficacité remarquable. Ainsi, on a les moyens de soulager presque toutes les formes de douleur aujourd’hui, sans parler du traitement de leur cause (traitement dit étiologique). La toxicomanie, l’addiction à ces médicaments opiacés, n’est en principe due qu’à un mésusage - non médicalement encadré ni prescrit - d’analgésiques opiacés. Mais il faut préciser que la morphine est cependant moins addictive que l’héroïne, et elle est même parfois proposée pour son sevrage (substitution).

Parmi les analgésiques de palier III, entre le chlorhydrate de morphine injectable, le chlorhydrate de morphine oral, la morphine orale simple ou à libération prolongée, le fentanyl, l’hydromorphone, l’oxycodone et la buprénorphine, on a tout de même pas mal de formes commerciales à notre disposition. À un degré inférieur, c’est-à-dire au palier II, le tramadol et la codéine rendent de grands services et, sous réserve de la tolérance de leurs effets secondaires (constipation notamment), ils peuvent être largement utilisés, notamment en raison du fait qu’ils ne sont pas contraints par les règles de prescription des analgésiques opiacés. C’est radicalement différent… jusqu’à ce que l’on mette fin à cette relative, mais bien confortable liberté.

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