Comment Lehman Brothers a tué mon entreprise<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Comment Lehman Brothers
a tué mon entreprise
©

SOS PME en danger

Le 15 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers se déclare en faillite. Ce jour-là, Nicolas Doucerain ne sait pas encore que cet événement sera à l'origine du dépôt de bilan de Solic, son cabinet de recrutement. "Ma petite entreprise a connu la crise" raconte comment cet épisode historique a changé sa vie. (Extrait 1/2).

Nicolas Doucerain

Nicolas Doucerain

Nicolas Doucerain est entrepreneur. Depuis l’âge de 20 ans, il préside le cabinet Solic, spécialisé dans le conseil en ressources humaines et en recrutement.

Il anime par ailleurs la plateforme « Nos PME ont du talent », qui regroupe des acteurs du monde de l’entreprise désirant faire progresser la cause entrepreneuriale en France.

Voir la bio »

Tout au long du week-end, des informations alarmistes ont circulé au sujet de Lehman Brothers. La banque d’affaires est au bord de la faillite. Ce lundi 15 septembre 2008 au matin, des tractations sont encore en cours pour sauver ce qui peut l’être.
Voilà plus d’un an que l’instabilité des marchés pèse sur l’économie mondiale. Les gros cabinets de recrutement comme Solic commencent à en percevoir les effets sur l’emploi. Dès le printemps 2008, des signes de tension sont apparus chez nos clients de l’industrie et des services financiers. Sans aller jusqu’au gel des embauches, les volumes de recrutement ont accusé un ralentissement par rapport à l’année précédente.

Cette tendance s’est notablement accentuée au cours de l’été. J’ai dû prendre une série de mesures d’économie en plein mois d’août. Heureusement, septembre s’annonce plus prometteur.

Dans l’après-midi, Henri, mon associé en charge de la direction commerciale, vient frapper à ma porte : 
«T’as vu les infos? Lehman Brothers a été mis en faillite. » 

La nouvelle fait les gros titres. Sur le site du Monde, un bandeau rouge écarlate répercute l’information. Visiblement, le pessimisme est monté d’un cran par rapport au week-end. À la lecture de la presse, un chiffre dépasse mon entendement : l’établissement aurait accumulé plus de 600 milliards de dollars de dette. Par l’irresponsabilité de nombreux prodiges de la finance, c’est le PIB d’un État comme la Turquie qui risque d’être ainsi dilapidé. Une fracture, dont on découvre chaque jour un peu plus la profondeur, sépare décidément le monde de la finance et l’économie réelle.

À 18 heures, mon téléphone sonne. À l’autre bout du fil, la directrice des ressources humaines d’Invest Banking, l’une des principales banques d’affaires françaises. Nous venons d’entamer pour elle une série de huit missions de recrutement, qui constitue l’un de nos plus beaux succès commerciaux de ces dernières semaines.

«Nicolas Doucerain?
— Bonjour Nicolas, Véronique Chamier à l’appareil. Écoutez, je n’ai pas une très bonne nouvelle à vous annoncer…»
Les muscles de mon cou se tendent, je retiens ma respiration.
« J’imagine que vous avez entendu comme moi les infos au sujet de Lehman Brothers. Alors écoutez, je ne vais pas tourner autour du pot. Nous avons eu un comité de direction exceptionnel, où il a été décidé de geler tous les recrutements.
— Pardon?
— Je suis désolée. »

Incrédule, j’ai du mal à saisir le lien de cause à effet entre la faillite d’une banque de Wall Street et la réduction du carnet de commandes d’une PME d’Issy-les- Moulineaux. Invest Banking reporte sine die tous les recrutements. Véronique Chamier me fait part de l’affolement des dirigeants de l’établissement. Dans l’expectative la plus totale, ils manquent de visibilité sur l’état de leurs bilans financiers. Une partie de leurs actifs, dans des proportions encore inconnues, sont placés en produits dérivés de type subprimes ; ceux-là mêmes qui viennent de faire plonger Lehman Brothers. Des mesures d’économie drastiques se profilent. Et Véronique Chamier doute que la situation soit meilleure chez les concurrents :

«Tout le monde a un peu joué avec le feu sans savoir vraiment comment l’éteindre. »
Stupéfait, je vais trouver Henri.
«Très mauvaise nouvelle. Je viens d’avoir la DRH d’Invest Banking. Ils annulent toutes les missions ! Ils stoppent tout. Gel des recrutements. Ils flippent pour leur bilan, qui pourrait être bourré d’actifs toxiques.
Ils ont eu un comité de direction exceptionnel toute la journée, ils ferment le robinet.
— Tu plaisantes ? On avait combien de recrutements chez eux ? Sept ou huit, quelque chose comme ça ?
— Huit ! On vient de perdre 60000 euros!»

Henri n’en revient pas plus que moi. C’est la première fois que nous devons faire face à une annulation sèche de tant de contrats. Il faudra prévenir demain matin les consultantes concernées et voir avec Marion, leur responsable, sur quelles missions elles pourraient être affectées en attendant la signature de nouveaux contrats. […]

En à peine deux mois, du 15 septembre au 15 novembre 2008, cent quinze missions de recrutement sur deux cent dix sont annulées ou reportées sine die. Tout au long de cette période, pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle désastreuse ne nous parvienne, laissant une équipe commerciale tétanisée et des consultants plongés dans des abîmes d’angoisse. […]

Ce mardi 16 septembre 2008, lorsque s’achève la conversation avec le directeur des ressources humaines d’ Assuranciel, je suis pourtant loin d’imaginer qu’un an plus tard, deux tiers des emplois de Solic auront disparu et que le cabinet luttera pour sa survie après avoir été placé en redressement judiciaire.

_______________________

Extrait de Ma petite entreprise a connu la crise, Bourin Editeur (23 février 2012)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !