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Pourquoi le réel développement économique des pays africains ne suffira pas à absorber une croissance démographique 12 fois supérieure à celle de l’Europe
©Reuters

Tendance forte

Selon Eurostat, la croissance de la population africaine a été 12 fois supérieure à celle de l’Europe au cours des 20 dernières années, rendant impossible toute capacité de faire vivre une telle population malgré des chiffres de croissance impressionnants.

Atlantico : Les dernières estimations de l'Union européennes sur le développement démographique et économique de l'Afrique semblent confirmer celles des Nations Unies que vous aviez commenté pour nous dernièrement. On constate aussi que la croissance économique est très forte dans la zone africaine (152% depuis 2006). L'est-elle suffisamment pour éviter les migrations Sud-Nord massives prévues par de nombreux observateurs ?

Laurent ChalardSi la croissance économique du continent africain apparaît soutenue ces dix dernières années, analyser ces données sans tenir compte de l’évolution démographique et du niveau de départ du PNB, n’a aucun sens.

En effet, la croissance démographique de l’Afrique ayant été en moyenne de 2,5 % par an entre 2005 et 2015, elle contraint le continent à maintenir des taux de croissance économique très élevés, d’au moins 5 % par an, pour permettre un réel progrès du niveau de vie moyen des populations. En conséquence, une partie de la croissance économique est mécaniquement annihilée par la pression démographique, les créations d’emplois étant, bien souvent, insuffisantes pour absorber dans sa totalité la main d’œuvre, de plus en plus nombreuse, qui arrive chaque année sur le marché du travail.

Parallèlement, étant donné l’ampleur du retard de développement, la croissance économique en volume de l’Afrique demeure, pour l’heure, limitée, l’analyse des pourcentages étant trompeuse. Par exemple, entre 2005 et 2015, si la croissance du PNB du continent africain a été près de six fois plus importante en pourcentage que celle de l’Union Européenne, ce qui est une bonne nouvelle, par contre, elle n’a représenté que moins du tiers de la croissance économique européenne en volume ! Le PNB par habitant demeure donc très faible, d’autant que les richesses sont très inégalement réparties entre les individus.

Cette situation fait que l’Afrique se présente aujourd’hui comme un vaste réservoir d’une main d’œuvre jeune et pléthorique que le continent risque d’avoir du mal à absorber dans sa totalité, d’où la probable persistance d’un nombre non négligeable de candidats aux migrations Sud-Nord, en gardant en tête, que si ces flux peuvent apparaître massifs en volume, ils ne le sont guère en pourcentage. Par exemple, lorsque 400 000 africains rejoignent l’Europe en une année, cela correspond à moins de 0,1 % de la population totale du continent !   

La zone principalement concernée, le Sahel et une partie de l'Afrique subsaharienne est souvent francophone et maintient des liens symboliques et économiques réels avec la France. Quel rôle la France a-t-elle a joué dans ce tournant démographique majeur ? Se distingue-t-elle des autres acteurs, par exemple dans les zones anglophones ?

Les pays francophones d’Afrique subsaharienne se caractérisent globalement par une fécondité et une natalité plus élevée que les autres pays du continent, en particulier les anciennes colonies britanniques, ce qui constitue un frein important au développement de leurs économies. En effet, contrairement aux pays anglo-saxons qui considèrent que les politiques de limitation des naissances font partie des éléments primordiaux à mettre en oeuvre par les Etats africains pour enclencher un décollage économique, la France, dont le rôle d’inspirateur des politiques de développement reste majeur dans ses anciennes colonies, ne les a jamais sérieusement incitées à réduire leurs naissances, du fait d’une domination des thèses natalistes en France. Ces dernières, qui peuvent éventuellement se justifier dans un pays à faible natalité, apparaissent totalement inadaptées dans des pays où la pression démographique sur l’environnement est très importante, ce qui est le cas des pays du Sahel, comme le Mali, le Tchad ou le Niger, Etat à la fécondité la plus élevée de la planète, soit toujours plus de 7 enfants par femme en 2015 ! Manifestement, la politique d’aide au développement de la France a complètement occulté l’enjeu démographique. Investir dans une vraie politique de limitation des naissances aurait des conséquences bien plus positives sur l’économie des pays concernés qu’une aide au développement dont l’inefficacité est reconnue.

Les projections laissent présager des très fortes vagues de migrations : doit-on se résoudre aujourd'hui à ce que ces exodes "massifs" provenant d'Afrique aboutissent bel et bien un jour en France ?

Tout d’abord, il faut se méfier des projections, surtout en ce qui concerne les migrations, car il est très difficile de distinguer les migrations d’ordre structurel, liées à un déséquilibre de développement entre différentes régions du monde, des migrations d’ordre conjoncturel, consécutives de crises géopolitiques majeures, comme ce fut le cas pour la crise des réfugiés syriens en Europe à l’été 2015. Il est donc impossible aujourd’hui de déterminer précisément un volume de flux structurel d’immigration de l’Afrique vers l’Europe. Si le potentiel migratoire africain est important, le contexte international peut accentuer comme fortement ralentir les migrations. Par ailleurs, il convient de se rappeler que la majorité des migrations ont lieu à l’intérieur des Etats africains ou entre eux, des territoires les plus pauvres vers ceux qui connaissent un début développement, en gros, à l’heure actuelle, essentiellement de l’intérieur du continent vers les littoraux, qui concentrent les grandes métropoles, portes ouvertes vers le reste du monde. D’ailleurs, une mégalopole est en cours de formation le long du golfe de Guinée, d’Accra au Ghana, voire d’Abidjan en Côte d’Ivoire, jusqu’à Lagos au Nigeria.

En conséquence, l’existence d’une immigration de masse vers l’Europe, et plus particulièrement la France, est une hypothèse crédible, mais qui n’est pas inéluctable. La combinaison de plusieurs facteurs pourraient conduire à une limitation de son impact : - la baisse drastique de la fécondité, déjà bien engagée dans des pays comme la Tunisie et le Maroc au Maghreb, le Rwanda, le Kenya, l’Ethiopie ou encore l’Afrique du Sud, - une augmentation du taux de croissance économique pour atteindre en moyenne 10 % par an, ce qui permettrait au continent de rattraper partiellement son retard de développement en un laps de temps réduit, sur le modèle de la Chine, seule l’Ethiopie connaissant des taux de cet ordre à l’heure actuelle, -  la fin des conflits armés qui gangrènent de nombreux pays africains depuis leur indépendance et sont sources de migrations, le Soudan en constituant un exemple-type, - la mise à mal du mythe de « l’eldorado » européen, qui ne correspond pas aux conditions de vie réelles des immigrés africains, qui sont loin d’être idylliques.

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