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Travail : Il y a urgence à nous adapter car les robots n’attendront pas pour agir
©Capture d'écran Youtube

bonnes feuilles

Réparer l'homme, oui ; l'augmenter, pour quoi faire ? Si, en matière de connaissance, il est « interdit d'interdire », en matière de manipulation, il peut s'avérer nécessaire de refuser certaines retombées des découvertes issues de nos laboratoires et de nos observations. Pour Guy Vallancien, le transhumanisme éclairé s'appuiera sur cinq piliers indissociables : partager les informations afin de décider dans une conscience accrue des enjeux qui concernent notre avenir commun ; participer activement et sans état d'âme au développement de l'intelligence artificielle et à la construction des robots, à la condition qu'Homo Artificialis soit seulement adapté à nos besoins; soulager et réparer celles et ceux qui subissent maladies, traumatismes physiques, psychiques et sociaux innombrables ; refuser catégoriquement les dérives qui tendraient à augmenter l'homme au seul bénéfice d'un surcroît de puissance et de longévité ; et, enfin, promouvoir l'éducation nécessaire pour être en capacité de décider au-delà des seules opinions fluctuantes et irrationnelles. Guy Vallancien mène une réflexion éthique et philosophique sur les dérives de la robotique médicale, et signe un essai érudit qui plaide pour un nouvel humanisme articulé autour de « l'objet numérique à l'intelligence supérieure » que sera Homo Artificialis.

Guy Vallancien

Guy Vallancien

Guy Vallancien est un chirurgien français, professeur d'urologie à l’université Paris Descartes, membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie nationale de chirurgie. Il a fondé et préside la Convention on health analysis and management (CHAM) et l'École européenne de chirurgie.

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Les économistes divergent sur le taux de pertes des métiers traditionnels et leurs prévisions restent aléatoires tant le changement de système est brutal. Entre l’ingénieur de haut vol et l’aide-soignante qui rassure la personne âgée malade en lui tenant simplement la main, il n’y aura quasiment plus de place pour les personnes à formation intermédiaire. Pour accompagner cette mutation dans les formes de travail, c’est à une refonte magistrale de l’éducation et de la formation, initiale ou continue tout au long de la vie qu’il faut s’atteler. Il s’agit de multiplier les écoles de formation professionnelle high tech, de les munir de nouveaux outils pour doter le pays du personnel capable de répondre à cette offre qui émerge, au lieu d’encombrer les universités d’étudiants dont 50 % ne terminent pas un cursus coûteux et inadapté à la vie qui les attend. Le Japon est un exemple de l’intégration réussie des robots dans la vie économique et domestique. Ce pays vieillissant a fait le choix de la robotique plutôt que de l’immigration. Le taux de robots actifs y est le plus élevé au monde, quand le chômage est à 5,5 %. De quoi faire rêver nos responsables politiques ! La machine ne tue donc pas l’homme : elle le replace au centre du système productif dans des rôles de contrôle et de relation, qui sont ses qualités premières. En France, nous semblons incapables de promouvoir une politique affichée de réel changement des conditions de travail, nous pataugeons dans des concepts passéistes datant de la révolution industrielle. Quand on observe la panique à l’idée qu’Airbnb concurrence les hôtels ou qu’Uber ringardise les taxis, on mesure le décalage entre l’émergence des technologies créatrices d’emplois et leur diffusion acceptée. Le temps d’intégration par la société des innovations majeures ne s’est pas raccourci.

Il reste d’une génération alors que les progrès technologiques s’accélèrent, rendant parfois caduques des trouvailles d’à peine deux ans d’existence. Cette vitesse de l’évolution technologique amplifie les peurs et les refus. Nous aurons donc à réfléchir sur le statut même de ces nouveaux compagnons capables d’aider ou de remplacer l’homme : Quelle puissance d’intervention, quelle responsabilité et quelle liberté leur accorder ? Le Code du robot dépassant les lois d’Asimov déclinera-t-il le droit au respect de son intégrité tout comme l’obligation de le réparer, l’interdiction de l’agresser et de le détruire ? Qu’en sera-t-il de sa responsabilité en cas d’erreur et d’accident ? Et surtout comment Homo sapiens réagira-t-il à cette mutation ? Retournera-t- il dans la forêt primitive pour y vivre de chasse et de cueillette, avant de disparaître au nom de l’évolution du vivant ? Cassera-t-il ces jouets qu’il aura créés, comme les luddites du Lancashire qui, en 1811, détruisirent à coups de massue les nouveaux métiers à tisser ? Ou bien Homo sapiens comprendra-t-il qu’Atlas, Sophia, Asimov et leurs compères, de plus en plus intelligents et efficaces, le libéreront pour rejoindre l’essentiel de ce qui fait la dignité de la vie humaine, le partage, le respect de l’autre et le soulagement de nos misères physiques, psychiques et sociales ? Adam Smith avait déjà souligné cette propension de l’homme à vivre en être social, comme il l’écrivait dans sa Théorie des sentiments moraux (38) « Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment des principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux ».

Mariage du local associatif et collaboratif avec le global planétaire numérique qui, au-delà du développement des métiers techniques, appelle à la création massive de nouveaux métiers de bio-conseil, de collaboration, d’écoute, d’intermédiation et d’empathie. Fin du salariat né de la révolution industrielle, place à l’autoentrepreneur et aux risques qui l’accompagnent ! Voilà qui explique le retour de l’idée d’un revenu universel, évoquée il y a déjà cinquante ans par Milton Friedman – revenu social adossé à la personne tout au long de sa vie, comme l’envisage Emmanuel Macron, plutôt que d’aligner des files de chômeurs, désabusés et honteux d’un sort dont ils ne sont en rien responsables. Défi gigantesque, qui vaut la mobilisation de toutes les couches sociales dans un projet que nous devrions nous empresser de tester avant d’être débordés ! Il y a urgence à nous adapter car les robots n’attendront pas pour agir. Notre société, construite sur l’industrialisation et sur les luttes syndicales du xixe siècle, ne propose aucune solution satisfaisante qui intègre Homo Artificialis dans sa panoplie. Guy Standing, économiste anglais auteur de The Precariat : The New Dangerous Class, a plaidé au dernier sommet de Bilderberg en faveur de l’expérimentation d’une telle innovation, à des années-lumière de nos minables querelles politico-syndicales. Les hypothèses de Jeremy Rifkin dans son dernier essai – La Nouvelle Société du coût marginal zéro –, malgré leur côté messianique à faire se pâmer les foules adeptes d’un nouveau monde horizontal, ne répondent que partiellement à cette mutation de l’organisation du travail. Le développement de l’internet des objets, de la transition énergétique vers la disparition des énergies fossiles et l’avènement des imprimantes 3D rendra-t-il le monde meilleur en rapprochant les hommes ?

À voir ! On a déjà entendu la chanson. L’économie collaborative ne supplantera pas intégralement un capitalisme dont la puissance augmente chaque jour puisque tout se marchandise, y compris hors des circuits de régulations étatiques. Je te conduis et tu me payes pour le faire, certes dans un circuit court mais dans une relation où l’argent est bien présent ; tu me tonds la pelouse et je te remplace ton tuyau de douche, selon les compétences de chacun. Troc tout aussi marchand sans monnaie. Je paye avec des bitcoins, tu me renvoies des ethers : les activités communo-collaboratives prennent une place grandissante qui restera relativement limitée aux côtés de l’hypercapitalisme incarné par les entreprises planétaires de l’économie numérique. Croire que les GAFA vont disparaître détrônées par les marchés locaux, alors que ces compagnies règnent sans partage sur la collection des données, la communication et la distribution des biens courants, voilà qui est naïf. La capitalisation boursière de Google et d’Apple en 2015 s’élevait à 1 065 milliards de dollars, soit près de deux fois le PIB Suisse et la moitié de celui de la France. La croissance se poursuivra encore un moment, essentiellement dans les pays en développement, mais une fois arrivés au seuil de la suffisance et du bien-être, ces mêmes pays voudront la richesse et concentreront leurs moyens économiques en utilisant à leur tour des robots. L’impact des coopératives et de la mutualisation des moyens de production et des services ne bouleversera donc pas 169 brutalement l’ordre établi : il l’accompagnera.

Le conte de fées high tech de Rifkin qui conseilla à Angela Merkel de sortir du nucléaire pour nous envoyer ses fumées de lignite autrement toxiques, et les recommandations de celui qui inspira la gauche française de passer aux trente-cinq heures montrent les limites d’un exercice intellectuel certes motivant, mais finalement assez décevant dans sa dimension concrète globale. On évoluera sans doute partiellement de la production de masse à la production personnalisée par la masse selon ses désirs et ses projets. Au paradis rifkinien les imprimantes 3D s’activeront en construisant des objets open source non brevetés, chacun contribuant par ses idées à l’amélioration des produits. L’inventeur ne gagnera donc rien sur sa découverte. Dans ce cas il faudrait supprimer la Sacem, qui rémunère les artistes via les droits d’auteur. Certes, des milliers de personnes vont travailler ou travaillent déjà chez elles en utilisant leur ordinateur portable, évitant ainsi les trajets pénibles et polluants ; certes, ces nouveaux travailleurs sont multitâches et assurent des prestations assez simples à réaliser, véritables « nomades numériques » jusqu’à ce que les robots les remplacent, ce qui ne saurait tarder. Monde idyllique qui ne résistera pas aux nécessités et à l’agressivité de la compétition internationale ! Le refrain du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » berce nos sociétés occidentales repues, prêtes à une certaine décroissance, mais les autres qui rêvent de notre confort veulent y accéder au plus vite. Trop facile de dire « Stop » le ventre plein, quand le voisin crève de faim avec dans les yeux le mirage étincelant de notre monde occidental !

Extrait de Homo Artificialis de Guy Vallancien, publié chez Michalon

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