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L’Allemagne est-elle en train 
de prendre à la France sa place 
de première puissance 
agricole européenne ?
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Bon élève

Ce jeudi, François Hollande aborde la question de l'agriculture lors d'un déplacement en Mayenne et en Sarthe. Si la filière semble en crise, elle pourrait s'inspirer de plusieurs éléments du modèle allemand, en constante progression depuis quelques années.

Vincent Chatellier

Vincent Chatellier

Vincent Chatellier est Economiste à l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique).

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Atlantico : De modèle, l'agriculture française est devenue le carrefour de toutes les difficultés, tant et si bien que l'Allemagne l'a même dépassée en matière d'exportations. Faudrait-il donc s'inspirer de ce qui se fait outre-Rhin ?

Vincent Chatellier : L’agriculture allemande ne traverse pas les mêmes difficultés que l’agriculture française. L’Allemagne a progressé assez fortement ses exports sur les marchés européens et internationaux depuis dix ans. Lorsque la France a amélioré son export de 10 milliards d’euros depuis 2000, l’Allemagne l'a augmenté de 25 milliards. En matière d’exportation, l’Allemagne est passée devant la France.

Notre pys voisin reste pourtant, au contraire de la France, déficitaire sur le plan agricole. Ils importent toujours plus qu’ils n’exportent. Leur balance commerciale reste négative. Il serait donc faux de dire que tout va bien en Allemagne. Le vrai problème de la France, c’est qu’après une balance commerciale record de 10 milliards d’euros en 1998, nous avons progressivement régressé de presque moitié. En 2009, la crise mondiale a eu un lourd impact sur l’agriculture française. Les Allemands ont été plus réactifs et se sont mieux adaptés. Ils ont su dynamiser leurs exportations agroalimentaires.

Dans la filière porcine, l’Allemagne a connu une croissance de ses volumes de production, passant de 3,9 millions de tonnes à 5,3 millions quand la France a stagné aux alentours de 2,3 millions de tonnes. Cette évolution tient au fait que les Allemands sont de grands consommateurs de viande porcine, qu’ils exportent beaucoup et qu’ils abattent les animaux élevés dans des pays voisins, comme les Pays-Bas et le Danemark. L’Allemagne bénéficie également de coûts de main d’œuvre dans les abattoirs qui sont beaucoup moins chers qu’en France grâce à l’embauche de travailleurs venus des pays de l’est européen.

Les Allemands sont également très bons dans la production de volaille. La progression enregistrée est spectaculaire. Elle plafonne aujourd’hui à 1,5 millions de tonnes contre 900 000 tonnes il y a une dizaine d’années. Là, côté français, c’est encore pire : nous avons régressé. Le dernier secteur à créer la polémique est celui du lait. Ici, la France comme l’Allemagne ont considérablement amélioré leur balance commerciale du fait d’une demande mondiale très forte. Une demande d’autant plus forte que dans l’espace communautaire, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Espagne sont largement demandeurs. Pourtant, là aussi, l’Allemagne est beaucoup plus présente à l’export vers les pays tiers.

Cette suprématie allemande n’est pourtant pas valable dans tous les domaines. Dans la filière céréale, la France reste un pays compétitif et largement excédentaire. Nous produisons deux fois plus de céréales que nous n’en consommons sur des surfaces beaucoup plus importantes que ce dont dispose l'Allemagne où le foncier reste particulièrement cher.

Comment expliquer une aussi forte progression de l’agriculture allemande dans une période où l’agriculture française est loin d’être au beau fixe ?

Il faut bien comprendre que les Allemands ne progressent pas dans tous les domaines. S’ils sont forts sur certains points, c’est grâce à plusieurs réussites stratégiques :

  • Ils ont des gains de productivité dans leur agriculture qui sont plus rapides que chez nous. Le rendement à l’hectare de terre est le même dans les deux pays mais les travailleurs allemands dans le secteur agricole sont plus productifs.
  • L’Allemagne est mieux parvenue que la France à mettre les questions environnementales au service de l’économie. En France, nous avons retranscrit les préoccupations environnementales en contraintes qui ont bloqué la préoccupation. Outre-Rhin, ils ont développé le biogaz ou le photovoltaïque en échange de contreparties économiques.
  • L’Allemagne est mieux connectée aux marchés tiers, notamment vers des pays lointains. Un client crucial est la Russie qui est un gros importateur de produits agroalimentaires. Or il est beaucoup plus facile d’exporter vers Moscou quand vous êtes à Berlin qu’à Brest.
  • Les coûts de production dans l’appareil agro-industriel sont moins élevés en Allemagne grâce au recourt à une main d’œuvre moins chère.
  • L’Allemagne a fait évoluer sa politique agricole plus rapidement que la France. Notre vision est plus conservatrice. Lorsque l’Union européenne a laissé des latitudes sur certaines politiques, les Allemands s’adaptent alors que nous avons tendance à hésiter.
  • La régionalisation de la production est plus forte en Allemagne. Les Landers n’hésitent pas à se spécialiser dans certaines cultures qui réussissent mieux dans certains secteurs géographiques plutôt que de chercher à maintenir à tout prix toutes les cultures.

La France peut-elle s’inspirer de l’Allemagne et copier certains exemples qui fonctionnent pour améliorer sa propre politique agricole ?

Il faut bien comprendre qu’il y a une grande différence entre agriculture et agriculteurs. Les agriculteurs allemands ne vivent pas mieux que les agriculteurs français. Entre l’agriculture, qui est liée à la balance commerciale, et les agriculteurs, qui sont une force de travail, vous avez le secteur agroalimentaire.

La France n’a rien à envier à l’Allemagne dans certaines filières. C’est le cas dans les céréales, que nous avons évoquées, où les agriculteurs français n’ont absolument pas à rougir. Nous pourrions peut-être observer ce qu’ils font dans le secteur laitier. Ils ont une politique plus ouverte à la compétitivité : ils ont misé sur certains bassins de production efficaces qu’ils ont choisi de spécialiser. Chez nous, il faut absolument avoir des productions de lait dans l’ensemble du pays.

Il faut surtout nous inspirer de l’Allemagne sur trois critères :

  • Leur capacité à être plus présents sur les marchés internationaux grâce à une organisation de leurs firmes qui est plus efficace et des produits commercialisés qui sont plus pertinents.
  • Le second enseignement à tirer, c’est l’utilisation des règlements communautaires sur la politique agricole commune. Les Etats membres ont la possibilité d’appliquer les normes européennes en les adaptant. En France, nous n’arrivons pas à le faire.
  • Dernier point, il faut veiller à ce que la question environnementale soit mise au profit de la création de richesse.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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