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Non, je ne remplacerai pas mon assistante par un algorithme
©Reuters

Les entrepreneurs parlent aux Français

Non je n’investirai pas dans ceux qui tuent la relation humaine. Première promesse de ma table de la Loi à moi entrepreneur.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Certaines expériences changent votre vision en vous redonnant la vue. Nous regardons sans voir comme nombre de politiques entendent sans écouter. C’est une utilisation « discount » des sens dont nous avons été dotés, un sens bien unique pour une machine aussi sophistiquée que l’homme. L’index remplace le cerveau et lui dicte ses désirs immédiats par un glissement du doigt sur l’écran. La nécessité, l’urgence, que nous impose ce monde, à qui nous le devons bien, c’est de questionner notre avenir plutôt que d’obéir à une dictature du temps court. Comment pouvons nous être aussi obsédés par la seconde qui suit, quand notre espérance de vie augmente sans discontinuer depuis les 30 dernières années. Nous n’avons jamais eu autant de temps sur le papier et aussi peu depuis l’écran. L’informatique, puis le digital n’ont pas supprimé le papier, ils sont supprimé l’intelligence. La vision. Le recul. La pensée. L’index devient l’extension du néant au lieu d’être au service de nos décisions.

Croire que la seconde qui suit est plus importante que les 2 millions d’années qui ont fait de nous ce que nous sommes et tellement plus importante que de contribuer à donner sens et contenu aux million d’années qui nous attendent sur cette terre si nous apprenons à lui rendre avec plus d’application, ce qu’elle nous offre depuis si longtemps malgré notre habilité à la piller et la violer. Puisque nous entreprenons, soyons des entrepreneurs d’un avenir brillant, sage et fou, rivé sur l’homme comme l’athlète sur la ligne d’arrivée. En respectant les règles d’un jeu dont nous ne maîtrisons pas les règles, malgré notre incroyable prétention et arrogance.

Pourquoi ce quart d’heure philosophique d’un entrepreneur qui n’a finalement rien de plus que ces congénères et devrait se contenter d’être le moine soldat de la technologie, comme tout le monde, d’admirer béatement chaque innovation uniquement pour son caractère innovant, de se pâmer devant toute start-up qui lève un peu d’argent en oubliant qu’elle ne sera plus vivante 3 ans plus tard, de grimper aux rideaux dès qu’une de nos sociétés commence à présenter les stigmates d’une future licorne et d’oublier qu’une licorne reste un phantasme sans réalité. Parler économiquement correct, en indiquant que le monde recèle d’opportunité de créer des emplois intellectuels, basés sur le savoir, la connaissance, la créativité, quand plus de 6 millions de nos concitoyens sont illettrés. Je devrais trouver génial ce dernier joujou d’intelligence très artificielle qui me permettra de me passer de mon assistante, car l’algorithme fera tellement mieux son boulot et pour tellement moins cher. Je devrais. Mais je ne le ferai pas. Je ne suis pas devenu entrepreneur pour penser comme tout le monde mais pour questionner mon monde, pour commencer modestement et questionner celui des autres, une fois l’orgueil venu !

Tout d’abord, je ne prendrai jamais d’assistante électronique. J’ai été tenté. J’avoue, car j’ai été « bluffé ». C’est tellement amusant, « fun » et impressionnant que cet algorithme donne tellement le change que chacun a l’impression qu’une personne réelle se cache derrière ces mails envoyés pour prendre mes RV. Je ne la prendrai pas, malgré la passion que j’ai pour les entrepreneurs, et leur réussite. Car j’ai décidé que je n’investirai et ne soutiendrai que ce qui me permettra de me regarder sans honte dans un miroir et dans le regard de la personne dont j’aurai supprimé l’emploi. Je ne le ferai que lorsque les entrepreneurs qui bâtissent ces outils, auront eu le courage d’aller voir un amphi entier d’assistantes, d’ouvriers, de cadres, en leur annonçant qu’un soir prochain, grâce à cette prouesse technologique, un homme ou une femme rentera chez elle, l’estomac rongé par la peur et la honte, et devra l’annoncer à ses enfants, son conjoint en feignant de le prendre positivement et d’en faire un levier pour une nouvelle carrière, un nouveau départ. Sans y croire une seconde. Le jour où cet entrepreneur raccompagnera cette personne à son domicile, pour expliquer à la famille de la personne évincé qu’il est tellement « fun » de le remplacer par un robot, et qu’il sortira émotionnellement vivant et intellectuellement intègre de cette confrontation, alors oui, j’investirai dans son projet. Je suis pour une technologie qui élève l’homme, et contre celle qui en supprime l’utilité.

Je connais mon assistante, elle fait un boulot incroyable. Je connais ses enfants, son mari et je ne serai jamais celui qui pointera son pouce vers le bas pour qu’un autre bourreau, loin de moi,  à la façon d’un lâche Ponce Pilate, exécute une sentence que j’aurai pris à l’abri de mon bureau, sans avoir à affronter les conséquences de mes décisions. Je ne serai pas celui qui expliquera à ses enfants que leur mère fait un job parfait, mais que pour économiser 2000eur par mois je lui ai préféré un algorithme « trop cool » et que leur mère sera tellement mieux au chômage à leurs côtés. Je ne leur expliquerai pas que malgré les lois de l’économie qui exige des consommateurs riches plutôt que des chômeurs pauvres, j’ai parié que la pauvreté du plus grand nombre, contribuerait provisoirement à mon confort financier. Non. Alors Julie Desk et autre « outil de  destruction humaine » j’ai décidé, de voter contre. Pouce en bas.

Cette réflexion m’est inspirée par ces 5 jours passés dans le Sahel en Afrique aux côtés de l’ONG « SOS SAHEL ». 5 journées à rencontrer des hommes et des femmes, qui passent leur vie, souvent bénévolement, aux côtés de ceux à qui ils promettent un moyen pérenne d’accéder à un emploi, une autonomie, une élévation sociale, une reconnaissance de leur existence. 5 jours à voir avec quelle application des centaines de milliers d’hommes et de femmes s’investissent à chercher un emploi à ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, pendant que de sombres imbéciles passent leur temps à trouver des moyens, pour l’argent, de supprimer les nôtres et nous y faire passer sous ce même seuil! Aurions nous perdu le sens commun ? Des milliards d’individus, sur cette planète sont prêts à tous les sacrifices pour sortir d’un déterminisme que l’aveuglement mondial à laissé prospérer, pendant que nos riches économies ne pensent qu’à réduire la place de l’homme dans l’humanité. Voulons nous devenir ces pauvres là ? Régresser. Humilier. De mon côté, la réponse est définitive et c’est NON.

C’est décidé, en 2017 je ne mettrai pas plus les pieds dans les incubateurs qui financent la fin de l’emploi, que dans une conférence sans femmes. Je ne mettrai de l’argent ou du temps ou la force de mes activités associatives, qu’au service du sens, de l’élévation de l’homme, et plus à quoi que ce soit qui ne nous conduira vers l’atteinte du seuil de pauvreté occidental. Je n’investirai que dans « l’open capitalisme », celui qui partage la valeur créée avec ceux qui contribuent à la créer. Je soutiendrai ceux qui auront réfléchi à l’impact humain de leurs décisions d’investissement, de leur technologie.

Car les technologies ont le pouvoir du bien, sont des arroseurs de sols arides, comme ceux que j’ai vu dans le Sahel. Laissez le désert avancer et il dévorera les terres les plus riches. Exactement ce que nous tentons de faire avec une partie de nos technologies sans contrôle, qui souhaitent faire passer la nécessité de l’emploi comme un mal absolu, pas « cool » et de faire un gadget branché de ce qui contribue à le tuer. Les technologies peuvent être notre plus belle aventure si elles ont l’homme comme obsession. Capter la condensation dans l’air et la transformer en eau pour  arroser et abreuver. Digitaliser la formation et la passer même là où internet ne passe pas en utilisant le bas débit. Permettre au chirurgien d’opérer à distance. Accéder au micro crédit au milieu de nulle part et voir des enfants qui hier agonisait de faim, quand nous jetons chaque année de quoi anéantir la faim dans le monde, avoir aujourd’hui une activité, une chance de se former et s’élever.

Engageons nous à ne développer que les technologies qui élèvent. Celle qui permettent à chacun de trouver une place dans cet avenir numérique au lieu de s’acharner à la leur voler. Il y a tant  à inventer de bon, pourquoi choisir le pire ? C’est l’enjeu de l’Europe. Offrir un modèle dont le sens alimente l’Ebitda et la planète de la même façon. Offrir un modèle alternatif aux fossoyeurs à modèle unique et offrir des technologies souples à usage individuel. Qui magnifie la différence plutôt que l’uniformité. Il y a un modèle économique pour la vertu. Il y aura une punition économique pour ceux qui la bafoue.

Nous sommes ingénieux, prouvons notre différence, acceptons et concentrons nous sur ce qui contribue au bonheur individuel et non au désespoir collectif. Le digital n’est pas un concept parrallèle qui déjoue les lois humaines, il doit être à son service ou passer son chemin. Je ferai partie de ceux qui n’ont pas honte de réussite indécente tant qu’elles auront contribué à la décence de la vie des autres. C’est décidé. Messianique ? Naïf ? Facile ? Rien à faire de la réponse, car en matière de digital je ne m’intéresserai désormais qu’aux questions.

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