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Les Libyens veulent-ils 
vraiment la démocratie ?
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Printemps arabe

Alors que les premières élections municipales viennent d’être organisées à Misrata, une des villes symboles de la révolte contre le colonel Kadhafi, un sondage sème le trouble : interrogés sur leur modèle politique préféré, seuls 12 % des Libyens appellent de leurs vœux une démocratie.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Un sondage ne fait pas l’élection mais il est inquiétant. Sondés par les universités de Benghazi et d’Oxford, le panel de Libyens indique à 25 % sa préférence pour « un seul leader fort ». 23 % soutiendraient un gouvernement de technocrates. Très logiquement, les sondés choisissent comme modèle à suivre pour la Libye les riches et autoritaires Emirats Arabes Unis (22%) plutôt que les Etats-Unis (4,6%). Les auteurs de l’étude soulignent que ce résultat n’est pas étonnant dans un pays qui n’a jamais connu de régimes démocratiques : pouvoir ottoman, colonisation italienne et monarchie du roi Idriss se sont succédé. Une nation sans expérience de la liberté, qui sort d’une longue dictature, Kadhafi ayant pris le pouvoir en 1969. Mais on aurait justement pu s’attendre à ce que les Libyens embrassent un système dont ils avaient été privés. D’autant que des élections législatives sont prévues pour juin 2012.

Cette méfiance envers la démocratie n’est pas propre aux Libyens

En 2008, l’université Oxford avait coordonné une vaste enquête sur la démocratie dans cinq Etats de l’Asie du sud (State of Democracy in South Asia, Oxford University Press, 2008). Le Bengladesh, l’Inde, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka sont  des pays qui, contrairement à la Libye, ont connu et connaissent tous aujourd’hui des régimes démocratiques. Pourtant, si 62 % des sondés affirmaient préférer la démocratie, 28 % faisaient un choix contraire. Le soutien à la démocratie était particulièrement faible au Pakistan (37%), pays que l’armée a pourtant dominé plus de la moitié du temps depuis l’indépendance de 1947. Et, pour faire avancer des projets concrets (lutte contre la corruption en particulier), les deux tiers des sondés, y compris en Inde, ne voyaient pas d’inconvénients à l’émergence d’un « leader fort qui ne s’embarrasse pas avec les élections ».

En réalité, la démocratie n’est pas le sujet

Dans le sondage de 2008, un tiers des sondés asiatiques ne répondaient pas, faute de comprendre la question, il est vrai assez conceptuelle, du « meilleur régime politique » à leurs yeux. Aujourd’hui, 18 % des Libyens sont encore analphabètes et assez éloignés de la science politique. Les préoccupations de la majorité de la population sont pratiques. Les Libyens veulent que l’Etat garantisse la sécurité alors que les milices d’ex rebelles s’affrontent souvent. Rien d’étonnant : en 1945, le rétablissement de l’ordre était aussi l’obsession des Français au moment de l’épuration (9 000 exécutions quand même). Les Libyens veulent également que l’Etat relance l’économie : le taux de chômage des jeunes oscille entre 25 et 50 % alors que le pays est potentiellement le plus riche d’Afrique.

Comme l’ont montré les victoires des partis islamistes en Tunisie, en Egypte ou au Maroc, ce sont les formations qui apportent des réponses concrètes à ces préoccupations, plutôt que les partis libéraux, plus « idéologiques », qui trouvent une audience sur le marché électoral. Une leçon à retenir pour les candidats libyens qui croiraient malgré tout, comme Churchill, que « la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres »…

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