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Beppe Grillo, le MS5 et l'incroyable résistance des populistes aux casseroles et aux errements politiques
©Reuters

Téflon

Le mouvement 5 étoiles du leader italien Beppe Grillo s'est fondé sur la lutte contre la corruption et l'euroscepticisme. Pourtant le mouvement italien a brisé ses deux promesses, symboliquement les idées pour lesquelles le peuple a élu ce mouvement ne sont plus. L'avenir du populisme italien peut nous apprendre beaucoup, voici pourquoi.

Laurence Morel

Laurence Morel

Laurence Morel est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et titulaire d’un doctorat de l’Institut Universitaire Européen de Florence. Elle a été élue en 2014 présidente du "Research Committee on Political Sociology" de l’Association Internationale de Science Politique (IPSA RC 06), également affilié à l’Association Internationale de Sociologie (ISA RC 18). Ses enseignements se situent dans le domaine de la politique comparée, de la pensée politique, de la théorie de la démocratie et de la vie politique italienne. 

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Atlantico : Le mouvement populiste cinq étoiles s’est fondé sur la lutte contre la corruption et l'euroscepticisme, pourtant le leader Beppe Grillo a reculé sur ces deux points. Que s'est-il passé, comment l'expliquer ?

Laurence Morel : Il ne faut rien exagérer, le mouvement Cinque Stelle reste crédible du point de vue de sa lutte contre la corruption et le gaspillage de l’argent public. Il a défendu durant cette législature des réformes qui vont indiscutablement dans ce sens. Simplement, il peut moins qu’avant s’ériger en modèle de vertu depuis les compromissions ou irrégularités qui ont entaché  certains de ses élus à Palerme ou à Rome. La critique est facile, mais l’art est difficile. Surtout quand on prétend exercer le pouvoir avec un personnel ex-novo, sans expérience ni  formation, recruté en grande partie par le biais des réseaux sociaux. Les déboires de la jeune maire de Rome, Virginia Raggi, s’inscrivent dans une large mesure dans ce cadre. S’agissant de l’euroscepticisme, c’est une position qui ne faisait pas partie à l’origine de l’ADN du mouvement et qui a dans une large mesure été imposée d’en haut par son leader pour intercepter des catégories sociales en souffrance accusant  l’Euro d’être à l’origine de leurs difficultés, et  rivaliser sur ce terrain avec la Ligue du Nord.

L’identité « post-matérialiste » et culturellement ouverte du mouvement à sa naissance le prédisposait plutôt à être pro-européen. La tentative récente de Beppe Grillo de rallier à Strasbourg le groupe très europhile de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE ) ne met donc pas en cause à mon sens l’identité profonde du mouvement, même s’il est indiscutable que ses positions sont bien moins favorables à la construction européenne, dont il critique notamment la bureaucratie, que celles des libéraux de Guy Verhofstadt. C’est plutôt l’entrée dans le groupe « Europe Libertés Démocratie »  aux côtés du parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni (UKIP,) au lendemain des dernières élections européennes, qui était difficilement compréhensible. Pour essayer de justifier ce choix, Beppe Grillo avait réussi à faire ajouter la référence à la démocratie directe, élément essentiel du patrimoine idéologique de sa formation, dans le nom du groupe [qui devient « Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe »], mais cela n’avait pas empêché un tollé interne (même si le choix avait été ratifié en ligne par les sympathisants du parti). En l’espèce, ce que ces incohérences montrent est la difficulté du mouvement, qui reste assez unique en son genre, à se positionner dans le paysage partisan européen – difficulté qui se heurte à la nécessité au Parlement européen d’appartenir à un groupe pour pouvoir exercer une quelque influence. Beppe Grillo n’a d’ailleurs  jamais caché de telles considérations « opportunistes » dans sa politique de rattachement à un groupe à Strasbourg. Dernièrement, il a justifié sa tentative avortée de rejoindre l’ADLE par la nécessité de préparer le futur étant donné le désinvestissement et la disparition programmée des élus de l’UKIP consécutifs au BREXIT.

Concrètement, que reste-t-il du populisme italien ? Pouvons-nous en tirer des enseignements sur ce que peut devenir le populisme une fois qu'il est au pouvoir ?

Si le populisme italien  peut sembler actuellement dans une phase de reflux, c’est moins à cause d’une  perte de crédibilité des Cinque Stelle que des échecs de Berslusconi et dernièrement de Renzi, tous deux emblématiques d’un certain populisme « de gouvernement ».  Et il est significatif que le gouvernement Renzi n’ait pas été remplacé par l’un de ces gouvernements dits  « techniques » auquel recourent périodiquement les Italiens [composés de personnalités non partisanes recrutées sur la base de leur compétence], qui ne sont que l’autre face de l’anti-politique. Ainsi l’arrivée au pouvoir de Paolo Gentiloni, digne héritier de l’ancienne élite chrétien-démocrate, marque peut-être un certain retour à une politique « normale ». Toutefois les Italiens n’ont pas participé à ce choix du nouveau président du Conseil, qui ne résulte pas de l’élection mais de la volonté des partis de gouvernement.  Seules les prochaines élections permettront de dire où en est le populisme italien.   

Les électeurs italiens se sentent-ils trahi par ces revirements politiques ? La population croit-elle encore dans les propositions du mouvement cinq étoiles ?

Le mouvement Cinque Stelle a indiscutablement perdu un peu de son lustre sous l’effet de la mise en cause de  certains de ses élus, de l’humiliation récente au parlement européen, ou encore les débordements autoritaires et plébiscitaires de son leader. Le soutien exprimé de Beppe Grillo à Donald Trump, ou le  récent durcissement à l’égard des immigrés, ont aussi revêtu un caractère choquant pour nombre de sympathisants du mouvement. Il reste qu’il bénéficie d’une dynamique très forte attestée par les sondages, qui continuent à le montrer en progression et talonnant le parti Démocrate à presque 30% des intentions de vote . 

L’électorat semble insensible aux aléas du mouvement. Cela s’explique par plusieurs raisons. La première est le manque de résultats visibles de l’action du gouvernement, qui alimente la protestation dont le mouvement est porteur. La seconde est la capacité intacte de séduction de beaucoup de ses propositions, qui allient l’exigence de moralisation de la vie politique au respect de l’environnement, à la rationalisation administrative et à la promotion d’une société participative, fortement appuyée sur le net. 

Quoiqu’on en dise, l’épreuve du pouvoir n’a pas desservi la formation de Beppe Grillo, notamment au plan local. Un classement des maires italiens sur une échelle de popularité publié ces derniers jours par le quotidien Il Sole 24 Ore fait ainsi apparaître en première position le maire M5S de Turin, Chiara Appenino, et en troisième position le maire de Parme ex-M5S Federico Pizzarotti. La capacité de résistance du mouvement tient enfin, comme l’a montré le politologue Paolo Natale, à l’hétérogénéité de son électorat, qui permet de compenser des pertes d’électeurs désapprouvant certaines positions par des arrivées d’autres électeurs qui y sont favorables. Ainsi par exemple la demande d’expulsion  des immigrés clandestins a causé une fuite d’électeurs de gauche mais attiré de nouveaux électeurs en provenance de la droite. On peut évidemment se demander si cette hétérogénéité, qui est une force dans l’opposition, le serait encore au gouvernement.

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