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La question à 1 milliard d'euros : le bilan avantages inconvénients de l'UE est il encore positif ?
©Reuters

In fine

Alors qu'il devient difficile de défendre l’Union européenne sur le plan économique, étant donné les taux de chômage dans les pays d'Europe méridionale, la question des avantages intrinsèques de l'UE se pose de plus en plus.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Atlantico : Il devient de plus en plus difficile de défendre l’Union européenne sur le plan économique, étant donné les taux de chômage atteints dans les pays du Sud. Mais l’Union européenne n’a-t-elle pas fait ses preuves sur le plan politique, en maintenant la paix sur le Vieux continent et en constituant un bloc de pays intégré pour faire face aux défis posés par la globalisation ?  

Rémi Bourgeot : La coopération européenne est une nécessité évidente, dans le contexte mondial, et c’est l’objet de l’Union européenne et de ses prédécesseurs depuis l’après-guerre. Mais reconnaître cette évidence ne dit rien quant au mode de coopération souhaitable et atteignable entre nos pays avec leurs spécificités. Dès les balbutiements du projet européen, une "avant-garde" décrète que cette coopération doit, à terme et à l’issue de crises existentielles, conduire à une construction fédérale.

 Alors que l’on met en œuvre, dès les années 1950, les fondements d’une coopération économique raisonnable entre les pays fondateurs, qui vont d’abord avoir un effet bénéfique en favorisant le rattrapage économique et les gains de productivité, le spectre fédéral hante déjà le projet européen. Il est difficile de dater précisément le début de la fin, mais la focalisation sur la convergence monétaire, dans les années 1980, marque bel et bien un emballement de la dérive bureaucratique, non seulement dans le mode d’organisation, mais surtout dans la finalité de l’Union.

Lorsque François Mitterrand et la bureaucratie hexagonale "éclairée" imposent la monnaie unique à Helmut Kohl, au tout début des années 1990, en échange du soutien français à la réunification allemande, et ouvrent ainsi la voie au traité de Maastricht, l’équilibre est définitivement rompu. A l’opposé d’une affirmation de la position française, comme le prétendait l’establishment français,  se développe une relégation dont nous connaissons aujourd’hui le paroxysme. Non seulement l’Union européenne n’a pas défendu l’Europe face aux pires effets de la mondialisation, elle s’en est fait la caisse de résonnance, dans le contexte d’une course à l’abîme exacerbée par l’unilatéralisme allemand et le romantisme bureaucratique français.

Serge Federbusch L'Union n'est pas synonyme de paix. En Asie du Sud-Est ou en Amérique vous avez des instances multilatérales qui assurent une relative concorde sans développer une bureaucratie dilatée, normative et autoritaire. Ce qui assure la paix c'est le développement équilibré entre nations non agressives. Les problèmes économiques générés par les défauts structurels de l'union sont la cause d'un mécontentement populaire qui peut un jour ou l'autre se traduire par des tensions entre états. On sent monter l'antigermanisme en Grèce ou en Italie. Demain en France?

Les divergences économiques sont croissantes entre les pays membres de la zone euro depuis qu’a été introduite la monnaie unique, alors qu’elles convergeaient davantage avant. L’euro est-il un facteur de division de l’Europe et d’affaiblissement des pays du Sud ? Ne nous a-t-il pas aussi protégés, par exemple en permettant d’importer moins cher notre pétrole ?

Rémi Bourgeot : A l’introduction de l’euro, l’Allemagne est « l’homme malade de l’Europe ». La réunification lui a coûté très cher. De plus en 1992-93, le Système monétaire européen a volé en éclat du fait de la politique monétaire anti-inflationniste de la Bundesbank, entraînant la dépréciation de nombreuses devises européennes, comme la livre sterling et la lire italienne. S’ensuivent des déficits commerciaux pour l’Allemagne tout au long des années 1990. Dans ce contexte, les sociaux-démocrates entraînés par Gerhardt Schröder saisissent l’opportunité de l’introduction de l’euro pour abaisser les coûts salariaux allemands de façon à relancer la machine à exportations et à gagner des parts de marché en Europe.

La politique salariale allemande couplée aux divergences d’inflation et aux répliques de la bulle immobilière américaine condamne les pays dit périphériques, mais aussi la France, à une perte de compétitivité brutale vis-à-vis de l’Allemagne dans les années 2000. Avec la crise de l’euro, on entre dans le domaine du surnaturel avec les politiques d’austérité non seulement imposées aux pays en crise mais que l’Allemagne met également en œuvre, refusant toute forme de soutien à l’économie européenne, en pleine crise.

Dans un espace économique intégré, la question de l’unification monétaire se pose naturellement. Mais en Europe, on constate une incapacité politique très ancrée à gérer une monnaie unique. Il ne s’agit pas d’un phénomène temporaire mais d’une réalité culturelle qui va en réalité en s’aggravant, a fortiori sous le coup du regain de populisme allemand. L’euro est au cœur de la crise des pays du sud de l’Europe et de la France ; il n’a donc guère protégé. Les quelques avantages liés à un taux de change surévalué, comme pour l’achat de matières premières, ne font malheureusement pas le poids face aux effets tragiques de la perte de compétitivité au sein de la zone euro.

Serge Federbusch : La zone euro doit être qualifiée de ce qu'elle est : un désastre. Contrairement à une idée communément répandue l'Allemagne y est entrée entre 1998 et 2002 avec une parité favorable car le mark était alors sous évalué. Cet avantage initial été évidemment accentué par à la fois la meilleure organisation de l'industrie et de l'état allemand et des délocalisations massives en Europe de l'Est régulièrement pointées du doigt par le professeur Sinn. Résultat : les avantages et défauts des uns et des autres se sont polarisés et accentués. Peu à peu la désindustrialisation ronge l'Europe du sud. Pour éviter l'explosion de l'euro la BCE rachète des montants croissants de dette. Mais l'appauvrissement du Sud n'est que différée et accentuée à terme. Tout cela conduit logiquement à la dislocation du système.

Quels sont les facteurs, démographiques, religieux (le protestantisme et le catholicisme ainsi que l’avait suggéré Emmanuel Macron détermineraient une lecture différente de la crise selon les pays) et culturels qui expliquent la divergence entre les intérêts nationaux et l’incapacité à porter un intérêt général européen ?   

Rémi Bourgeot : D’un côté la bureaucratie française rêve, depuis les débuts de la construction européenne, de présider un appareil institutionnel démesuré, à l’échelle du continent, tout en invoquant les plus hautes valeurs politiques et en se souciant peu de pragmatisme économique. De l’autre, l’Allemagne conserve une vision très nationale de la politique et en particulier de la politique économique. L’ordolibéralisme, la doctrine économique de l’Allemagne d’après-guerre, régule le lien entre l’Etat et la société, en particulier dans sa dimension économique, de façon à tourner le dos à la logique totalitaire. Le rejet des déficits et de l’inflation s’inscrit dans ce cadre en s’inspirant par ailleurs du monétarisme. Cette doctrine a considérablement contribué à la remise sur pied de l’Allemagne d’après-guerre mais elle s’avère désastreuse lorsqu’il s’agit de gérer un ensemble hétéroclite de nations et à habiller une culture de l’unilatéralisme.

Par ailleurs, la démographie connait des évolutions inattendues, du fait de la crise, avec l’effondrement de la natalité dans des pays comme l’Espagne. En Allemagne, la faiblesse de la natalité mais surtout le vieillissement de la population aggravent les réflexes politiques de focalisation sur les rentes.

Par ailleurs, on peut effectivement s’amuser à retrouver sur certaines questions, comme l’ont suggéré Macron et bien d’autres, la dichotomie entre protestantisme et catholicisme. On trouve surtout dans les errements européens des bureaucraties française, italienne et espagnole de lointains échos de la culture politique de l’Empire romain. Les cultures politiques de pays catholiques comme la Pologne et l’Irlande, qui divergent de celle des pays latins à cet égard, invalident cependant une lecture strictement religieuse des divergences européennes.

Quels enseignements doit-on tirer du constat que vous avez posé précédemment ? L’Union européenne est-elle réformable de l’intérieur, et si oui quelle direction prendre ? L’Europe fédérale est-elle encore un horizon possible ? 

Rémi Bourgeot : Il faut, plus que jamais, trouver la voie d’un nouveau mode de coopération européenne. L’alignement de la bureaucratie française sur l’Allemagne est à la mesure de sa méconnaissance de la culture allemande. Sur une note qui pourrait paraître anecdotique, on peut voir une certaine cohérence entre la "germanolâtrie" du gouvernement français et la destruction méthodique de l’apprentissage de l’allemand dans le secondaire.

Le tropisme bureaucratique français, avec ce que cela implique de déresponsabilisation politique, a ouvert la voie à une gestion unilatérale de l’économie européenne par l’Allemagne. Cette construction souffre d’une instabilité fondamentale, comme l’illustre non seulement nos déconvenues économiques et la situation désastreuse de la jeunesse européenne mais aussi et bien sûr le départ du Royaume-Uni.

Le projet fédéral est mort mais il n’a pas encore été enterré, en particulier par l’establishment français qui croit encore, malgré l’évidence, que l’Allemagne voudrait le ressusciter. Force est de constater que les leaders politiques qui prétendent incarner un renouveau ne sont pas à ce jour à la hauteur de l’enjeu. Les gesticulations narcissiques et finalement conformistes des Renzi, Tsipras et Macron rendent peu crédible, pour l’heure, l’hypothèse d’un renouveau par l’intermédiaire d’une nouvelle garde de dirigeants.

Aussi grave que soit cette situation de déséquilibre entre l’Allemagne et ses voisins, le FN accomplit l’exploit de parvenir à dessiner un horizon encore plus alarmant. Marine Le Pen n’en finit ainsi plus de tendre la main aux crypto-néonazis d’Alternative für Deutschland, semblant ignorer que la haine de la France est consubstantiel à l’extrême droite allemande et que l’AfD ne fait en aucun cas exception à la règle.

Malgré les blocages qui affectent la situation européenne, la remise en cause bien plus générale, dans les pays anglophones en particulier, de l’ordre commercial des trente dernières années installe un climat intellectuel propice, qui dépasse très largement la personne du nouveau président américain. L’ébranlement des croyances économiques et le retour à la question de la localisation productive pourraient permettre la prise de conscience européenne de ce que le statu quo actuel, et l’unilatéralisme qui le caractérise en particulier, ne constituent pas une fatalité.

Serge Federbusch : L'union approche de la croisée de son chemin. Soit elle fait un pas de géant avec un budget, un trésor, une dette, une fiscalité et en conséquence des taux d'intérêt communs. Soit les tensions s'exacerberont jusqu'à l'éclatement. Mais la première option nécessiterait une forme d'euthanasie des classes politiques nationales. Comme elle n'aura pas lieu nous verrons le retour presque la revanche des nations. Cela correspond du reste à un mouvement planétaire.

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