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Le match des sondeurs : 
Nicolas Sarkozy peut-il être réélu ?
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Opignons

Selon le baromètre CSA/20minutes publié mardi soir, si au second tour François Hollande l'emporterait avec 56% des voix, l'écart au premier tour entre le candidat PS (28%) et Nicolas Sarkozy (27%) ne serait plus que d'un point.

Bruno Jeambar - Jérôme Fourquet - Jean-Marc Lech - Jérôme Sainte-Marie

Bruno Jeambar - Jérôme Fourquet - Jean-Marc Lech - Jérôme Sainte-Marie

Bruno Jeambar est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway.

Jérôme Fourquet est directeur adjoint du Département opinion publique à l'IFOP.

Jean-Marc Lech est le fondateur et coprésident de l'institut de sondage IPSOS.

Jérôme Sainte-Marie est directeur du département politique-opinion de CSA.

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Atlantico : L’élection présidentielle de 2012 est-elle déjà jouée, ou, selon vous, l’écart entre François Hollande et Nicolas Sarkozy peut-il encore se réduire ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : Ce serait une première dans l’histoire de la présidentielle française qu’un candidat avec autant de retard en février réussisse à le combler et à l’emporter au final. Mais ce n’est pas parce que cela ne s’est jamais produit que cela n’arrivera pas. En 2002, ça ne s’était jamais produit que l’extrême-droite arrive au 2nd tour, et c’est pourtant arrivé…

Jérôme Fourquet (IFOP) : A trois mois de la présidentielle, nous avons un candidat qui bénéficie du niveau de popularité le plus bas (à échéance identique) de toute la Ve République pour un Président sortant. Il est clairement en grande difficulté, en position de challenger.

Quand on se reporte au passé, on a coutume de dire que c’est à la mi-février que le paysage commence à se stabiliser. On voit bien qu’avec nos marges d’erreur (environ 2 points) si nos sondages restent ce qu’ils sont (29% contre 27% à l’IFOP) des surprises au premier tour sont encore possibles. En revanche, pour le second tour, la messe semble dite. Jamais nous n’avons vu un écart aussi significatif s’inverser en deux mois.

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Tous les présidents sortants précédents partaient de plus haut que Nicolas Sarkozy à la fois en intention de vote (au 1er comme au 2nd tour) et en popularité. Valéry Giscard d’Estaing bénéficiait ainsi, à la même époque, en 1981 d’une popularité bien meilleure que celle de Nicolas Sarkozy aujourd’hui ; et pourtant il a perdu. La caractéristique de cette élection de 2012 c’est qu’il y a un parallélisme entre le pronostic de victoire et le souhait de victoire chez l’électeur. Je n'ai jamais vu ça, malgré les sept dernières élections présidentielles que j’ai suivies. Pour quelle raison ? Sans doute le phénomène d’hyper-président conduit à une élection présidentielle qui tend à se résumer à un référendum « pour ou contre Nicolas Sarkozy ».

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Ce serait effectivement une première mais, en même temps, les circonstances sont tout à fait originales. Nous avons très peu de comparatif sur une élection où le Président sortant se représente, dans la mesure où les réélections de François Mitterrand et de Jacques Chirac se sont déroulées après une période de cohabitation. Au fond, le seul cas comparable est celui de Valéry Giscard d’Estaing en 1981.

Un retournement est-il encore possible ? Qu’est ce qui pourrait changer la donne ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : Une chose très simple : aujourd’hui, le 2nd tour entre Hollande et Sarkozy, se déroule autour de la question : « Est-ce qu’on garde Nicolas Sarkozy ? ». La réponse est clairement non pour les Français, pour le moment et je ne crois pas qu’ils puissent changer d’opinion sur cette question-là. En revanche, si l'interrogation se transforme en : « Qui choisir entre Hollande et Sarkozy ? », les choses pourraient bouger en faveur du président de la République actuellement en fonction. Celui-ci devra donc renverser la logique du 2nd tour qui fonctionne actuellement comme un référendum contre lui.

Jérôme Fourquet (IFOP) : Il peut toujours y avoir un événement majeur de campagne ou un phénomène politique, géopolitique ou économique. Une attaque terroriste, une catastrophe naturelle, un réflexe d’union nationale. François Hollande qui ne mesurerait pas l’ampleur de la chose et Nicolas Sarkozy qui serait à la hauteur de la situation. Il y avait eu des inondations dans le nord de l’Allemagne lors d’une précédente élection : Gerard Schröder, donné comme battu, avait alors quasiment refait son retard car il avait été très bon dans cette affaire-là.

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Je ne vois qu’une chose pour changer la donne : que Nicolas Sarkozy vienne à la télévision avec Dieu à ses côtés. Les spin-doctors qui travaillent pour le Président sortant font des fautes stratégiques assez importantes. Par exemple, le Président a utilisé 88 fois le mot « France » dans son discours de Marseille, et jamais le mot « Français ». Or, si vous proposez des référendums, il est nécessaire de s’adresser aux Français, et non à la France.

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Pour l’emporter, il faudrait que Nicolas Sarkozy retrouve un niveau qui le mette en situation de profiter des opportunités de la campagne. On va voir si le mouvement actuel qui le rapproche des 30% au premier tour se confirme. Un choc exogène non prévu est toujours susceptible de se produire, que ce soit une accélération de la crise financière ou un conflit militaire, par exemple entre Israël et l’Iran.

Nicolas Sarkozy semble guère progresser dans les sondages malgré son annonce officielle de candidature…

Bruno Jeambar (Opinion Way) : Il n’y a pas de changement majeur suite à l’entrée en campagne du président de la République. Ce n’est pas une surprise car ce n’est pas une candidature choc ; on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait un changement fondamental. Pour autant, en conclure que, parce qu’après l’entrée en campagne, il n’est pas tout de suite remonté dans les sondages, c’est aller très vite en besogne et faire comme s’il n’y avait pas aussi des électeurs qui mettaient du temps à réagir.

Jérôme Fourquet (IFOP) : Depuis son entrée en campagne, le Président bénéficie pour nous d’une réelle progression : il se rapproche clairement de François Hollande au premier tour (29% pour le candidat socialiste contre 27% pour le président sortant, selon les chiffres de l’IFOP). De plus, il creuse un écart assez substantiel avec Marine Le Pen ce qui n’était pas le cas il y a un mois. Quasiment 10 points les séparent désormais : 27% contre 17,5 % pour la candidate Front national.

Ce frémissement en faveur de Nicolas Sarkozy reste toutefois à confirmer sur un plus long terme. Pour deux raisons essentielles : on a remarqué dans le passé que lorsqu’un Président sortant rentrait en campagne, il y avait toujours un petit effet mécanique et les rapports de force sur le second tour demeurent très défavorables au Président sortant.

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Il y a effectivement un réel frémissement. C’est vrai au premier tour, ça l’est encore plus au second. La ligne très offensive sur les valeurs qui reconstruit le clivage gauche/droite produit ses effets. La prise en charge de problématiques qui intéressent en premier lieu les électeurs du Front national pourrait également être électoralement bénéfique au premier tour et plus encore au second.

Ce qui est intéressant, c’est que les mouvements en termes d’intention de vote concernent pour l’instant davantage les électeurs de François Bayrou que ceux de Marine Le Pen. Nous assistons en fait à une reprise de confiance en soi d’un électorat de droite qui allait vers un candidat de centre droit faute de mieux. En revanche, il y a encore de très mauvais reports de voix en faveur de Nicolas Sarkozy parmi les électeurs du FN, ce qui tend à montrer qu’il existe là une forte marge de progression.

Est-ce à dire que la stratégie politique menée par Nicolas Sarkozy depuis son entrée en campagne porte ses fruits ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : La stratégie retenue jusqu’à maintenant porte ses fruits dans une perspective de premier tour où il s’agit de rassembler son camp, notamment l’électorat de droite dont une partie avait un peu de vague à l’âme tant que le candidat ne s’était pas vraiment déclaré. Nicolas Sarkozy bénéficie donc de nouveau d’un stock solidifié et stabilisé autour de 27%, très proche de sa performance de 2007.

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Je pense qu’il y a deux lignes suivies : celle de Patrick Buisson déroulée lors de l’interview au Figaro magazine et de la déclaration de candidature au 20 heures de TF1 ; et celle d’Henri Guaino avec les deux discours d’Annecy et de Marseille. La première correspond à la pratique référendaire de l’hyper-présidence et à la personnalisation du pouvoir : c’est une faute car ce faisant, les Français se souviennent d’un Président qu’ils n’ont pas aimé. La seconde exalte la France Républicaine mais en même temps a quelques difficultés à concéder les échecs du bilan du quinquennat. Aucune de ces deux lignes n’a d’effet dans les enquêtes, en tout cas, dans les nôtres.

Jérôme Fourquet (IFOP) : Ce positionnement d’un Président-candidat qui essaye de rassembler son camp n’est pas classique. Un Président sortant joue en général sur le côté rassembleur. Or, les annonces qui sont faites sont clairement destinées à sa famille politique et sa famille répond plutôt présent.

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Si un phénomène aussi attendu que l’annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy réussit à faire bouger les lignes c’est bien que les Français n’ont pas fixé définitivement leur choix.

Quel impact pourrait avoir la crise dans cette élection ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : C’est à double tranchant. Cela peut jouer en faveur de Nicolas Sarkozy et de son expérience mais les électeurs peuvent aussi préférer opter pour quelqu’un de nouveau, de différent. La prudence est de mise, d’autant plus que la situation internationale –à la fois économique et géopolitique- est tendue : on voit bien que la crise financière de l’euro revient tous les 15 jours sur le devant de la scène, avec de nouveaux évènements qui pourraient influencer le résultat du 1er tour.

Jérôme Fourquet (IFOP) : Depuis son entrée en campagne, Nicolas Sarkozy parle de référendum, de proportionnelle, mais très peu de la dette ou du triple A. Je pense qu’il a fait le diagnostic que parler de la crise renvoyait inéluctablement à son bilan qui n’est pas bon. La dette est colossale et il y a un million de plus de chômeurs qu’en 2007, c’est très compliqué de venir défier le candidat socialiste là-dessus.

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Les Français pensent que la crise est utilisée par les dirigeants politiques pour essayer de se relégitimer. Ils estiment que celle-ci est exagérée. Parler de la crise c’est ipso facto parler de façon démagogique. Et puis, c’est une façon d’échapper à son bilan. En vérité, les Français se préoccupent de sujets dont le Président ne parle pas et le Président parle de choses qui ne préoccupent pas les Français.

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Il est très difficile pour un pouvoir en place de se maintenir en période de chômage de masse. La crise entraine une période d’alternance beaucoup plus forte. C’est une chose que l’on constate partout en Europe.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il disposer d’un réservoir de voix suffisant entre le premier et le second tour ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : Pour l’instant, au 2nd tour, Nicolas Sarkozy dispose de deux réservoirs potentiels : l’électorat Bayrou et l’électorat Le Pen. Pour Sarkozy, l’enjeu consiste à inverser la tendance de l’électorat Bayrou à préférer François Hollande. Pour ce qui est de Marine Le Pen, le problème est autre : un électeur sur deux du FN ne choisit pas entre Hollande et Sarkozy. Tant que ce sera le cas, le rapport de force électoral pour le président de la République n’ira pas en sa faveur. Faire bouger l’électorat Le Pen et Bayrou est donc indispensable pour Nicolas Sarkozy. La difficulté c’est que cela l’oblige à s’adresser à deux types d’électeurs différents.

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Quelques soient les estimations de résultats au 1er tour, les résultats sont toujours stables au 2nd tour et donnent de façon constante François Hollande gagnant au minimum à 54%.

Un président de la République en exercice, hors période de cohabitation, peut-il être réélu en France ?

Bruno Jeambar (Opinion Way) : En fait, aucun Président n’a été réélu alors qu’il exerçait le pouvoir. Hormis le Général De Gaulle mais De Gaulle n’avait pas été élu au suffrage universel direct pour son 1er mandat (à l’époque l’élection se faisait par vote des grands électeurs). Le seul Président en exercice qui se soit présenté, hors période de cohabitation, c’est Valéry Giscard D’Estaing en 1981, et il a été battu.

Jérôme Fourquet (IFOP) : Il y a une règle qui est claire : celui qui porte la responsabilité opérationnelle et exécutive du pouvoir est à chaque fois balayé. Cela fait en vérité 35 ans que nous sommes en crise. Le problème du déficit se pose de plus en plus. Le chômage augmente. Il y a naturellement un mouvement de balancier dû à une impopularité liée à l’exercice du pouvoir en période difficile. Mais il n’existe pas de règles sans exceptions...

Le sondage IPSOS publié ce mardi matin fait état d’un écart de sept points entre Nicolas Sarkozy (25%) et François Hollande (32%) au premier tour. Le sondage CSA de mardi soir indique que les candidats sont au coude à coude (27% pour Nicolas Sarkozy contre 28% pour François Hollande). Qui croire ?

Jean-Marc Lech (IPSOS) : Je n’explique pas cet écart. Je suppose que cela signifie que certains sondeurs se trompent. C’est tout le problème des sondages : on ne voit l’erreur qu’après l’élection. Chacun poursuit sa route, travaille techniquement comme il l’entend, mais certains se trompent. C’est le jeu des intentions de vote. Certains ont peut-être envie de faire plaisir à leurs clients...  A partir du moment où les sondeurs divergent les uns des autres, il y aura des gagnants et des perdants. Pour ma part, je suis très serein. Le fait que les sondages divergent permet à chaque électeur de se faire une idée personnelle du score final.

Bruno Jeambar (Opinion Way) : C’est logique qu’il existe des différences : dans les deux cas, on se situe dans des intervalles de confiance, c’est-à-dire une marge d’erreur des sondages. Il faut être prudent et rappeler qu’il y a des votes difficiles à mesurer, notamment le vote FN, en particulier dans cette élection où il y a eu changement de candidat au sein de ce parti.

Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Il y a un élément qui tient au calendrier. Nous avons des sondages qui ont été fait vendredi et samedi et d’autres lundi. Certains prennent en charge complètement la séquence, d’autres non. Ces écarts correspondent effectivement à une ampleur assez inédite. Nous plaçons les commentateurs et les citoyens dans une situation un peu compliquée puisque nos différences, tout à fait légitimes, d’analyse et de choix de pondération finissent par engendrer une certaine perplexité chez le lecteur. Ce qui obligerait l'électeur , si la situation devrait perdurer, à choisir son institut de sondage. C'est totalement impossible pour lui car il ne sait pas ce qu’il se passe à l’intérieur. Le plus simple consiste donc à laisser retomber un peu la poussière et à voir la tendance qui va se dégager prochainement dans les sondages.

Propos recueillis, séparément les uns des autres, par Aymeric Goetschy

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