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Le perturbant modèle polonais : croissance non stop et dérive autoritaire... Une vision de notre avenir ?
©Reuters

Fin de l'histoire

Jusqu’à présent on pensait que le progrès économique était égal à progrès démocratique. Ce qui se passe en Pologne prouve bien le contraire, et contre les thèses de Fukuyama. Malgré une constante croissance et une bonne résistance à la crise de 2008, la Pologne voit progresser les populismes et les demandes d'autoritarisme.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : La Pologne est un exemple atypique, elle bénéficie d'une croissance forte et est décrit comme le "bon élève de l'Europe". Pourtant le pays connait, comme ailleurs, une montée des populismes, dans quelle mesure cet exemple remet-t-il en cause l'idée que le progrès économique induisait forcément le progrès démocratique comme l'explique Fukuyama avec la "Fin de l'Histoire" ?

Rémi Bourgeot : La Pologne connait une croissance appréciable du fait de son rattrapage économique. La situation économique du pays n’est certes pas idyllique puisque le pouvoir d’achat ne progresse plus comme il y a quelques années et que la convergence avec les standards des pays développés n’est pas complète. Après l’écrasement communiste et les difficultés de la transition, la situation actuelle de la Pologne devrait tout à fait entrer dans le cadre d’un apaisement libéral si l’on se fie à la vision de Fukuyama. Et c’est, avec la vague de populisme actuelle, plutôt le contraire que l’on observe.

Cette situation est par ailleurs généralisable à l’Europe centrale où l’Union européenne n’est pas en odeur de sainteté et où un véritable malaise politique se fait sentir. Dans le cas polonais, même si l’on s’intéresse à une figure politique très modérée telle que celle de Donald Tusk, actuellement Président du Conseil européen, on entend un son de cloche extrêmement différent de celui de ses camarades des institutions européennes. Il passe son temps à alerter ouvertement contre l’utopie d’une Europe post-politique et post-nationale et le retour de bâton populaire que cela ne peut que finir par entraîner.

Le progrès économique continu freine bien les phénomènes politiques les plus extrêmes. Les épisodes les plus violents de l’histoire adviennent généralement dans des contextes économiques difficiles. Pout autant, des statistiques de croissance économique ne suffisent pas à définir une société humaine et un projet collectif. On entend beaucoup la Pologne exprimer une certaine hostilité vis-à-vis de la Russie, mais si l’on creuse la question, on se rend compte sans surprise qu’une névrose historique plus profonde, et compréhensible, s’exprime vis-à-vis de l’Allemagne. Or, la structuration industrielle de la Pologne postcommuniste s’est faite autour de son voisin occidental, comme sorte d’hinterland manufacturier pour marques allemandes. Il apparait clairement, dans le même temps et notamment en France, que ne s’est pas créée une communauté de destin autour de l’Allemagne qui connait elle-même un renouveau national qui ne dit pas son nom, sur la base d’une culture de l’unilatéralisme bien ancrée.

Est-ce que l'exemple polonais pourrait être un exemple, un miroir de ce qu'il pourrait se passer en France ? 

En France, on voit la situation matérielle devenir critique pour une catégorie importante de la population, en particulier les jeunes (même les plus éduqués désormais). On pourrait donc plutôt se demander pourquoi la situation politique n’est pas davantage affectée par la relégation économique de ces populations. La campagne présidentielle actuelle est particulièrement préoccupante à cet égard. On voit des candidats tels qu’Emmanuel Macron aller prôner depuis Berlin un alignement plus profond et encore plus systématique que sous Hollande et Sarkozy, alors que l’approche « Merkozy » était déjà la risée du monde au début de la décennie. Cette fuite en avant, sur fond d’affaissement de la base industrielle, fait craindre une accélération du délitement du système politique une fois passée l’euphorie des élections.

On voit certes une réémergence des idées souverainistes en France mais force est de constater qu’aucune manifestation institutionnelle structurée de cette tendance n’est pour l’heure au rendez-vous. Le FN a repris, dans les grandes lignes, le discours souverainiste en matière économique mais tout en conservant sa propre plateforme xénophobe. Marine Le Pen se maintient, malgré ses scores électoraux, à la marge du système politique français tout en pratiquant le pire style bureaucratique et en esquissant une entente consternante avec les crypto-néonazis de l’Alternative für Deutschland.

Finalement, si certains craignent le retour d'un régime autoritaire à la Augusto Pinochet, est-ce que le modèle vers lequel nous nous dirigeons n'est pas plus un régime comme celui que l'on trouve à Singapour ?

Le modèle de Singapour est celui d’une Cité-Etat paternaliste. Son modèle politique n’est certes pas libéral mais le caractère inclusif de son modèle social est indéniable. Avant même son enrichissement fulgurant, l’Etat singapourien est né du refus par l’élite malaise locale d’opprimer la communauté chinoise de la cité, face aux injonctions malaisiennes. Quant au Chili de Pinochet, il s’est agi d’un système très autoritaire et d’une expérimentation économique libérale de type radical sous la houlette des « Chicago boys » comme Milton Friedman. Ces deux pôles de comparaison sont intéressants en effet. Le modèle économique suivi par Pinochet appartient au passé, les idées de l’Ecole de Chicago ayant été profondément discréditées dans le monde anglophone par la crise financière. Le modèle économique singapourien est très volontariste et repose sur un important effort éducatif, aussi bien en termes de moyens que de méthodes d’apprentissage. A cet égard, c’est peu dire que notre Education nationale n’est pas à la hauteur.

En France, la tendance suivie au cours des quatre dernières décennies est celle d’un primat bureaucratique radical, de la destruction de l’élite scientifique et de la déresponsabilisation sous forme de prétendue convergence monétaire avec l’Allemagne, le tout saupoudrée de références théoriques au libéralisme et à la modernité. Bien que les débats politiques actuels soient inquiétants, en particulier sur les sujets européens, il faut espérer que nous finirons par prendre le train de la remise en cause générale du modèle économique qui se produit en Angleterre et aux Etats-Unis depuis bientôt une décennie.

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