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Christiane Taubira pense que la droite a gagné la guerre idéologique alors que la victoire est encore loin
©Reuters

Tournant idéologique

"Elle (la gauche) s’est soumise à l’hégémonie culturelle de la droite, au sens où l’a analysée Gramsci, en adoptant ses codes et son langage", a déclaré Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux, à l'hebdomadaire "Le 1". Même si l'on ne peut nier que les idées de droite ont conquis la majorité de l'opinion publique, les élites ont encore du mal à tourner la page.

Atlantico : "Elle (la gauche) s’est soumise à l’hégémonie culturelle de la droite, au sens où l’a analysée Gramsci, en adoptant ses codes et son langage". Cette déclaration, de Christiane Taubira a été publiée das un entretien donné à l'hebdomadaire "Le 1" Pensez vous que l'ancienne garde des sceaux a raison de faire cette affirmation ? 

Maxime Tandonnet : Mme Taubira fait probablement allusion à la fracture qui fut à l'origine de son départ du gouvernement. Il est vrai qu'en faisant du thème de la déchéance de la nationalité un axe fort de leur politique, après les attentats de Paris le 13 novembre 2015 , le chef de l'Etat et le gouvernement ont repris un thème qui se rattache plutôt à l'idéologie de droite. Au-delà, Mme Taubira pense peut-être à la politique de maîtrise de l'immigration, revendiquée par la gauche au pouvoir voire le discours sécuritaire. Dans le domaine économique, elle pense aussi à la "politique de l'offre" et au "pacte de responsabilité" en faveur de l'entreprise.

La vérité, c'est que la clivage gauche/droite s'efface devant le clivage responsabilité/démagogie, au-delà des postures et de la communication. Une fois aux affaires, dans des sociétés ouvertes sur l'Europe et sur la mondialisation, sauf à déclencher un cataclysme, le parti au pouvoir est contraint de se soumettre aux réalités. Que serait une vraie gauche aux yeux de Mme Taubira? Le renoncement à la maîtrise des flux migratoires? La fin de la répression de la délinquance? La suppression de l'entreprise privée? De fait, une partie de la gauche est tentée par cette fuite en avant en proposant les "32 heures" et le revenu universel qui aboutirait à sortir d'une société de travail pour entrer dans un système d'assistanat généralisé. On entrerait alors dans une logique d'autarcie, de repli et d'effondrement de la société française. Dès lors que la gauche accepte de gouverner, elle doit se rallier à une logique de responsabilité et adapter son discours aux réalités d'un monde ouvert. 

Pour autant, comment expliquer que la vraie pensée de droite, qu'elle soit conservatrice ou économiquement libérale est pourtant contestée par le système médiatique  français en permanence? 

Il existe une pensée dominante dans le monde médiatique, en particulier le service public radio-télévision qui semble héritée de la révolte de mai 1968 et de son mot d'ordre: "il est interdit d'interdire". Elle correspond aussi au monde issu de la fin du communisme, en 1990, qui fait de l'individualisme, de l'argent roi, et du libre arbitre, les valeurs suprêmes du monde occidental. L'autorité, l'Etat, la nation, les frontières sont considérées comme les péchés suprêmes. On prône une société de l'individu roi, du consommateur, le rejet des contraintes, les minorités contre l'unité nationale. Toute vision qui ne correspond pas à cette approche, est qualifiée de réactionnaire ou populiste, vouée aux gémonies, diabolisée. Il est difficile de dire si cette idéologie dominante est vraiment de droite ou de gauche. Elle se dit de gauche, mais de fait, elle est à l'opposée des valeurs traditionnelles de gauche, axées sur le collectif, la nation et l'étatisme.  Cette vision prédomine aujourd'hui dans les médias. Il y a des exceptions toutefois, à l'image de Yves Calvi ou de quelques autres grands journalistes qui conservent leur liberté de pensée et leur indépendance. 

Est-il possible de voir, à court terme, un glissement idéologique dans le domaine de l'édition ? Si l'on prend l'exemple du succès de "Soumission" de Houellebecq, est-ce que cela pourrait inciter et même engendrer un retournement idéologique ? 

L'édition est bien davantage pluraliste. Certains succès d'édition de ces dernières années le soulignent, pas seulement Houellebecq, mais aussi Finkielkraut, Onfray, et bien d'autres moins connus, en rupture de ban avec l'idéologie dominante.  Il faut bien reconnaître  que le monde intellectuel français depuis quelques années, voit émerger des auteurs à succès qui fustigent cette idéologie dominante dans les médias. Ils ont d'ailleurs fait de sa contestation leur marque de fabrique. Ils sont qualifiés par les médias et une partie de la presse de "nouveaux réactionnaires". Quand leurs adversaires sont démunis de capacité à argumenter sur le fond, ils s'attaquent aux personnes et tentent de les faire taire au moyen de l'intimidation morale et de l'insulte. Phénomène nouveau, ces auteurs semblent ne plus craindre le lynchage médiatique et la stratégie de l'injure. Même l'épouvantail de l'amalgame injuste avec le "lepénisme" semble ne plus fonctionner. Le retournement idéologique a bien lieu, il s'étend à travers la contestation du communautarisme, du sans frontiérisme et du multiculturalisme. Il se répand dans le monde intellectuel mais n'atteint pas encore les médias radios et la télévision qui restent largement verrouillés. 

Vu la défiance de la population vis-à-vis des médias, peut-on encore dire qu'ils ont un pouvoir d'influence sur l'opinion publique ? Est-ce que ce taux de défiance ne devrait pas les inciter à eux aussi opérer un glissement idéologique ? 

Non, les médias ne cessent de donner des leçons de morale idéologique mais ne sont plus vraiment écoutés. On l'a vu en Grande-Bretagne avec le vote pour le Brexit, présenté comme une calamité par l'essentiel des médias ou aux Etats-Unis avec l'élection de M. Trump, la bête noire du monde médiatique. En France, les primaires de la droite et du centre ont déjoué tous les pronostics des sondages qui depuis deux ans donnaient M. Alain Juppé large vainqueur.  Dans le sondage annuel CEVIPOF, les médias sont la seconde institution en laquelle les Français ont le moins confiance après les partis politiques... La majorité silencieuse est bien plus intelligente que ne le pensent les élites et sent bien les tentatives de lavage de cerveau. Toutefois, il me semble que le monde médiatique n'a aucun intérêt à opérer un basculement idéologique. L'idée de passer d'un extrême à l'autre me semble une très mauvaise idée. Je pense simplement qu'ils devraient rester dans leur rôle qui est d'informer, sur une base la plus impartiale possible et pluraliste, mais aussi de fournir des outils de réflexion et de favoriser l'esprit critique, plutôt que de rabâcher toujours les mêmes leçons de morale et de conformisme idéologique qui ne sont plus écoutées. 

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