Des missiles de défense déployés tout autour de Moscou : mais à quoi joue Vladimir Poutine ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des missiles de défense déployés tout autour de Moscou : mais à quoi joue Vladimir Poutine ?
©Odd ANDERSEN / AFP

La guerre, ça paye

En intervenant en Syrie, la Russie a fait la démonstration de sa capacité et de sa puissance militaire, assurant ainsi à son équipement offensif une promotion internationale.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

Voir la bio »

Atlantico : Ce jeudi, en réponse à l'arrivée de chars et de troupes américaines dans le cadre du renforcement du dispositif militaire de l'Otan, les autorités russes ont lancé le déploiement des missiles de défense S-400 autour de Moscou. Comment interpréter cette action ?

Michael LambertLe déploiement des S-400 (С-400 Триумф) est une réponse symbolique à la présence des troupes de l’Otan en Pologne et dans l’espace Balte. Les troupes de l’Alliance sont présentes en raison de la crainte d’une intervention militaire de Moscou dans cette partie du monde, mais paradoxalement, le Kremlin interprète la présence de celles-ci comme une menace dans cette partie de l’Europe où la Russie est affaiblie depuis la fin de la Guerre froide. Pour résumer, les deux protagonistes craignent que l’autre souhaite intervenir militairement, alors qu’en pratique, probablement, aucun des deux ne souhaite un conflit militaire. 

Le choix de disposer des S-400 à Moscou plutôt qu’à Saint Petersbourg est symbolique dans la mesure où stratégiquement, aucun appareil de l’Otan ne peut envisager d’entrer sur le territoire de la Russie, et donc encore moins de se rapprocher de la capitale nationale. Qui plus est, le choix des S-400, modèle anti-aérien le plus avancé et polyvalent du ministère de la Défense russe, a pour objectif de montrer que le pays reste une puissance mondiale apte à rivaliser militairement avec les grandes puissances européennes et américaines.

La présence des S-400 constitue également un formidable coup médiatique pour ce produit d’exportation et pour sa version précédente, le S-300 (С-300 "Фавори"), dans un contexte où la Russie est devenue la troisième exportatrice d’équipement militaire  derrière la France, conséquence de la vente des Rafales au gouvernement indien et des sous-marins français à l'Australie en 2016.

La présence des S-400 dans la capitale a donc pour objectif de booster les ventes auprès de partenaires de premier choix, notamment la Chine, l’Inde, l’ensemble de l’Asie centrale, l’Arménie (dans le cadre du renforcement de l’Union Économique Eurasiatique, UEE), l’Iran, et la Syrie. Ce produit haut de gamme peut répondre aux attentes de ces gouvernements et présenter un avantage considérable sur le plan financier, en raison de son prix abordable, tout comme le S-300, et de sa mobilité. En renforçant leur système anti-aérien, les gouvernements se dégagent de l’impératif qui vise à constamment moderniser l’armée de l’air, et jouent sur une stratégie défensive pertinente face aux États-Unis. Le choix de disposer ces équipements à Moscou constitue donc un moyen abordable de communiquer sur la qualité du complexe militaro-industriel de la Russie.   

Au regard des chiffres de ventes d'armes russes, comment peut-on juger l'impact de la politique internationale menée par Vladimir Poutine, et notamment l'intervention en Syrie, sur ces ventes précisément ?

La guerre en Syrie s’est avérée plus que bénéfique dans un marché de l’armement en constante progression depuis la fin de la Guerre froide, notamment en raison de la montée en puissance de la Chine. Les puissances européennes n’investissement plus autant que par le passé (en moyenne à peine 1-2% du PIB des États membres de l’Union européenne). L’Allemagne et la Pologne sont les deux seuls pays de taille considérable en phase de renouvellement de leurs équipements, mais on est loin d’un programme de taille conséquente. La Grande-Bretagne et la France, durement touchés par la crise économique de 2008, n’investissement plus autant dans leurs armées, notamment dans le domaine aérien qui est de loin le plus coûteux.

L’Europe constitue un cas à part dans la mesure où la République Populaire de Chine (RPC) n’a de cesse d’investir et de se moderniser, ce qui stimule les ventes de matériel russe et français (en raison des embargos américains), et de ses propres équipements “Made in China”. Les équipementiers chinois s’inspirent souvent de la technologie russe ou américaine comme des avions de 5ème génération de types F-22 et F-35, mais la décennie précédente a montré une forte progression de l’innovation chinoise dans le domaine de la haute technologie de l’armement.

Au Moyen-Orient, on assiste à une forte progression des ventes d’armes russes et françaises comme en Arabie saoudite et au Qatar. Il reste de beaux contrats à signer dans les prochaines années, notamment en Finlande, dans les pays Baltes et en Belgique, qui souhaitent tous renouveler leurs avions de chasse. De la même manière, le renouvellement des avions de chasse canadiens constitue un marché de taille conséquente, que les États-Unis se réservent. Le plus vaste marché du monde, celui des États-Unis, est pour sa part inaccessible aux autre pays, d’autant plus depuis l’élection de Donald Trump.

Dans ce contexte ou les États-Unis affichent un protectionnisme flagrant, et où l’Europe se modernise mais sans envisager l’option du matériel russe, le Moyen-Orient, la Chine et l’Inde sont des régions d’importance capitale pour Moscou dont l’économie dépend essentiellement de la vente de gaz et d’armes. Le conflit en Syrie a ainsi été l’occasion d’essayer les nouveaux équipements militaires en condition réelle, ce qui constitue un argument solide pour leur vente. Le conflit a également été l’occasion de renouveler les anciens équipements du ministère de la Défense russe qui, parfois, remontent à l’époque soviétique. On a pu constater un remplacement progressif des anciens Su-24 soviétiques par du matériel plus adéquat, permettant d’affirmer le statut de super-puissance de la Russie.

Avec l’intervention du Kremlin en Syrie, ce sont désormais tous les pays du Moyen-Orient qui s’intéressent aux équipements russes, avec un monopole des ventes dans la Syrie de demain. Le gouvernement russe a ainsi pu communiquer sur ces équipements via ses principaux médias (RT News et TASS) et les réseaux sociaux pendant tout le conflit. On a pu constater la rapide propagation des images des bombardements des sites de l’États islamique par les hélicoptères, ou encore l’échec des bombardements depuis la mer Caspienne, ce qui n’en reste pas moins un succès pour essayer, en condition réelle, certains équipements. La Russie a également pu espionner les stratégies de coordination des pays membres de l’Otan et des principaux avions (F-16, Rafale et Eurofighter) en Syrie, ce qui va lui permettre d’améliorer ses propres équipements pour lutter contre ces derniers. Pour résumer, la Russie sort gagnante en utilisant ses anciens équipements soviétiques, et en communiquant sur les nouveaux, tout en lançant leur production à grande échelle. 

Les ventes restent cependant difficiles à évaluer en raison de l’opacité des informations en provenance de l’armée russe et des programmes de modernisation qui s’étendent sur plusieurs années, ou encore auprès de partenaires qui vont prendre des décisions stratégiques sur 5-10 ans. Dans le domaine de l’armement, les ventes s’étalent sur plusieurs décennies, mais la guerre en Syrie a incontestablement constitué une belle opportunité pour redonner à la Russie un rôle diplomatique de premier plan au sein de l’ONU, et redorer le blason d’une armée qu’on jugeait comme en perte de vitesse. 

Quels sont les pays qui ont manifesté/manifestent, dans la foulée de l'intervention russe en Syrie, un intérêt pour les armes russes ? Cette démonstration de force russe notamment a-t-elle permis/permet-elle à la Russie de prendre des parts de marché à certains autres grands pays producteurs et exportateurs d'armes ? 

La Syrie fut la première à manifester son intérêt, en raison des embargos occidentaux et surtout du soutien inconditionnel de la Russie à Bachar al-Assad. Ce pays est désormais un monopole russe pour la vente d’armes. Mais les pays du Magreb et du Moyen-Orient s’intéressent également à ces équipements, notamment l’Algérie, l’Iran et l’Arabie saoudite. Israël utilise également du matériel russe et américain, essentiellement par pragmatisme. La Russie dispose de l’avantage de proposer d’une part des équipements robustes, comme les AK-47 (type AK-74 et AK-12 plus modernes), et peut donc proposer des équipements abordables pouvant servir aux soldats et aux civils. La Russie peut, en parallèle, proposer du matériel haut de gamme comme le T-50 pour les pays plus fortunés, et de vieux équipements soviétiques tout à fait pertinent dans cette partie du monde.

À l’inverse, les Américains et les Européens ne peuvent pas proposer d’équipements aussi abordables, et proposent du haut de gamme auprès de pays qui n’en ont pas forcément besoin. 

Ce manque de pertinence stratégique est connu par les analystes et explique le succès de certains produits comme le Grippen suédois au Brésil. Il s’avère essentiel de bien cibler ses consommateurs dans la vente d’armes, et les Russes sont plus pragmatiques et polyvalents que les Occidentaux dans ce domaine, ce qui constitue un choix stratégique pertinent, du moins tant que la Chine ne commence pas à concurrencer la Russie, ce qui sera probablement le cas d’ici la prochaine décennie. 

Cette année, la Russie a cependant dû laisser place à la France qui, bien que très loin derrière les États-Unis, prend la deuxième place en tant que pays exportateur avec la vente de ses sous-marins à l’Australie. La France a cependant manqué l’opportunité de mieux communiquer sur le Rafale au Canada, notamment en jouant avec ses relations auprès du Québec, et manque ainsi un contrat à plus de 50 milliards de dollars CA. Elle passe cependant devant la Russie qui connait une hausse de ses ventes en quantité, mais pas forcément de ses revenus en raison de la chute de sa monnaie nationale face au dollar US et à l’euro. Elle va donc devoir miser en 2017 sur les ventes au sein de l’UEE, de la Chine et le l’Inde. Le conflit en Syrie a donc sans nul doute constitué un avantage, mais dont les conséquences se mesureront sur plusieurs années. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !