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Sommet France-Afrique : quel pré carré reste-t-il après 15 ans d’offensive des Chinois (et d’autres…) de ce qui était notre chasse gardée ?
©Reuters

Perte d'influence

Aujourd'hui, les seuls intérêts français maintenus en Afrique sont ceux de grands groupes, à l'instar de Bouygues, Bolloré et Castel, du fait notamment de leur bonne connaissance des élites locales.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Atlantico : Quels intérêts français restent-ils encore en Afrique face à la concurrence notamment imposée par les Chinois, les Américains, les Sud-Coréens, etc. ?

Antoine GlaserPour comprendre la perte d’influence et des marchés des entreprises françaises en Afrique, il convient de se rappeler que la France et ses entreprises ont vécu une période historique assez extraordinaire, entre les années 1960 et la chute du mur de Berlin. Durant cette période, la France était totalement seule, et ce sur un marché ultra-protégé, celui des anciennes colonies françaises, le pré carré de l’Afrique occidentale et équatoriale françaises, soit quinze pays parmi lesquels le Gabon ou la Côte d’Ivoire au sein desquels la France contrôlait entre 50 et 60% du marché. Après la chute du mur de Berlin, quand l’Afrique s’est mondialisée du fait de l’émergence de nouvelles puissances, la France a totalement sous-estimé cette montée en puissance. Il faut dire ce qui est : le patronat français était devenu, d’une certaine manière, "paresseux", avec des personnalités implantées de longue date, leurs enfants étant davantage tournés vers l’Asie et les Etats-Unis ; elles constituaient alors la vieille "Françafrique" politique, financière et entrepreneuriale. Outre l’arrivée des puissances émergentes, elles n’ont pas vu non plus l’arrivée des Turcs, et même de leurs propres partenaires européens à l’instar de l’Espagne, de l’Italie ou de l’Allemagne. Sur l’ensemble du continent, cette dernière est devenue le quatrième pays exportateur vers l’Afrique. Quant à la part du marché français à l’échelle de tout le continent, celle-ci est passée de 8 à 4/5% ; dans son propre pré carré, et notamment en Côte d’Ivoire, qui est véritablement le "village gaulois" en Afrique, la Chine réalise les mêmes performances que la France, à hauteur de 17%.

Le business français en Afrique a toujours été très politique, le fil rouge du business étant constitué, au niveau étatique, par l’énergie. Après les années 1960/1962, lorsque la France a perdu ses exploitations énergétiques en Algérie, le pays a trouvé des ressources pétrolières dans les pays francophones du golfe de Guinée comme le Gabon ou le Congo. Elf, qui par la suite est devenu Total, s’est élargi pour s’implanter fortement, notamment en Angola et au Nigéria. Il faut savoir que la France tire aujourd’hui près de 30 à 40% encore de ses importations pétrolières du continent africain. Outre ce fil rouge, pendant très longtemps également – bien qu’on en parle peu – l’uranium du Gabon ou du Niger garantissait du carburant aux centrales nucléaires françaises, mais également, le statut de puissance nucléaire à la France.

Lorsque les parts de marché de la France se sont effondrées en Afrique, ce qui a dominé d’un point de vue du business, est ce que l’on appelle le "business français familial", incarné par ce que j’appelle avec humour la "BBC" : Bouygues, Bolloré et Castel. Dans ces trois cas, on est en présence de personnalités qui investissent leur propre argent et qui, par ailleurs, connaissent bien les élites locales. Ce sont les seuls qui ont réussi à se maintenir, et ce en conservant des positions très importantes. Castel est un grand brasseur de bières dans bon nombre de pays, mais également distributeur d’eaux gazeuses, marché pour lequel ils sont en pole position. En plus des chemins de fer, Bolloré s’occupe actuellement de ranimer des salles de cinéma en Afrique ; c’est ainsi, en quelque sorte, le visage du soft power français en Afrique : avec Vivendi, les 500 000 abonnés perdus par Canal + en France sont en train d’être compensés en Afrique, où Canal + Afrique compte près de 2,5 millions d’abonnés. Ils savent que le marché se trouve là. Si l’on prend l’exemple d’Orange, il faut savoir qu’il y a aujourd’hui plus d’abonnés en Egypte (33 millions) qu’en France. 

Depuis l'organisation du premier sommet Chinafrique en 2000, la position de la France n'a cessé de reculer en Afrique. Quels sont les facteurs explicatifs de cette situation ? Le niveau d'effacement de la France en Afrique est-il similaire d'un pays africain à un autre ? 

Le principal de ces facteurs réside dans le financement. Très souvent, il n’y a pas ou peu d’injection de financement local, que se soit en provenance de l’Etat ou du secteur privé. Pour ce qui est de l’aide au développement de la France, celle-ci s’est effondrée ces dernières années, avec un niveau compris entre 0,3 et 0,4% du PIB alors que l’ONU a fixé cette part à 0,8%, respectée notamment par les Britanniques. Comme chacun le sait, les caisses de la France sont vides, ce qui n’a pas empêché François Hollande d’annoncer des plans d’aide au développement très importants. D’ailleurs l’Afd (Agence française de développement) est désormais adossée à la Caisse des dépôts, ce qui a permis au président d’annoncer des financements pharaoniques, mais pas avant l’horizon 2020. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les concurrents de la France en Afrique, et notamment la Chine, qui arrivent avec des capacités de financement importantes, remportent les appels d’offre.

Ce qui n’est pas dit, c’est que la France est en train d’utiliser les annulations de dette, que l’on appelle les contrats de désendettement développement, C2D, de l’Afd. Quand on annule des dettes à ces pays, normalement, ces derniers sont censés garantir un réinvestissement dans les domaines de la santé et de l’éducation. Ceci permet ainsi à la France de revenir à une forme d’aide car à travers ces annulations de dette, les pays africains comprennent bien que ce sont les contribuables français qui payent, ce qui est une façon, pour les entreprises françaises, de se maintenir un peu sur certains marchés, de gré à gré, afin de pas perdre pieds complètement dans un certain nombre de secteurs face à des pays comme la Turquie ou la Corée du Sud, notamment en Côte d’Ivoire. 

La venue de François Hollande à Bamako ce vendredi à l'occasion du nouveau sommet France-Afrique, accompagné d'une importante délégation du Medef, peut-elle permettre à la France d'assurer ses positions toujours acquises, voire de les renforcer ou d'en développer de nouvelles ?

Dans la mesure où François Hollande ne se représente pas, nous ne sommes plus vraiment dans les éléments de langage mais davantage dans la realpolitik. Même si les thèmes affichés du sommet sont "paix et émergence", le thème subliminal pour François Hollande réside plutôt dans le duo "sécurité et business". Il s’agit pour François Hollande de rappeler aux chefs d’Etat africains que la France est le seul pays à assurer la sécurité d’une partie du continent et à former certaines armées africaines, et qu’en échange donc, il leur convient de ne pas oublier la France pour le business. Ces dernières années, la France a continué à faire le gendarme en Afrique pour l’Occident, tandis que nos partenaires faisaient du business avec la plupart des pays africains, refusant de payer pour les efforts financés de notre armée. Par ailleurs, François Hollande est toujours un peu otage des chefs d’Etat africains, à l’instar de ses prédécesseurs. Même si la France n’a plus d’argent dans ses caisses, elle est toujours dépendante des pays africains, notamment lorsqu’il est question d’obtenir leur vote pour une résolution française aux Nations Unies, ou leur soutien dans le cadre de la Cop 21, etc. Ainsi le rapport est plutôt inversé : on est davantage dans l’ "Afriquefrance" que dans la "Françafrique". 

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