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François Hollande en a rêvé, Emmanuel Macron l'a fait : comment le candidat d’"En Marche !" est en train de parvenir à vendre un hollandisme séduisant et bien pensé
©madameoumadame.fr

Brutus et Caesar

Laïcité, économie, questions sociales, place de la France en Europe et dans le Monde... Les similitudes entre François Hollande et Emmanuel Macron apparaissent comme légion. Au final, est-ce que la seule différence entre le leader du mouvement "En Marche !" et le Président dit "normal" ne serait pas le "packaging" ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Symbole de la droitisation de la gauche, est-ce que l'on a raison de dire que candidat Emmanuel Macron partage beaucoup de points communs avec François Hollande ? D'une part sur les thématiques économiques, sur le concept de laïcité, les questions sociétales ou encore la place de la France en Europe et dans le monde ? Au final, est-ce que l'on peut dire que la seule chose qui change dans le fond, c'est le packaging ? Plus neuf, plus beau, plus jeune ?

Jean Petaux : Ce que vous appelez le « packaging » et que l’on pourrait tout aussi bien nommer le « style », le « look », le « charisme » sont autant de qualités qui constituent le candidat Macron et qui contribuent à le différencier de ses rivaux mais aussi de son (ses) mentor(s). Pour l’instant on mesure assez aisément qu’entre Hollande et Macron les différences sont faibles. Sans aller jusqu’à reprendre une expression chère à Laurent Fabius alors « plus jeune premier ministre de la France », en 1984, parlant de sa « distance » par rapport à François Mitterrand : « Il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre ce que pense le président de la République et ce que je pense personnellement », on peut dire que Macron est vraiment le « fils prodigue » de Hollande. La question est de savoir si, comme dans les Evangiles et dans la parabole éponyme (Luc, 15, 1-32), celle dite du « fils prodigue », le « père Hollande » se montrera plus aimable avec le « fils Macron » parti faire la fête et vivre sa vie sur les rives de la droite politique, à son retour au bercail, qu’avec le vainqueur de la primaire « socialistes et associés ».

Il reste quand même une différence de taille entre Hollande et Macron. À 38 ans Emmanuel Macron a construit son court trajet politique en s’installant en dehors des partis politiques. Au même âge, en 1992, le député Hollande avait déjà fondé les « Transcourants » (avec  Jean-Yves Le Drian, Jean-Michel Gaillard, Jean-Pierre Mignard, Ségolène Royal et d’autres, « bébés Delors ») depuis 7 ans mais il n’envisageait pas une seconde de quitter l’appareil structurant du PS malgré la Bérézina des législatives de 1993 qui se profilait. D’un côté, chez Macron, la quasi-certitude qu’il faut « sortir du cadre » des partis ; de l’autre, chez Hollande, une autre culture, celle héritée de Mitterrand et de la Cinquième République : « On n’est rien sans le Parti » et « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage »(article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958).

Selon un sondage un certain nombre d'électeurs de Macron pourraient tout aussi bien voter pour Montebourg à la primaire de la Belle Alliance Populaire. La question se pose : "est-ce que le candidat Macron bénéficie d'une vraie adhésion, ou est-il plutôt une solution de repli ?"

En supposant que le sondage que vous rapportez soit fiable, on peut aussi considérer que ce vote Montebourg de la part d’électeurs de Macron n’est pas un vote d’adhésion mais bien un vote stratège. En effet pour les supporters de Macron l’intérêt premier est plutôt celui d’une victoire d’un des deux tenants de l’aile gauche de la BAP : Montebourg ou Hamon au détriment de Valls ou de Peillon. C’est, évidemment, une telle configuration qui libérerait le plus d’espace à Macron au centre-gauche après qu’il ait déjà, partiellement, récupéré quelques parts du marché électoral au centre-droit chez les juppéistes en mal d’affection depuis la défaite leur champion. On a bien vu, à travers la primaire de la droite, que les électeurs commencent à trouver un certain charme au jeu de massacre qu’est la primaire.« Pour 2 euros, je vais me payer la tête à Sarko » : 15% d’électeurs se disant de gauche ont joué à ce jeu ; 8% se déclarant proches du FN sont venus faire de même mais cette fois-ci avec la tête de Juppé et 8% ont clairement dit qu’ils n’étaient ni de droite ni de gauche… Autrement dit près d’un tiers de l’électorat de la primaire de la droite en novembre 2016 ne votera sans doute pas Fillon au premier tour de la présidentielle en avril 2017 : 1,3 million de personnes. Ce phénomène risque de se répéter cette fois-ci à la primaire BAP et, si l’estimation IFOP-JDD publiée ce dimanche comme quoi 5,5% du corps électoral se disent certains d’aller voter les 22 et 29 janvier s’avère exacte, cela veut dire que 2,5 millions électeurs vont ainsi participer à cette élection. De là à ce qu’ils s’amusent à « tirer » l’un ou l’autre des candidats comme un lapin, il y a une probabilité forte. Quitte à voter pour un candidat qu’ils ignoreront superbement s’il l’emporte : un Hamon par exemple et, a fortiori, un Montebourg.

Est-ce qu'il n'aura fallu que quelques mois de dissidence, de sorties médiatiques et de joutes verbales abondamment relayées dans la presse avec Manuel Valls pour faire oublier son devoir d'inventaire à Emmanuel Macron ?

Non… Les causes du succès actuel de Macron sont sans doute bien plus profondes. Ce qui est sûr c’est que les supporters actuels de Macron que l’on décrit comme « novices en politique », comparables aux foules de néophytes qui peuplaient les meetings-messes-kermesses étranges de Ségolène Royal en 2006-2007, ne lui tiennent pas rigueur et ne lui font pas grief de sa participation au gouvernement Valls du 26 août 2014 au 30 août 2016 : deux ans et quatre jours qui ne semblent pas vraiment avoir entaché son « casier politique ». Pour quelles raisons ? Parce que tout simplement sous la Cinquième République tout procédant du chef de l’Etat, et accessoirement de son « premier collaborateur » (pour parler comme Sarkozy) le premier ministre, on considère qu’un ministre, même aussi puissant que le titulaire de Bercy, n’est pas le « patron ». De la même manière que Giscard, titulaire de l’Economie et des Finances en avril 1974, depuis cinq ans quant à lui après 1969 et quatre ans de 1962 à 1966, soit neuf années au total au poste de « grand argentier » du gouvernement, n’était pas identifié non seulement comme un « baron » du gaullisme (encore heureux, il n’était pas membre du parti gaulliste) mais même tout simplement comme une personnalité politique totalement « mouillée » par les seize premières années du régime installé par le Général et son successeur Pompidou.

L’autre explication qui permet de comprendre « l’indulgence plénière » dont semble bénéficier Emmanuel Macron parmi les tenants d’une réforme socio-libérale de la société française c’est qu’il a réussi à faire passer le message selon lequel s’il avait eu les « coudées franches » (autrement dit si Hollande et Valls ne l’en avaient pas empêché) il serait allé beaucoup plus loin dans la dérégulation de l’économie, dans la « décorsettisation » des règlements qui brident les entreprises françaises. Bref que sans les bâtons qu’ils ont mis dans ses roues, le « car Macron » aurait été bien plus un modèle allemand comparable à celui mis en place par le fameux Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen, qui inspira les réformes sociales de Schröder entre 2003 et 2005, pour le grand bonheur (supposé) de l’Allemagne d’aujourd’hui.

Est-ce qu'on peut dire du leader du mouvement "En Marche ! " que la grande différence repose dans la méthode ? Dans le fond ils sont pareils mais pour quelles raisons Emmanuel Macron arrive-t-il à incarner cet homme providentiel ? Quel est selon vous le secret de la recette macron pour susciter l'adhésion alors qu'il a les mêmes positions que François Hollande ?

Il faut rester très prudent. Rien ne dit que la « bulle Macron » aujourd’hui ne va pas tout simplement exploser et se vider courant février. Ce que l’on constate actuellement c’est qu’Emmanuel Macron occupe la place improbable du «  troisième homme » toujours attendu à chaque élection présidentielle française. C’est une position préférentielle intéressante mais elle a plus débouché sur une impasse pour celui qui en était le titulaire que sur une victoire. Aussi bien Lecanuet en 1965 que Duclos en 1969, Chirac en 1981 ou Barre en 1988, Bayrou en 2007 ou Mélenchon en 2012, tous ont échoué à se qualifier au second tour et à perturber le déroulement du match tel qu’il était écrit. Seuls peut-être les « troisièmes » que furent Giscard au début de la campagne présidentielle express de 1974, Jospin en 1995 ou encore Le Pen père en 2002 ont réussi à se qualifier au second tour. Seul VGE l’emportant au final. Donc Macron n’est pas du tout assuré ni d’une qualification pour la « finale », ni, à plus forte raison, d’une victoire. S’il a face à lui au second tour Marine Le Pen il est, bien évidemment, largement favori. S’il trouve dans la dernière ligne droite avant l’Elysée un François Fillon c’est forcément une toute autre histoire. Mais encore faut-il se qualifier.

Aujourd’hui Macron incarne, pour les électeurs de centre-gauche, qui étaient sans doute majoritairement « Hollandais » en 2012, la ligne d’une « réforme modérée » conjuguant projet social et projet libéral. Pas certain que tout cela soit très sérieusement documenté et surtout argumenté. Pour l’heure le physique avantageux et la « belle-gueule » ne font qu’ajouter du « glamour » au « docteur Mamour » de la politique. Que l’on ait le sentiment d’être dans une série américaine entre « House of Cards » et « Grey’s Anatomy » ne change rien à l’affaire : une majorité de Français trouve plaisant le jeune Macron. Il leur reste quatre mois pour savoir si le jeune premier de la politique est un charlot, un charlatan ou un autre Charles (de Gaulle). Ce dernier publia son premier livre en 1932 (« Le fil de l’épée »), à l’âge de 42 ans. Si Emmanuel Macron l’emporte le 7 mai 2017 il n’aura pas 40 ans (il est né le 21 décembre 1977). Ce ne serait pas une mince performance que d’être le lointain successeur du fondateur de la Cinquième République en ayant dix ans de moins que l’âge auquel de Gaulle prononça son fameux Appel, le 18 juin 1940, en n’ayant pas encore fêté ses 50 ans.

Dans la période actuelle le jeune leader Macron peut apparaître comme en phase avec son temps. Le fait qu’il soit totalement affranchi des appareils partisans est un autre atout, tant les partis politiques actuels sont démonétisés et sclérosés. Sa liberté de ton, cette forme assez naïve d’apparaitre souriant et décontracté participe d’une « renaissance » plus fantasmée et espérée que réelle. Le risque que fait courir Emmanuel Macron à François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls, Arnaud Montebourg,  François Bayrou, c’est de tous les ringardiser en s’inscrivant dans une « dé-marche » correspondant à la « mondialisation heureuse » et à la « libéralisation tranquille ». Tout cela en remboursant à 100% les lunettes et les dentiers. Si les presbytes et les « sans-dents » ne sont pas séduits on peut se demander ce qui va les faire craquer… Restent les sonotones à prendre en charge intégralement et même les sourds entendront. Macron thaumaturge. Marc Bloch aurait apprécié.

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