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Avis aux amateurs des RTT, l’expérience suédoise de la semaine de 30 heures est officiellement un échec, et voilà ce qui s’est passé
©Reuters

Faux-espoirs

La Suède a expérimenté sur deux ans le projet des journées de travail de six heures quotidiennes. Les coûts engendrés ont dépassé les bénéfices,ce qui a mis un terme à l'expérience. En France, cela devrait mettre un terme aux espoirs d'une partie de la gauche qui tente d'imposer une semaine de travail à trente-deux heure

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : La Suède a mené une expérimentation sur les temps de travail de 6h par jour pendant deux ans. Elle a finalement arrêté cette expérimentation car les coûts ont dépassé les bénéfices. Quels sont les enseignements que nous pouvons tirer de cette expérience ? 

Pierre-François Gouiffès :Tout d’abord la situation de l’emploi est très différente en Suède dont le taux de chômage est inférieur de trois points à celui de la France (6,9 % contre 9,7% selon Eurostat), ce qui permet au pays d’être beaucoup plus proche que nous du plein emploi. Donc on s’affranchit dès le départ du débat pâtissier français sur le découpage en davantage de parts d’un gâteau travail d’une quantité fixe.

Les différents tests menés sur la semaine de six heures en Suède sont en revanche intéressants en ce qu’ils reflètent différents débats sociétaux, économiques voire managériaux : quel équilibre entre vie privée et vie professionnelle (1% des Suédois travaillent plus que 50 heures par semaine contre 13 % en moyenne dans l’OCDE) ? Est-on individuellement ou collectivement plus productifs en travaillant moins d’heures ? Comment adapter les politiques publiques pour concilier performance économique et bien être ? Les expérimentations font de ce fait l’objet de l’attention de nombreux observateurs internationaux.

Bertrand Martinot Dans un environnement où les conditions de travail, voire les formes du travail, changent radicalement, la question d’une norme nationale du temps de travail devient chaque jour moins pertinente. Pourquoi 35 heures ou pourquoi 39 ? Et pourquoi une norme hebdomadaire ?

Pour ce qui est la santé et des conditions de travail, d’autres facteurs sont plus importants que de savoir si l’on travaille 35 ou 39 heures ! Les risques se sont souvent déportés du nombre d’heures de travail vers l’intensité du travail, le stress, le mauvais management, la pression du client, le risque de perte d’emploi… Les questions d’organisation du travail et de management sont cruciales dans une économie tertiaire. On pourrait étendre le problème à d’autres sujets que la durée hebdomadaire. Par exemple, quitter son lieu de travail à 16 h mais retravailler chez soi de 21h à 23h est (en théorie… !) interdit par le code du travail, car vous avez le droit à 11 heures de repos minimum par 24 heures. Et pourtant, cela peut très bien correspondre à une organisation de vie optimale pour le salarié, tout en étant acceptable par l’entreprise.   

Dans quelles mesures ces enseignements pourraient-êtres appliqués aux secteurs de l'emploi en France ? 

Pierre-François Gouiffès : Le projet suédois présente une dimension exceptionnellement exotique " vue de France ", à savoir le recours à l’expérimentation : les Suédois testent à une échelle modeste mais pertinente un dispositif très structurant sur le plan économique et sociétal et analysent dans un débat public ouvert les enseignements qu’on peut en tirer. Hélas en France et pour le moment, il y a encore un fort blocage sur l’expérimentation : le droit à l’expérimentation est certes apparu lors de la réforme constitutionnelle de 2003 (article 72 alinéa 4 de la Constitution) mais avec un encadrement tel qu’il n’est que très rarement mis en œuvre, et surtout pas pour des politiques publiques majeures par exemple dans le champ de l’emploi.

Au contraire la France a historiquement privilégié dans la mise en place de la réduction du temps de travail l’imposition par le haut – l’Etat, l’exécutif et le législateur – d’une baisse générale du temps de travail : quarante heures en 1936 (réforme qualifiée ensuite par Alfred Sauvy de " plus grande erreur économique en France depuis la révocation de l’édit de Nantes "…), 39 heures en 1982, 35 heures entre 1997 et 2000. Dans ce dernier cas, il est d’ailleurs remarquable que la réduction du temps de travail qui était une vieille revendication " cédédiste " (CFDT) et de la " deuxième gauche " décentralisatrice et autogestionnaire ait été au final mise en œuvre par la " première gauche " autoritaire et jacobine. La Suède n’a pour sa part aucune intention de mettre en place un dispositif national de baisse du temps de travail " à la française ".

Bertrand Martinot : Le sujet, c’est maintenant de savoir à quel niveau et selon quelles modalités la durée du travail doit être fixée. De toute évidence, la norme doit être décentralisée et négociée au niveau de l’entreprise. C’est d’ailleurs tout le sens de la loi de 2008 assouplissant les 35 heures, que la loi El Khomri ne fait que poursuivre. Pour aller plus loin, il suffit de donner aux partenaires sociaux dans l’entreprise la possibilité de fixer librement la durée collective du travail et le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Et d’ailleurs pourquoi cette polarisation du débat sur la seule durée hebdomadaire, qui ne correspond pas nécessairement au rythme de vie de l’entreprise ? La loi permet depuis 2008 de négocier librement des modulations mensuelles ou même annuelles et c’est une très bonne chose.

Sur un plan plus politique, Marie-Noël Lienemann et d'autres responsables politiques d'extrême gauche ont fait des propositions pour une semaine de travail hebdomadaire de 32 heures. Est-ce que ce débat n'est pas déraisonnable ?

Pierre-François Gouiffès : Diverses propositions de la gauche de la gauche ciblent en effet une nouvelle étape de la réduction du temps de travail et se positionnent de façon orthogonale à la remise en cause des 35 heures portée lors de la primaire de la droite et du centre et notamment par son vainqueur François Fillon. Différents arguments appartenant à la rhétorique de gauche sont mis au service de cette nouvelle étape d’une réduction de travail : " mouvement irrémédiable de l’humanité " (mais de nouveau imposé par l’Etat à l’ensemble de l’économie et bien sûr sans se soucier des liens avec les autres pays), captation de gains de productivité par les salariés, réduction du chômage par le partage du travail (" faire que la France travaille globalement plus en faisant que chacun travaille moins mais qu’on travaille tous ").

Peu de chose n’est dit en revanche de certaines leçons des 35 heures de 1997-2000 : doutes puissants sur la création d’emploi rappelés dans l’ouvrage " le négationnisme économique " de Cahuc et Zylberberg, persistance d’un niveau particulièrement élevé de chômage structurel, dégradation massive de la compétitivité française (aucun pays n’a imité le système français) manifestée par des déficits jumeaux et la désindustrialisation, augmentation de la dépense publique par les emplois publics créés et les différents dispositifs d’allègement de charges.

Bertrand Martinot : La science économique est encore balbutiante sur de nombreux points. Mais, parmi les choses que nous savons avec certitude, c’est que le travail ne se partage pas puisque c’est lui qui crée la richesse ! Bien sûr, on peut décider de diminuer le temps de travail et de diminuer à due proportion les salaires pour dégager des marges de manœuvre pour créer d’autres emplois. Mais, curieusement, cette proposition n’est jamais faite par les socialistes français, qui oublient toujours la seconde partie de la phrase… !

Quant au progrès technique, qu’on invoque pour justifier une baisse du temps de travail, il nous permet certes de réaliser des gains de productivité et ces gains de productivités sont ensuite répartis entre loisir (baisse du temps de travail) et gains de pouvoirs d’achat. Décider de ce partage de manière arbitraire (pourquoi 32 heures, pourquoi pas 31h30 ?) est une aberration. Cette répartition doit se faire au niveau micro-économique, le seul endroit où les intérêts particuliers des uns et des autres peuvent être pris en compte.

Il y a des cas particuliers où la réduction du temps de travail, généralement associée à une baisse de rémunération, peut avoir un sens, c’est quand l’entreprise traverse une mauvaise passe. C’est tout le sens des accords dits de maintien dans l’emploi. L’Allemagne a beaucoup développé cette possibilité, ce qui a été un amortisseur remarquable permettant de limiter les destructions d’emploi au pire moment de la crise. Mais là, encore, il ne peut s’agir que de décisions décentralisées. 

Propos recueillis par Nicolas Martinet 

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