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Se préoccuper des autres, c’est bien (ou pas)... Le livre qui démontre pourquoi le monde irait mieux avec un peu moins d’empathie
©Reuters

Avis à tous les militants du Bien

D'après le livre de Paul Blum, professeur à l'université du Nebraska, l'empathie serait un sentiment négatif. A contrario, la compassion rationnelle nous permet de rester objectif dans nos émotions.

Alexandre Baratta

Alexandre Baratta

Psychiatre, praticien hospitalier, Alexandre Baratta est expert auprès de la Cour d'appel de Metz, et expert associé à l'Institut pour la Justice. Il est également correspondant national de la Société médico-psychologique

 

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Atlantico : D'après le livre d'un professeur de l'université du Nebraska, l'empathie a des répercussions négatives sur nous. Comment expliquer ce processus neurologique qui peut conduire d'un bon sentiment à un mauvais comportement ? 

Alexandre Baratta : La colère et l’agressivité sont des comportements propres à tous les mammifères, et l’Homme est encore plus concerné. Ces réactions peuvent conduire à des actes de violences adaptés : sous sa forme verbale (cris à visée dissuasive) ou physique. La violence réactionnelle est donc un mécanisme hautement conservé dans l’évolution des espèces animales afin d’assurer sa propre protection, ou celle de ses partenaires. Elle n’est pas antinomique d’une vie sociale mais participe à la structurer (principe du mâle dominant par exemple dans une société patriarcale). 

L’être humain se distingue des mammifères en général par des capacités d’empathie (ou théorie de l’esprit). Il s’agit de la capacité à se représenter les états d’âmes d’autrui, via le métalangage par exemple (émotions exprimées via la mimique ou la gestuelle). De telles capacités d’empathie ne sont pas l’apanage de l’Homme et ont été identifiées dans d’autres groupes de primates, ainsi que chez les dauphins. En terme plus simplifiés, la capacité d’empathie correspond à la faculté de « se mettre à la place » de son interlocuteur. En le voyant souffrir physiquement, il est possible de s’en faire une représentation mentale. Il ne va de même avec la souffrance morale : voir une image de visage triste provoquera un sentiment de malaise ou de tristesse. 

Dans le cas des personnes émotionnellement investies, les capacités d’empathies peuvent déclencher des réactions de violences verbales ou physiques. Elles ont la particularité d’être :

Impulsives : brèves et non préméditées

Situationnelles et entièrement contextuelles. Le meilleur exemple est la jalousie, avec en point d’orgue le meurtre passionnel. Un tel meurtre n’est, le plus souvent, pas le fait de psychopathes multi récidivistes. Il s’agit bien entendu d’un exemple rare et particulier. Mais la violence peut être réalisée dans une optique de protection de soit ou de proches. L’attaque de personnes investies affectivement peut déclencher des réactions de violences passionnelles : elles sont là encore situationnelles, impulsives et brèves. 

La violence passionnelle est un effet collatéral et indissociable de la capacité d’empathie. 

Qu'est-ce qui crée l'empathie ? Un récit peut-il stimuler une empathie comparable à celle qu'une image ou vidéo peut provoquer ? Ce mécanisme s'est-il plus développé ces dernières années, avec l'expansion des nouvelles technologies, et donc de l'accessibilité à l'information et à l'image ?

Alexandre Baratta : L’empathie est un processus cérébral complexe mettant en jeux l’interaction de plusieurs zones cérébrales : elle n’est pas le fait d’un point précis dans le cerveau. L’une des zones concernées est le cortex préfrontal. Plusieurs études ont retrouvé, à titre d’exemple, une extinction de cette zone dans 2 situations différentes :

Les sujets psychopathes (exposition précoce à la violence ; carences éducatives et affectives)

Une surexposition aux jeux vidéos à contenu violent. Plusieurs études ont démontré que la pratique assidue de jeux tels que Call of Duty provoquait un phénomène d’extinction d’empathie avec recrudescence d’agressivité physique et diminution des capacités pro sociales. 

Oui, un récit peut stimuler l’empathie positivement ou négativement. Tout comme une photo ou une vidéo. Le meilleur exemple est la photo du petit Aylan échoué sur la plage. Il s’agit d’un stimulus puissant du sentiment d’empathie. Seuls les individus dépourvus d’empathie n’y seront pas spontanément réceptifs. Dans un tel cas de figure une mise à distance rationnelle est indispensable pour une analyse de l’image tant la charge émotionnelle est forte.  Ce qui explique son impact sans précédent dans les médias. Les précédentes images ne véhiculaient pas la même charge émotionnelle : yeux révulsés, corps désarticulés, viscères visibles, sang s’écoulant d’orifices. Le dégout primait sur l’apitoiement. Dans le cas du petit Aylan, le visage est partiellement caché et le corps adopte la position naturelle d’un enfant endormi. La composante de dégout et d’effroi est totalement inactivée. Et l’image avec un enfant « endormi pour l’éternité » s’active instantanément dans nos esprits. 

Ces réactions sont-elles courantes et communes à tous ? 

Alexandre Baratta : Oui, à tout être humain sauf anomalie neuropsychologique. En effet, des individus présentant des déficits neurologiques en capacité d’empathie existent. Deux catégories relèvent de maladies neurobiologiques :

L’Autisme infantile. Les enfants autistes présentent d’importantes perturbations des relations sociales du fait, entre autre, d’un déficit en « théorie de l’esprit ». 

La schizophrénie. Les sujets souffrant de cette pathologie présentent, à côté des troubles délirants, un défaut d’empathie. Ils sont incapables ou trouvent très difficile de déchiffrer les émotions faciales chez autrui. Le second degré leur est inaccessible et un propos nous paraissant drôle pourra être interprété comme hostile.

Une 3ème catégorie d’individus existe : les psychopathes. Il s’agit d’un cas très particulier. Les dernières études montrent que les psychopathes savent très bien identifier les états d’âmes de leur victime. Ce qui oriente leur choix victimologique vers les personnes les plus vulnérables. Mais ils sont incapables de se représenter la souffrance de l’autre : ils ne peuvent pas se « mettre à leur place ». Ce qui leur donne l’impression d’une grande froideur affective, et leur capacité à projeter des crimes de sang en toute indifférence. 

Comment l'empathie peut-elle devenir une faiblesse et peut-être manipulable ? 

Alexandre Baratta : L’empathie peut être sciemment et aisément stimulée dans un but de communication marketing (publicité) ou politique (paquet de cigarette illustré par des photos de pathologies graves). Les campagnes de communication de la SPA sont également bien connues du grand public. 

Dans le cas des recrues djihadistes, la plupart des individus auxquels j’ai été confronté présentent un profil stéréotypé. A ce jour, j’ai été amené à en examiner une quinzaine aussi bien en pratique d’évaluation en détention qu’en soins en unité psychiatrique sécurisée. Il s’agit d’individus :

Psychopathes. Ils sont capables d’analyser et de reconnaitre les émotions chez autrui mais sont incapables de se mettre à leur place. Ils sont donc capables de violences cruelles et préméditées en toute indifférence émotionnelle. 

Certains présentent, en plus de leur psychopathie, une schizophrénie. Il s’agit de sujet croyant vraiment que Dieu leur parle par exemple: ils sont d’autant plus dangereux. Ils sont des cibles de choix pour des recruteurs djihadistes psychopathes et manipulateurs.

Très souvent polytoxicomanes (alcools forts, cocaïne, opiacés…).

En d’autres termes, l’individu lambda peut présenter des accès de violence dite passionnelle en lien avec son empathie. Mais il ne pourra pas constituer une cible adaptée pour un recrutement djihadiste. Ses capacités d’empathie l’en protègent par définition. Seuls les sujets « prédisposés » pourront verser dans de tels actes cruels et violents : ce qui explique le profil psychopathique commun à toutes les recrues. Un tel profil limite nécessairement l’impact des programmes dits de « déradicalisation ».  Ils présentent une prédisposition à la violence instrumentale, qu’elle s’inscrive dans une dimension « religieuse » ou plus simplement criminelle (braquages à main armée, home jacking, trafic de stupéfiants…). 

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