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2017, l'année de la dernière chance pour l'Union européenne
©Reuters

Prévisions 2017

Alors que l'année 2016 touche à sa fin, Atlantico propose à ses lecteurs une série de prévisions pour le millésime 2017. Selon Christophe Bouillaud, l'Union européenne doit se préparer à des changements urgents et radicaux si elle ne veut pas disparaître à l'occasion des 60 ans des traités de Rome.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Au printemps 2017, il ne fait guère de doute que les dirigeants de l’Union européenne – responsables communautaires et dirigeants nationaux   commémoreront les 60 ans des traités de Rome (Marché commun et Euratom) signés en 1957. Il y a fort à craindre toutefois que cette commémoration obligée ressemble plus à un éloge funèbre ou à un déni de réalité qu’à une célébration. On devrait, certes, entendre les habituelles rengaines selon lesquelles "l’Europe c’est la paix" ou selon lesquelles "les Européens doivent s'unir pour maintenir leur rang dans le monde". Et bien sûr, on se promettra, dans un élan feint d’optimisme, de "relancer l’intégration européenne", ou éventuellement de la repenser à nouveaux frais – tout comme on le fit en 2007 pour les 50 ans de ces mêmes traités par une Déclaration dont la vacuité ressort encore mieux dix ans plus tard que sur le moment.  Il restera toutefois que tout cela sonnera probablement horriblement faux. En 2017, il vaudrait mieux s’abstenir de commémorer et s’empresser d’agir.  Et cela pour de multiples raisons.

Tout d’abord, il parait impossible, désormais, de nier la gravité de la crise que vit actuellement l’Union européenne. Cette crise a désormais tellement de dimensions entrelacées que le président de la Commission européenne depuis 2014, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a parlé à son sujet de "polycrise".  Ce néologisme désigne l’accumulation simultanée de déconvenues, largement liées entre elles par ailleurs : crise économique engagée en 2007-2008 renforçant l’asymétrie au sein du continent, avec une Allemagne qui prospère et une périphérie méditerranéenne qui souffre; crise des migrants de l’automne 2015, qui a montré que les termes "Europe de l’Ouest" et "Europe de l’Est" avaient encore tout leur sens vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin; crise géopolitique - ou géostratégique si l’on veut - avec une multiplication de crises régionales à ses frontières orientales et méditerranéennes (Ukraine, Syrie, Libye, etc.), avec la réapparition d’une puissance russe à l’Est, et, depuis le 8 novembre 2016, l’incertitude liée à la future présidence Trump aux Etats-Unis; crise démocratique avec la montée en puissance de partis dits populistes partout ou presque sur le continent, et l’affaiblissement parallèle des partis qui avaient porté le projet d’intégration européenne depuis les années 1950. Pour la première fois, la légitimité même du projet européen parait être remise en cause par les électorats: le vote du Brexit du printemps 2016 en témoigne.

La circonstance aggravante  de cette "polycrise" est, en plus, que tous les éléments de cette dernière étaient déjà bien présents dès le début des années 2000. Dès la "Déclaration de Laeken" en 2001, les Européens officialisent que l’Union européenne ne fonctionne pas aussi bien qu’elle le devrait, en particulier du point de vue démocratique. A l’orée de 2017, on ne peut qu’être saisi par l’incapacité à porter remède à des maux diagnostiqués de longue date. Le Brexit parait ainsi le premier épilogue d’un échec démocratique annoncé de longue date.

Ensuite, face à cette "polycrise" venue de loin, le leadership européen – commissaires européens et dirigeants nationaux  parait inadapté aux circonstances et devrait le rester en 2017. Les dirigeants conservateurs allemands dominent sans partage, depuis la dite "crise des dettes souveraines" ouverte en 2010, le jeu au niveau des Etats : la France de François Hollande a été en effet incapable de faire changer les choses après 2012, l’Italie de Matteo Renzi a certes fait quelques tentatives entre 2014 et cette fin de 2016 sans rien obtenir pourtant, et le Royaume-Uni de David Cameron s’est mis de plus en plus hors-jeu, jusqu’à l’apothéose que constitue le Brexit. La Commission européenne essaye bien d’imposer depuis 2014 un nouveau leadership et parle même depuis peu de relance budgétaire coordonnée ou d’harmonisation fiscale en Europe, mais elle le fait avec le pire leader possible (l’homme du paradis fiscal le plus réussi de l’Union des trente dernières années), et surtout sans grands résultats à ce jour. Face à la "crise de la zone Euro", tous les choix depuis 2010 de ces leaders n’ont visé qu’à maintenir l’existant sans être capable de bouleverser la donne fixée au début des années 1990 : une monnaie commune entre des Etats irrémédiablement nationaux dans leurs réactions, sans réelle solidarité budgétaire entre eux. Le refus de "l’union de transfert" de la part des dirigeants allemands et de leurs alliés néerlandais, autrichiens, etc. constitue un choix qui ne devrait pas être remis en cause en 2017. La zone Euro a certes été sauvée en 2012 par l’action résolue de Mario Draghi, le nouveau dirigeant de la Banque centrale européenne, mais le temps gagné n’a pas été utilisé pour faire émerger une nouvelle idée partagée de la zone Euro qui puisse la sortir durablement de sa crise actuelle liée à sa conception erronée dès le départ. Et le sort que ces dirigeants ont infligé aux habitants ordinaires de la Grèce constitue une condamnation de l’idée même de solidarité européenne, dont ils se vantent pourtant.

Malheureusement, les chances de voir émerger en 2017 de nouveaux dirigeants européens un peu plus visionnaires sont faibles. Le mandat de l’actuelle Commission européenne court jusqu’en 2019, et Jean-Claude Juncker semble bien décidé à aller jusqu’au terme de ce dernier.  Angela Merkel a décidé de se présenter aux prochaines élections de septembre 2017 – preuve s’il en est que son parti (la CDU) et son allié (la CSU) n’ont aucune idée nouvelle à faire valoir en matière européenne –, et elle a en plus quelque chance de gagner son pari d’un quatrième mandat à la Chancellerie, faute de concurrents crédibles à la tête des autres partis de gouvernement (SPD, Verts, FDP). En France, il est probable que le gagnant de l’élection présidentielle de mai 2017, quel qu’il soit, se soit plié à l’obligation de dire du mal de l’Union européenne telle qu’elle est pour s’assurer une majorité électorale comme on l’avait déjà vu en 2012 quand François Hollande et Nicolas Sarkozy rivalisaient de projets en la matière. Cependant, un président français ne sera sans doute guère en mesure de relancer seul l’Union, sauf à mettre en place une alliance paneuropéenne : tâche fort difficile à ce stade. Il devra, en tout cas, s’intéresser au cas de l’Italie : toute la dynamique en cours au niveau des grandes forces politiques (PD de Matteo Renzi, M5S, et surtout la droite en voie de radicalisation autour de M. Salvini) nous parait aller droit vers un conflit avec la ligne conservatrice allemande.

Enfin, au-delà des hommes, c’est tout le fonctionnement de l’Union européenne qui parait inadapté aux circonstances. Ce dernier résulte pourtant d’une longue maturation depuis les années 1950. Tout a été fait pour ne vexer personne, et pour que chaque décision résulte d’un consensus entre Etats. Le compromis politique, le juridisme et l’évolution graduelle sont les maîtres mots de ce mécanisme de conciliation des intérêts. Il n’a pas cessé de fonctionner pendant la crise actuelle, même si le rôle dirigeant de l’Allemagne s’est affirmé, et il devrait continuer à fonctionner au cours de l’année 2017. Par contre, ce mécanisme ne laisse pas la place à ce qui fait souvent la force des Etats lors des crises majeures qu’ils affrontent, à savoir la centralisation du pouvoir au profit d’un seul lorsque le péril guette. La République romaine, qui inspire toute notre tradition des contre-pouvoirs, avait inventé le remède au défaut propre de tout mécanisme consensuel de cet ordre. Elle avait institué "la dictature", le pouvoir temporaire confié à un seul de prendre toutes les décisions nécessaires à la sauvegarde de la République. Certes, tous les moments de la crise européenne ont été marqués par des Conseils européens "extraordinaires", par un renouveau de l’intergouvernementalisme, ou pour user d’un autre terme d’un "fédéralisme des exécutifs" (J. Habermas), confinant souvent à une renaissance du "directoire européen" où certains sont vraiment plus égaux que d’autres. Certes, de fait, Mario Draghi a joué ce rôle de dictateur pour sauver l’Euro en désespérant d’ailleurs les banquiers centraux conservateurs allemands poussés à la démission ou contraints à la soumission. Mais, pour tous les autres aspects de la "polycrise", les compromis, obtenus le plus souvent derrière des portes closes, compromis plus ou moins convaincants au final pour les populations concernées, continuent à jouer leur rôle de sauvegarde de l’existant, tout en étant incapables de fixer une ligne résolue de sortie de crise. Un mécanisme de "dictature" au sens romain manque donc clairement à l’Union européenne, et cela se voit, d’autant plus que les enjeux sont plus importants : la disparition des Européens comme acteurs majeurs de la crise syrienne au cours de l’année 2016 est de ce point de vue symptomatique. Il est possible que la gravité de l’un ou l’autre aspect de la "polycrise" finisse par obliger en 2017 les dirigeants européens à recourir à une telle solution, mais il est permis d’en douter tant la capacité de l’Union européenne à préserver sa logique de compromis parait inébranlable, et tant son incapacité à se doter d’une stratégie unitaire et vraiment cohérente apparait pérenne.

L’année des 60 ans des traités de Rome s’annonce donc sous un jour peu encourageant pour l’Union européenne. Il serait vraiment temps pour elle de songer à inverser les tendances délétères qui la minent depuis quinze ans ou de se préparer à entrer dans les livres d’histoire. 

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