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Afghanistan : cet inquiétant rapprochement entre la Russie, l'Iran et... les talibans
©Reuters

Sac de noeuds

Alors que le rapprochement entre la Russie, l'Iran et les talibans inquiètent fortement le gouvernement afghan et les Etats-Unis, cette nouvelle donne géopolitique pourrait bien perturber les équilibres géopolitiques - déjà très précaires - de la région.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Alors qu'une bonne partie de l'attention médiatique internationale se concentre sur le théâtre syrien, la Russie et l'Iran se seraient rapprochés ces derniers temps des talibans en Afghanistan, une situation qui inquiète notamment les États-Unis, qui pointent le risque de déstabilisation du gouvernement afghan. Dans quelle mesure un rapprochement Russie – talibans peut-il effectivement représenter une menace pour la stabilité de cette zone ?

Alain Rodier : Il est vrai que des responsables de groupes taliban ont eu des contacts avec des Russes au Tadjikistan et même à Moscou. De son côté, Téhéran a toujours joué un rôle complexe dans l’ouest de l’Afghanistan où les taliban ne sont pas - ou très peu - présents. Maintenant, le terme "taleb" (1) est un générique qui regroupe de nombreuses formations diverses et variées. D’ailleurs, il existe des différences entre les taliban afghans et pakistanais même si des liens existent. Un élément majeur pour tenter de comprendre la situation, c’est que la société afghane reste profondément tribale. Pour compliquer l’équation, des chefs ex-taliban sont passés du côté de Daech ! Alors, il serait utile de savoir quels groupes participent à ces pourparlers. Il est possible que l’on soit dans des effets de manches qui n’auront pas de traduction réelle sur le terrain.

L'ambassadeur russe en Afghanistan, Alexander Mantytskiy, assure que les liens avec les talibans visent à "assurer la sécurité en Asie centrale", arguant du fait que les talibans combattent l'État Islamique. Est-ce une réalité concrète sur le terrain ? Tous les groupes talibans présentent-ils un front uni contre l'EI ?

Il y a effectivement une guerre en Afghanistan - et au Pakistan - entre des partisans de Daech, anciennement membres des taliban ou même d’Al-Qaida "canal historique" et les autres mouvements islamistes radicaux. Il est à noter que très peu d’activistes de Daech sont venus de l’extérieur. Ce sont des militants locaux qui ont changé de bannière car Daech était en "odeur de victoire".

Mais surtout, les moudjahiddines - de toutes tendances - sont dans leur majorité opposés au pouvoir central de Kaboul. Ce dernier oublie aussi un peu vite qu’il a bien tenté des ouvertures vers les taliban mais elles ont été rejetées par la majorité d’entre eux. Pourquoi négocieraient-ils alors qu’ils savent qu’ils prendront Kaboul quand les derniers soldats de l’OTAN auront quitté le pays ?

Pour les Pakistanais qui jouent un rôle central dans la région, les "bons taliban" sont ceux qui n’attaquent pas Islamabad ! Par contre, ils sont utiles pour installer un pouvoir "ami" à Kaboul. Il ne faut pas oublier que l’Afghanistan assure la profondeur stratégique aux Pakistanais face à la "menace indienne". Si des négociations sérieuses doivent avoir lieu, les Pakistanais seront incontournables.

Alors que les États-Unis ne sont plus aussi présents que ces dernières années dans la région, et alors que la transition entre Barack Obama et Donald Trump induit une période de "flottement", dans quelle mesure peut-on penser que l'attitude de la Russie en Afghanistan permet, aussi, au pouvoir russe de mettre un bâton dans les roues de l'Otan, avec qui il partage plusieurs points de conflit ?

A n’en pas douter, le président Poutine utilise à plein la période de flottement qui existe à Washington jusqu’au 20 janvier, date de l’investiture de Donald Trump (2), pour avancer ses pions partout où il le peut ; après la Syrie, c’est au tour de l’Afghanistan. Son objectif consiste à replacer la Russie au centre des grandes négociations internationales ce qui serait un gage de puissance et d’influence pour l’avenir.

En élargissant le problème, au niveau international nous assistons à une redistribution des cartes du jeu (historiquement appelé le "grand jeu" en Afghanistan) qui va être intéressant à suivre. Le problème est que l’Europe n’a plus vraiment son mot à dire. Elle persiste à le faire mais elle n’est plus écoutée depuis longtemps.

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1.                   "Taliban" est le pluriel du mot "taleb" qui veut dire étudiant (en religion).
2.                   et même un peu après le temps que la nouvelle administration US soit vraiment opérationnelle.

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