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"L'excellence corporelle" ou quand l’entretien de soi devient le dépassement de soi
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Bonnes feuilles

L'objet de cet ouvrage est d'explorer ce qui mène du "souci de soi", tel que défini par l'Antiquité grecque, au "corps augmenté", dont le sport de haut niveau propose aujourd'hui une version expérimentale. Ce trajet n'est pas seulement un reflet historique, celui d'une histoire des pratiques corporelles qui inclurait la médecine, les gymnastiques, l'éducation physique et le sport. Extrait de "Du souci de soi au sport augmenté" d'Isabelle Queval (2/2).

Isabelle Queval

Isabelle Queval

Isabelle Queval est Professeure des universités. Directrice du Grhapes. INSHEA - Université Paris Lumières. Groupe de recherche sur le handicap, l’accessibilité et les pratiques éducatives et scolaires (EA 7287).

 

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Conjuguée aux promesses de l’oralité, l’instrumentalisation du corps commande une "mise en forme" esthétique, sanitaire et sportive. Cette modélisation suppose, non seulement une connaissance de soi – coeur, articulations, muscles, entre autres –, mais une appropriation par l’individu des finalités de l’exercice physique. L’entretien de soi devient sculpture de soi. Le loisir, le jeu, le défoulement, n’omettent pas les vertus physiologiques ou psychiques de l’effort. Là encore, le scientisme guette, en particulier dans le sport de haut niveau, dévoué à l’éminence médicale. La médecine instille vérités et prescriptions là où règne le culte du corps et celui du mouvement. Le sport devient jeu sérieux. Il compte ses "accros", drogués à l’exercice, ses esthètes, soucieux de leur image, ses prodiges, dont la carrière précoce suppose des cadences infernales, ses vétérans, public nouvellement captif des fédérations.

L’incitation à "bouger" pour notre santé traverse les médias. L’activisme sportif est de mise et labellise l’image sociale. Il faut absolument faire du sport, comme certains font du chiffre. Mais cette euphorie motrice a aussi ses revers. L’interrogation sur le bien être, qui traverse l’histoire du sport – et celle des gymnastiques et de l’éducation physique –, rencontre aussi l’obsession de la performance et du dépassement de soi. Les temps sont aux records, au risque, à l’extrême. Par ailleurs, cette intimité si spécifique qui consiste à "écouter" son corps, cette hypersensibilité à soi, implique aussi l’automatisme, l’habitude, et interroge sur le rapport liberté/servitude.

Qu’appelle-t-on "excellence corporelle" ? Est-ce la poursuite d’un bien, d’un bien-être, d’un équilibre, d’une juste mesure au sens où les Grecs l’entendaient ? Ou est-ce la quête d’une performance, c’est-à-dire d’un mieux, d’un dépassement de soi, au risque d’un excès, d’un déséquilibre ? Depuis toujours, l’histoire des pratiques corporelles nourrit cette ambivalence. Les gymnastiques de l’Antiquité initièrent les finalités pédagogique et médicale de l’effort physique, quand l’exploit olympique et militaire était vanté par Homère ou Pindare. L’équilibre est exceptionnel, savant, fragile. Aujourd’hui encore, l’éducation physique se confronte au sport, leurs projets s’opposent ou se lient, s’incluent l’un l’autre, dans le système scolaire, par exemple, qui le nomme EPS. Dans une société axée sur l’idéologie de la performance – entreprise, école, sport –, l’entretien de soi côtoie le dépassement de soi. Les définir suppose de penser la limite et le dépassement de la limite, quand le glissement, souvent, s’opère de l’un à l’autre, inhérent à l’effort.

Ainsi dans les pratiques ordinaires – jogging, vélo d’appartement, partie de tennis entre amis –, la quantification de l’effort et son inertie, l’adversité à soi ou à l’autre, la volonté de comparer sa forme à celle de la veille, amènent à se dépasser, même si on en dénie l’idée. "S’éclater", "se défoncer", "se déchirer", appartiennent au vocabulaire ordinaire du sport. La santé interroge la performance quand le sport d’élite expose ses dérives : blessures chroniques, après carrières sombres, espérance de vie écourtée, dopage. La gloire sportive est cernée d’abîmes. La mesure et l’excès, l’accomplissement et le dépassement, tels sont les termes du souci de soi sportif.

Extrait de "Du souci de soi au sport augmenté" d'Isabelle Queval, publié aux Editions Eyrolles.

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