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Le bilan Sarkozy vu par les patrons : 
trois chefs d’entreprises 
jugent le quinquennat
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Audit

Le Président de la "France qui se lève tôt" est-il toujours le candidat des patrons, comme il a pu l'être en 2007 ?

Eric  Verhaeghe - Hervé Lambel - Léonidas Kalogeropoulos

Eric Verhaeghe - Hervé Lambel - Léonidas Kalogeropoulos

Eric Verhaeghe est un ancien membre du MEDEF et président de l'APEC.

Hervé Lambel est un entrepreneur. Il est le président du CERF , créateur d'emploi et de richesse de France.

Léonidas Kalogeropoulos est un entrepreneur. Il est Vice-Président du mouvement patronal Ethic et fondateur du site libertedentreprendre.com

 

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Atlantico : Comment l'entrepreneur que vous êtes analyse-t-il le premier quinquennat de Nicolas Sarkozy?

Eric Verhaeghe : Paradoxalement, de façon assez amusée... Il s'agira probablement de l'un des quinquennats les plus discutés de l'histoire républicaine. Si l'on regarde à froid (autant qu'on puisse le faire), les cinq années qui viennent de s'écouler, et si l'on met à part le coût de la crise de 2008, le bilan n'est objectivement pas calamiteux. Certaines réformes resteront comme fondatrices. L'invention de la QPC par exemple, la réforme des universités, ou, directement pour les entreprises, la mise en avant de l'accord d'entreprise par rapport à la loi, la réforme de la représentativité ou la mise en place de la rupture conventionnelle. Ces mesures auraient probablement été proposées par un gouvernement de gauche, d'ailleurs. Elles sont au fond consensuelles, nécessaires, utiles.

Si on compare ce bilan aux quinquennats précédents, Sarkozy n'a pas à rougir de son action. Dans le même temps, il a exaspéré beaucoup de Français pour des tas de raisons qui n'ont rien à voir avec le coeur de sa politique. Et si les entrepreneurs doivent retenir quelque chose de cet épisode, c'est bien cela: que les meilleures idées du monde peuvent être gâchées par des attitudes, des comportements ou des gaffes qui prennent une importance inattendue pour l'opinion. En fait, ce "style managérial" où ce qui transparaît de l'homme est un excès, une démesure, n'est plus admis, surtout en temps de crise. L'opinion attend de son leader qu'il se concentre sur les dossiers, et qu'il prenne soin de ne pas laisser transparaître ses écarts personnels s'il en a. Alors que la génération de mai 68 avait proclamé qu'il fallait jouir sans entrave, on revient aujourd'hui à une volonté d'équilibre, et, dans une certaine mesure, de mise des passions sous le boisseau de la raison.

Hervé Lambel : Je pense que cela a été très dur. Il avait mené une campagne que tout le monde s’accorde à qualifier d’exceptionnelle : énergie, volonté, préparation, maîtrise. Et comme Ségolène Royal, il s’était imposé contre son appareil politique. Cela a fait naître de grands espoirs. Je pense qu’une part de la déception des Français est liée au fait qu’il n’a pas réussi à « maîtriser » cet appareil qui ne l’a pas soutenu. On n’est Président en France , sans un appareil qui vous soutient. Je pense qu’il a dû beaucoup combattre. Je pense que rarement l’adage « Protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en occupe » ne s’est aussi bien appliqué qu’à ce quinquennat. La politique est impitoyable.

Leonidas Kalogeropoulos : Ce quinquennat est marqué selon moi par une réforme majeure, que le Chef de l'Etat s'est curieusement peu approprié, qui est celle des auto-entrepreneurs. Avec 1 millions de personnes ayant opté pour ce statut, il a consacré un objectif que d'autres gouvernements avait poursuivi par le passé, celui de mettre l'acte entreprenarial à la portée de tous ceux qui sont animés par l'envie de se mettre à leur compte. Notre pays souffre des vestiges d'une lutte des classes toujours larvée, qui fait peser sur l'entrepreneur, le patron, le soupçon d'être un exploiteur. Avec le statut d'auto-entrepreneur, pour chaque français, il est désormais possible de devenir soi-même le "patron", et dans l'imaginaire collectif, cette option s'est rajoutée à celle du salariat, qui est souvent vécue comme la résignation à une soumission nécessaire.

Cette réforme insuffle le nécessaire esprit d'entreprise qui manque trop souvent à notre pays, ne serait-ce que parce que chacun peut se poser la question : "pourquoi pas moi? et si je me lançais? est-ce que ce que je sais faire comme salarié, je saurais le faire comme patron?"… Ce sont autant de questions qui en elles-mêmes réconcilient les Français avec l'économie de marché, et c'est en cela très sain et porteur d'un dynamisme prometteur de lendemains de croissance pour notre pays.

  1. Qu'est ce que vous attendiez de sa politique ? A-t-il rassuré ou déçu ?

  1. Eric Verhaeghe : En 2007, nous étions tous convaincus que la prospérité revenait, et Nicolas Sarkozy a été élu pour réformer un pays qui atteignait un plancher de chômeurs historiquement bas, avec des indicateurs économiques plutôt favorables. L'année où il est arrivé au pouvoir, le déficit de l'Etat était passé sous la barre des 40 milliards annuels. Si l'on songeaux chiffres d'aujourd'hui, on peut dire que le contexte de son élection était radicalement différent de ce que nous connaissons, notamment depuis septembre 2008. La question qui se pose est plutôt de savoir si sa réaction face à la crise est la bonne. De mon point de vue, la réponse est mi-figue mi-raisin. On peut dire assez largement que sa réaction immédiate fut excellente, et que sans Nicolas Sarkozy l'Europe aurait probablement sombré très rapidement dans la folie. En revanche, la réaction du lendemain, du premier matin où l'on se réveille après la tragédie, en quelque sorte, est quand même beaucoup moins convaincante.

  2. La France n'a pas repris la main et se trouve en constante réaction face à des événements qu'il faudrait ou dominer ou anticiper. L'Angleterre, par exemple, réforme son secteur financier pour limiter les risques systémiques. Pourquoi la France ne le fait-elle pas? La France s'est lancée dans une restructuration de son service public depuis bientôt cinq ans. Qu'en ressort-il ? Pas grand chose, sinon des suppressions d'emplois dont personne ne comprend vraiment le sens, et qui n'ont guère d'effet positif sur les équilibres financiers. Surtout, on dirait que plus personne n'a de vision de ce que doit être la France demain, et qu'en dehors d'une logique comptable annuelle et des cours de la bourse, il n'y a plus de politique dans ce pays. C'est une erreur. Un Président est fait pour dessiner les routes du futur, d'un futur qui doit être un espoir, pas pour paver les routes d'aujourd'hui. Certes, la gestion est une chose essentielle. Mais c'est un boulot de Premier Ministre. Au Président de proposer une grande réforme du système monétaire international, une autre vision de l'Europe, un grand rapprochement avec notre "hinterland" naturel qu'est la Méditerranée.

Hervé Lambel : Un tableau est rarement d’une seule couleur. Nicolas Sakozy était entré en campagne sur la question de la valeur travail et du pouvoir d’achat au travers d’une proposition, l’exonération des charges sur les heures supplémentaires et leur défiscalisation, une proposition élaborée et portée par le Cerf jusqu’à ce qu’il en fasse le socle de sa campagne. Sur ce point, il est impossible de dire qu’il a déçu. Seul des opposant politiques trouvent à redire à une mesure qui a effectivement profité à 9 millions de salariés en leur faisant bénéficier d’un demi smic en plus par an, qui venait s’ajouter au salaire payé pour les heures supplémentaires. Cette augmentation du pouvoir d’achat est incontestable, et elle a bénéficié à ceux qui travaillent.On peut regretter que plus n’en n’aient pas profité, mais là ce n’est pas lui qui a déçu, c’est le « monde » et la crise à laquelle personne ne s’attendait sous cette forme, ni avec cette violence.

La plupart des réformes qu’il a engagées sont arrivées très vite, avant que les observateurs autorisés ne prennent conscience de ce qui se passait et permettent au gouvernement par leurs alertes, de prendre plus tôt d’autres mesures, ou d’en mettre certaines en attente. Mais une fois la crise là, quelle réactivité sur les questions les plus importantes : réactivité amputée cependant du fait de la défaillance totale des partenaires sociaux qui n’ont rien vu venir et n’avaient rien à proposer, tant côté patronal que salarié. Je n’approuve pas l’interventionnisme, mais je dois reconnaître que sans lui, la médiation du crédit n’aurait jamais existé, et nous n’aurions pas eu de médiateur pour exiger des syndicats patronaux et des chambres consulaires qu’elles s’occupent des entreprises en difficulté ! Cette action a permis de sauver des milliers d’entreprises et des dizaines de milliers d’emplois alors que ce n’était pas son rôle. 

Sur l’état de la dépense publique, beaucoup a été engagé et je pense que les résultats viendront. Mais il faudrait aller plus loin. Il lui a été reproché de l’avoir augmentée, même par une partie de son camp politique. Je pense qu’il s’agissait pour cette dernière d’un jeu politique au sein de la majorité pour mettre le Président sous pression et permettre à certains courants internes de prospérer. En réalité, sur l’essentiel de l’augmentation de la dépense, tout ne peut pas être directement imputé à la crise, mais il faut y mettre un bémol de taille. Quand un chef d’entreprise fait des investissements, si la situation se retourne une fois qu’ils ont été engagé, l’entreprise peut se retrouver en difficulté, peut-on pour autant lui reprocher une mauvaise gestion ? Je pense que c’est largement ce qui s’est passé. Et c’est différent de la gestion que la France a connu depuis des décennies. Je regrette donc que l’on sacrifie l’honnêteté et l’objectivité sur l’autel de la lutte pour le pouvoir.

Voilà pour une part des points positifs. Mais nous avons été déçus aussi, sur les questions du commerce, de l’urbanisme commercial, de l’ouverture dominicale, mais surtout sur la formation professionnelle et sur la représentativité qui sont des chantiers où tout reste à faire. Sur ce dernier point des choses ont été faites et, peut-être que ce que nous attendions est en train d’arriver, grâce au Rapport Perruchot. L’avenir nous le dira. Mais nous sommes très circonspects.

Leonidas Kalogeropoulos : Il y a eu des actes très forts en faveur des entrepreneurs : le crédit impôt-recherche, qui est parfois critiqué dans sa mise en oeuvre, mais qui a permis de financer des innovations et de nouveaux produits ; le financement des entreprises par l'ISF, qui crée des passerelles entre ceux qui ont réussi et ceux qui se lancent ; les assouplissements dans l'utilisation des heures supplémentaires, qui ont donné des leviers aux PME pour faire face aux fluctuations des carnets de commandes, sans devoir nécessairement embaucher ; la mise en place des Médiateurs, du crédit, inter-entreprise ; le rapprochement universités/entreprises...

Toutes ces mesures sont saines et représentent autant de signaux et de leviers concrets en faveur des créateurs de richesses. Mais elles constituent aussi autant de palliatifs à une réalité globale française qui tourne le dos à l'entreprise, à l'initiative, au dynamisme. Pour toutes les mesures dont on se félicite, combien d'obstacles encore pesants : combien de magasins a-t-on vu obligés de fermer le dimanche, parce que la législation interdit toujours à des patrons et des salariés qui veulent travailler le dimanche de le faire. Comment, dans un pays guetté par la récession, peut-on encore empêcher des commerces qui apportent satisfaction à des clients contents de pouvoir consommer le dimanche, de pouvoir le faire. On aurait souhaité plus d'audace dans cette réforme en faveur du travail dominical, dont Nicolas Sarkozy est convaincu de la nécessité, à n'en pas douter.

Au registre des regrets, on peut constater que nous trainons toujours nos RTT nationales qui obèrent la vie des entreprises, que le code du travail est toujours aussi épais et qu'il a encore pris de l'embonpoint durant ce quinquennat, que nous sommes toujours confrontés à des inspecteurs du travail qui ne se considèrent pas comme des partenaires de la collectivité de l'entreprise, mais comme des gendarmes aux aguets pour traquer des "patrons-voyoux", qu'au delà des paroles toujours prêtes à louer les vertus de la PME, les actes sont si souvent favorables aux grands groupes, dans tous les secteurs, condamnant de jeunes pousses prometteuses à devoir mener des combats homériques devant des juridictions pour éviter les abus de position dominante de firmes trop souvent secondées par un appareil d'Etat complaisant.
Les réformes engagées ont été bien inspirées, mais peut être que le mode de gouvernement, trop centralisé, a empêché de décliner dans tous les registres ce souffle qui a marqué quelques réformes réussies. 

  1. La popularité de Nicolas Sarkozy chez les patrons s'érode, notamment sur les TPE (même s'il est toujours en tête). Peut-il toujours rester le "candidat des patrons" ?

Eric Verhaeghe : Je trouverais très dommage qu'il y ait un "candidat des patrons". Les patrons sont des gens comme les autres, il n'y a pas de raison qu'ils soient formatés pour penser de telle ou telle façon. En revanche, les TPE ont aujourd'hui des problèmes majeurs que les candidats à la présidentielle devraient regarder. Par exemple, il n'existe pas en France de Small Business Act. C'est agaçant, parce que toutes les commandes publiques ou presque sont cartellisées par des acteurs de grande taille, qui vivent avec une espèce de rente grâce à laquelle ils peuvent prospérer. Il ne serait pas absurde qu'une partie des commandes publiques soit réservée aux acteurs de taille moyenne, voire aux TPE. Cela obligerait d'ailleurs les administrations à penser leur rapport à l'économie autrement.

En outre, l'arsenal juridique et réglementaire est absolument incompréhensible pour les entrepreneurs aujourd'hui. Nous vivons dans le délire. Enfin, beaucoup d'entrepreneurs se plaignent de la difficulté de se financer. C'est un vrai sujet, sur lequel il n'existe pas de réponse simple, mais il est au coeur de la prospérité de demain. Les capitaux disponibles n'existent que pour des projets rentables à court terme. Aujourd'hui, nous ne pourrions plus construire des grandes industries comme celles que nous avons bâties au dix-neuvième siècle, de ces industries qui demandent de la patience et de la vision à long terme. Ce sujet me paraît étroitement lié aux défaillances du système éducatif. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté pour innover et réinventer, comme nous avons su le faire il y a deux cents ans. C'est un vaste chantier, qui suppose que l'école de demain valorise l'originalité et la diversité des élèves, plutôt que les sanctionner s'ils ne bachotent pas pour se retrouver en classe préparatoire complètement castratoire. 

Hervé Lambel : Naturellement, elle s’érode. Avez-vous idée de ce qu’ont vécu les patrons depuis 2008 ? La France compte d’ordinairement le taux de défaillance d’entreprise le plus élevé de tous les pays comparables et ce nombre a explosé. Ces années, depuis le début de 2008, sont celles de l’incertitude, de la baisse des revenus des patrons. Et les patrons sont comme tout le monde, même s’ils ont une bonne résistance au stress, ils ont besoin d’être rassurés pour pouvoir continuer à s’engager et se dire que ce qu’ils font n’est pas vain…

Leonidas Kalogeropoulos : Pour rester le "candidat des patrons", Nicolas Sarkozy doit entendre leurs attentes qui sont aux antipodes de l'idée selon laquelle "il ne faudrait pas faire une campagne d'experts comptables". Les patrons souhaitent entendre leur chef d'Etat parler en expert comptable volontariste pour remettre de l'ordre dans la maison, dans les finances publiques, vite, sans demi mesure, sans faux fuyants ! Avoir affirmé qu'en matière de réduction des dépenses publiques, la France était allée au bout de ses efforts, a été ressenti comme une erreur qu'il faut rapidement réparer. Il revient au Premier Ministre d'avoir créé un salutaire électrochoc en parlant d'un Etat au bord de la faillite.

Il faut que le candidat-Président assume toute la vérité de ce constat et contribue à le faire comprendre aux Français. Les patrons n'attendent pas véritablement qu'on leur prenne la main ou qu'on les assiste. Les obstacles, ils sont heureux qu'on les lève, mais en même temps, ils ont appris à vivre avec. Ce qu'Ils attendent de l'Etat, c'est qu'il s'impose un régime drastique et que le Chef de l'Etat soit le garant de cette nécessaire maîtrise des dépenses qui donnent le vertige.
Aucun patron ne peut s'empêcher de penser aux cauchemars qui hanteraient ses nuits s'il était à la tête d'une boîte dont le premier poste budgétaire était consacré au remboursement de sa dette, parce que celle-ci serait équivalente peu ou prou à un an de son chiffre d'affaire… Nous attendons d'un candidat qu'il parle de l'Etat comme un patron parlerait de sa boîte, et qu'il explique aux Français que lorsque l'on se sera serré la ceinture pendant quelques années, nous retrouverons des marges de manoeuvre, de la sécurité, des capacités, de l'agilité, et que cette épreuve des responsabilités va nous donner à tous un formidable dynamisme.
Nicolas Sarkozy peut encore porter cette promesse, mais l'allergie qu'il a manifesté durant des mois à l'utilisation du mot "rigueur" laisse penser que pour y parvenir, il lui faudra s'imposer à lui-même une véritable rupture.
Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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