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Pourquoi les Italiens bourrent littéralement leurs matelas de billets de banque
©Reuters

Bien au chaud

Historiquement, l'Italie est caractérisée par ce phénomène dit de thésaurisation. Mais dans le contexte actuel de crise du système bancaire national, placer son argent directement sous son matelas contribue à fragiliser davantage ce système, faisant ainsi perdurer la crise du crédit que connaît le pays.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : De plus en plus d'Italiens retirent l'argent liquide de leurs comptes en banque pour le garder physiquement chez eux. Dans quelle mesure ce phénomène peut-il être perçu comme inquiétant ? Que traduit-il ? 

Christopher Dembik : Globalement, ce n'est pas un phénomène inquiétant à la différence de la Grèce où ces retraits massifs ont eu lieu dans un laps de temps extrêmement réduit. Historiquement, certains pays européens  – et notamment ceux du Sud –  où il existe un important réseau bancaire, avec des banques installées sur le territoire depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles dans le cas de l'Italie, sont caractérisés par un phénomène de thésaurisation – qui correspond littéralement à mettre son argent sous le matelas – beaucoup plus élevé que dans d'autres pays européens, et notamment en France ou dans les pays nordiques. Ceci est d'ailleurs paradoxal compte tenu du fait que les plus vieilles banques sont italiennes.

Cette situation traduit deux phénomènes. En premier lieu, il s'agit d'une manifestation de la défiance vis-à-vis du système bancaire, accentué en Italie depuis 2012, moment à partir duquel on a commencé à s'inquiéter de la santé des banques italiennes. Ensuite, il est intéressant de croiser les données de l'économie grise – c'est-à-dire cette sphère économique qui n'est pas déclarée aux autorités – et les estimations en termes de sortie d'argent des banques. Ce que l'on constate généralement, c'est que c'est dans les pays où l'économie grise est fortement développée, comme c'est le cas en Italie – selon certaines estimations, cette économie grise représenterait près de 20% du PIB italien – que l'on remarque une incitation significative à la thésaurisation, et donc à ne pas mettre son argent en banque dans la mesure où il s'agit d'argent "sale". 

Le facteur culturel joue ainsi dans l'explication de ce phénomène. On constate effectivement dans les pays du sud européen, et notamment en Italie, un moindre usage des carnets de chèque et des cartes bancaires, ce qui corrobore le constat fait plus haut au sujet de l'économie grise. 

Matelas, oreillers, dalles sous la cuvette des toilettes... Ttels sont les endroits où les Italiens mettent littéralement leur argent liquide retiré de leurs comptes bancaires, arguant que c'est plus sûr que de laisser l'argent à la banque, ou à défaut dans un coffre. Est-ce effectivement le cas ? 

Il s'agit d'un comportement un peu irrationnel de croire qu'il est plus sûr d'avoir l'argent sous ses yeux. Dans le cas où une banque se ferait braquer ou ferait faillite, il existe un ensemble de réglementations européennes et nationales qui permettent d'assurer l'argent mis en banque. En France, si une banque fait faillite, votre argent est assuré jusqu'à 100 000 euros. Cela prévaut également pour l'Italie, étant donné que la réglementation européenne a été mise en place sur le modèle français. Historiquement, si l'on s'intéresse à l'usage de l'argent liquide, celui-ci a toujours été un peu irrationnel. 

D'après la Banque d'Italie, près de 90 milliards d'euros ont été retirés par les Italiens de leurs comptes en banque. Dans quelle mesure ce phénomène contribue-t-il à aggraver la crise du système bancaire italien ? 

Bien que le phénomène soit étalé sur quatre ans, celui-ci reste préoccupant. Pour juger de cette préoccupation, il faut comprendre le fonctionnement d'une banque : aujourd'hui, lorsque celle-ci fait un prêt, elle le fait grâce à l'argent qu'elle a en caisse, celui que les individus déposent. Ainsi, plus les banques vont faire face à un phénomène de retrait de capitaux, moins elles seront en mesure de faire des prêts. C'est justement l'un des principaux problèmes de l'économie et des banques italiennes. Malgré les mesures prises à l'échelle européenne pour restaurer l'accès au crédit dans les pays du Sud, on remarque que l'Italie continue à accorder peu de crédits, ce qui est lié en grande partie à ce phénomène de thésaurisation. Si vous cumulez ce dernier aux prêts non performants, automatiquement, vous allez accorder moins de crédits aux consommateurs et aux entreprises. 

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