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Pourquoi l’absence de coup de pouce pour le Smic est (malheureusement) une bonne nouvelle pour bien des travailleurs pauvres
©Reuters

Lumpenproletariat et vices du système français

Alors que le gouvernement a décidé de ne pas donner de coup de pouce artificiel au Smic, qui augmentera mécaniquement de 0,93% à partir du 1er janvier 2017, un salaire minimum trop élevé peut avoir des effets négatifs sur l'économie mais aussi sur certains travailleurs.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le 1er janvier prochain, le Smic sera mécaniquement revalorisé de 0,93% suite à l'évolution de l'inflation. Alors que l'absence de coup de pouce gouvernemental a été pointée du doigt par certains syndicats et politiques (PCF, FN), dans quelle mesure un Smic trop élevé peut-il se révéler contre-productif pour certains travailleurs ?

Philippe Crevel : La fixation du Smic est un geste éminemment politique quand bien même il touche avant tout les entreprises. Quand le gouvernement décide d’augmenter le salaire minimum, il modifie les coûts des entreprises. Ces dernières peuvent certes augmenter leurs prix mais en période de forte concurrence, c'est très difficile. De ce fait, elles sont contraintes soit de réduire leur taux de marges et donc l’investissement, soit de réaliser des gains de productivité, voire de faire les deux à la fois. C’est parce que le Smic est très élevé en France et qu’il est le même dans tous les secteurs d’activité que le niveau de productivité est élevé. Cela a comme conséquence d’exclure du monde du travail les salariés les moins productifs. Le Smic est un mur. Il est difficile à franchir pour ceux qui sont à la recherche d’un emploi. Toute hausse du Smic pénalise ceux qui sont en-dehors du monde du travail. Par ailleurs, pour contourner l’obstacle du Smic, les entreprises ont recours à la sous-traitance, aux micro-entreprises, aux TNS… Le conflit Uber est la parfaite illustration de cette évolution. Les chauffeurs VTC sont dans une situation de subordination vis-à-vis des plateformes. Ils n’ont pas la liberté de leurs tarifs ; ils doivent acheter des modèles spécifiques de voitures et respecter des règles de conduites très précises.

L’augmentation du Smic a également pour conséquence de réduire les marges de manœuvre des dirigeants pour augmenter en fonction de critères objectifs leurs salariés. Par ailleurs, un Smic plus élevé conduit à ce qu’une part croissante de la population active se situe en termes de rémunération autour du Smic, ce qui n’est pas très motivant.

Le montant du Smic est insuffisant en particulier pour faire face aux dépenses de logement mais ce n’est pas en l’augmentant de quelques centimes que l’on règle le problème.

Pour ces travailleurs, quelles sont les conséquences d'une mise à l'écart du statut de salarié (protection sociale, précarité, avantages divers...) ?

Le développement d’un sous-salariat est extrêmement pernicieux. Cela crée un lumpen-prolétariat au sein même de nos sociétés dites avancées. La digitalisation favorise la montée en puissance des petits boulots à la rentabilité faible. La couverture sociale des personnes ayant recours au statut de micro-entreprise est réduite. Pas d’indemnisation du chômage, pas d’obligation de complémentaire santé, des droits à la retraite faible... Tout cela constitue les bases de bombes à retardement. Les revenus issus des emplois liés aux plateformes ne permettent pas souvent de vivre et sont en-dessous du Smic, une fois les charges prises en compte. Cela ne peut être qu’un complément.

La situation spécifique du marché du travail français devrait-elle selon vous nous inciter à imaginer un nouveau statut et/ou une nouvelle forme de salaire minimum ? Quelle forme pourrait-elle prendre ?

Demander la hausse du Smic ne sert à rien si ce n’est se donner bonne conscience. La question est de savoir comment favoriser l’accessibilité au marché du travail et que ce dernier soit rémunéré de manière équitable. Le Smic a été sacralisé tout comme le CDI sauf qu’aujourd’hui, l’un comme l’autre sont contournés. Plus de 80% des nouvelles embauches ne se font pas en CDI.

Il faut un cadre qui soit ne soit pas lié à la forme de l’emploi mais à la personne. Que l’on soit indépendant, auto-entrepreneur ou salarié, on doit disposer d’un minimum de protection sociale. Celle-ci doit être progressive en fonction de l’âge. Par ailleurs, les droits doivent être portables d’un emploi à un autre, quelle que soit sa forme. Ainsi, un travailleur indépendant qui passe après trois ans à un statut de salarié n’abandonnerait pas ses droits accumulés et inversement. Ainsi, il y aurait une amélioration de la couverture sociale des TNS. Cela permettrait par ailleurs de réformer le RSI.

Il conviendrait également de revoir les modes de rémunération et de calcul des charges sociales. Le système actuel a comme conséquence de positionner la France sur les produits de gamme moyenne. Du fait des règles d’exonération de charges sociales, les entreprises ont concentré leurs effectifs entre 1 et 1,6 fois le Smic. Ce choix freine la montée en gamme de notre outil productif. En premier lieu, il conviendrait d’instituer un abattement à la base, c’est-à-dire exonérer les 500 premiers euros de salaires de toutes charges. Avec un tel dispositif, il n’y aurait plus d’effet de seuil pervers. Il faudrait prévoir des mécanismes assurantiels permettant de compenser des pertes de revenus en cas de changement d’emplois ou de statuts ou pour les travailleurs les plus âgés. Ce système atténuerait les changements brusques de situation et pourrait compenser la soi-disant perte de compétitivité des actifs en fin de carrière.

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