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Etats-Unis : pourquoi le vote du Collège électoral n'est pas qu'une formalité
©Reuters

D-Day

Le Collège électoral vote aujourd’hui. Or depuis la victoire surprise de Donald Trump le 8 novembre, les démocrates déçus n’en finissent pas tempêter contre cette institution, pourtant voulue par la Constitution et essentielle à la démocratie américaine.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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C’est jour de vote aux Etats-Unis ! C’est aujourd’hui que les fameux « grands électeurs » vont se réunir au sein du « Collège électoral » pour voter dans le cadre de l’élection présidentielle. C'est le  deuxième acte de ce rituel quadriennal. Un acte encore plus important que le premier car c’est le vote d’aujourd’hui, et non pas le vote populaire, qui détermine le nouveau président. Il en va ainsi aux Etats-Unis depuis 1787 et la ratification de la Constitution.

Mais ces dernières semaines, les appels se sont multipliés pour une révision de cette procédure. Certains allant même jusqu’à y dénoncer un déni de démocratie. Car le vote populaire a été clairement remportée par Hillary Clinton avec 65 millions de voix contre 62, 3 à Donald Trump. Un écart béant de près de trois millions de voix et 2 points en pourcentage.

Néanmoins au Collège électoral c’est Trump qui l’a largement emporté avec 306 voix contre 232. Pourquoi une telle différence ? Parce que les votes sont comptabilisés Etat par Etat, et que le candidat arrivé en tête dans un Etat emporte tous les grands électeurs attachés à cet Etat. Or le 8 novembre, Trump a gagné dans les Etats qu’il fallait, à savoir les Etats décisifs (« swing states »), et en particulier ceux de la Rust Belt, pour distancer largement Hillary Clinton au décompte des grands électeurs.

En vérité le phénomène n’est pas rare. Il s’était déjà produit en 2000 quand Al Gore avait gagné de quelques milliers de voix face à George W. Bush mais s’était incliné au décompte des voix du Collège électoral. La situation s’était également rencontrée en 1824, 1876 et 1888. A chaque fois bien sûr la Constitution avait été respectée et le Collège électoral avait eu le dernier mot (sauf en 1824 quand l’élection avait été décidée par la Chambre des représentants).

La victoire de Donald Trump devrait donc être confirmée aujourd’hui. Mais peut-être ne le sera-t-elle pas ?  C’est pourquoi la journée est capitale aux Etats-Unis. Les démocrates les plus déçus caressent en effet l’idée de « retourner » suffisamment d’électeurs républicains pour invalider l’élection de Donald Trump.

La tâche n’est pas facile car il leur faut 37 voire 38 retournements pour inverser le résultat. Il est donc très peu probable qu’ils y parviennent. Néanmoins une vaste campagne est menée depuis plusieurs semaines aux Etats-Unis, à l’adresse de ces grands électeurs, individuellement et du Collège électoral dans son ensemble. Cela passe par des sollicitations directes, des pétitions, des éditoriaux et chroniques dans les médias, des procès en justice pour invalider tel ou tel résultat, et même des  propositions pour échanger ces votes contre différentes faveurs politiques… Officiellement un seul grand électeur républicain (du Texas)  a pour l’instant indiqué qu’il ne voterait pas pour Donald Trump. Non pas à cause de la campagne en cours, mais pour des raisons personnelles.

Par ailleurs le vote de ces grands électeurs est supposé « bloqué ». Plus que de « vote », il faudrait parler de « mandat ». Ces grands électeurs ne sont pas libres de leur choix. Ils vont voter en tant que délégués élus au nom de Donald Trump. Là où il l’a emporté, ce serait trahir les électeurs que de ne pas voter pour lui.

Même si les démocrates parvenaient à leur fin et obtenaient que Trump échoue au seuil minimum de 270 voix, cela ne donnerait pas automatiquement la victoire à Hillary Clinton. En effet selon la Constitution, si aucun des candidats n’obtient le nombre de voix nécessaire (270), l’élection du président est renvoyée à la Chambre des Représentants  (celle du vice-président est renvoyée au Sénat). Or les Républicains sont majoritaires dans ces deux chambres.

Le problème est que le résultat du vote d’aujourd’hui ne sera communiqué que le… 6 janvier 2017, lors de la rentrée du Congrès. Et c’est à ce moment et cette occasion seulement que sera officialisé le résultat de l’élection présidentielle. Concrètement les « grands électeurs » vont se réunir aujourd’hui au sein de capitoles de leurs Etats respectifs. Ils vont se prononcer et  consigner le résultat du vote dans une enveloppe qui sera transmise au gouverneur et envoyée au Congrès. Et c’est devant tous les élus du Congrès que les cinquante et une enveloppes (50 Etats + Washington D.C.) seront ouvertes, les votes lus, le total additionné et le résultat proclamé.

Pourquoi de tels délais et une telle procédure ?  Pour des raisons historiques d’abord. Le courrier n’a pas toujours avancé à la vitesse de l’électricité. Il fallait, voici un ou deux siècles, des semaines pour qu’une lettre traverse le pays. Mais surtout pour des raisons juridiques liées à la nature même de la démocratie américaine.

Comme leur nom l’indique les Etats-Unis d’Amérique sont une fédération d’Etats indépendants ayant lié leur sort et confié leur destin à un gouvernement fédéral, mais ayant également pris soin de préserver leur voix en tant qu’Etat au sein de cette fédération. Cela vaut pour le Collège électoral, comme cela vaut pour des dizaines et des dizaines de législations. Les Américains forment une nation, mais ils sont également les résidents de cinquante Etats différents et  n’ayant pas tous les mêmes lois, qu’il s’agisse de la consommation d’alcool, de l’avortement, du port d’armes, de la peine de mort et du mariage homosexuel, pour ne citer que quelques sujets contemporains. C’est cette mosaïque qui fait la particularité des Etats-Unis et c’est cette mosaïque qui s’exprime à travers le collège électorale.

Eliminer le collège électoral reviendrait à confier les rênes du pays au grands centre urbains qui concentrent 80% de la population, d’une part, et aux quelques Etats les plus peuplés, la Californie, le Texas, la Floride et New York, qui rassemblent près de cent millions d’habitants à eux quatre, soit 30% du total.

Le Collège électoral est en fait l’équivalent du Sénat appliqué au pouvoir exécutif. De même que le Congrès est composé d’une chambre « basse » - la chambre des représentants- dont les membres sont élus au suffrage universel au prorata de la population de chaque Etat,  et d’une chambre « haute », le Sénat, dont les membres sont limités à deux par Etat, pour compenser les écarts de populations et préserver la voix des Etats, de même l’élection présidentielle passe par un vote «bas » , le vote populaire, et un vote « haut » le vote du collège électoral. De là à penser que les Pères Fondateurs ont édifié une Constitution capable de résister aux élans du peuple, jugé trop manipulable, il n’y a qu’un pas… que nombre d’historiens ont franchi.

L’ironie de 2016 est que ce système se retrouve cul par-dessus tête car Trump est le candidat du peuple contre les élites.  

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