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Plaidoyer pour la Serbie
©Reuters

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Voilà maintenant près de trois ans que la Serbie a entamé les négociations pour intégrer l'UE, sans aucune avancée notable depuis.

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa est normalien, agrégé, docteur d’Etat, ancien président de l’université Paris I – Sorbonne où il a détenu l’unique chaire officielle de géopolitique en France. Il fut conseiller culturel, scientifique et de coopération auprès des ambassades de France aux Etats-Unis et en Argentine. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il a présidé l’Académie internationale de géopolitique.

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A l’heure où l’Europe (après avoir tenté de régler la question grecque, puis avoir affronté le "Brexit") vit au rythme des péripéties, souvent dramatiques, liées à l’afflux croissant de migrants venus du Proche-Orient ou du continent africain, il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’un pays européen, (directement conforté, du fait de son contexte géographique, à ce spectaculaire défi et malgré la présence de plusieurs centaines de milliers de réfugiés serbes de Croatie, Bosnie et du Kosovo), un pays européen, ami de longue date de la France, frappe à la porte de l’Union européenne : la Serbie !

Les liens historiques et culturels entre Belgrade et Paris sont patents et multiples, d’Hélène d’Anjou à Alphonse de Lamartine, à Victor Hugo ou à l’armée française d’Orient du maréchal Franchet d’Esperey.

Mais, et ce n’est pas là un simple paradoxe apparent, alors que l’opinion publique française est très majoritairement en empathie avec le peuple serbe, de nombreux médias semblent contribuer, sciemment ou inconsciemment, à la dégradation de l’image de Belgrade, feignant d’oublier que l’Etat serbe a fort heureusement su refermer depuis des années la douloureuse parenthèse des années 1990. Les raisons de ce dénigrement ? Paresse intellectuelle ? Lobbies anti-serbes alimentés par certains voisins ? Imprécations de quelques "élites" germanopratines ? Un peu de tout cela sans doute…Une analyse objective de la Serbie d’aujourd’hui permet pourtant de tordre le cou à de nombreux mythes.

L’adhésion de la Serbie à Bruxelles nous semble plus que jamais d’actualité. Le contexte économique y est favorable : un taux de croissance annuel tournant autour des 3% ; un IDH qui place Belgrade à bon niveau mondial ; une population en dessous du seuil de pauvreté sous la barre des 5% ; un PIB individuel de l’ordre de 6 500 dollars. La Serbie est aujourd’hui ouverte aux investissements étrangers et dispose d’atouts loin d’être négligeables : une fiscalité très favorable, une main d’œuvre qualifiée, des subventions spécifiques réservées aux investisseurs…

La lecture de l’agenda relatif à la candidature de Belgrade s’avère éloquente :

  • La Serbie formule officiellement sa candidature le 22 décembre 2009;
  • Le 23 octobre 2011, Bruxelles lui accorde le statut de "candidat à l’entrée";
  • Le 2 mars 2012, ce statut est confirmé par le Conseil de l’Europe;
  • Et Belgrade a entamé les négociations en janvier 2014…Bientôt trois ans…

Quid, alors, des obstacles à l’adhésion ?

Le Kosovo ? Rappelons que l’ancien président de la Commission européenne déclarait officiellement, et sans avoir été contredit par quiconque, "que la reconnaissance du Kosovo n’était pas une pré-condition à l’adhésion". Et que Bruxelles, en ce domaine, n’a guère eu de position homogène, puisqu’à la date de la candidature d‘adhésion, quatorze Etats membres avaient reconnu sans réserves  l’indépendance du Kosovo, huit ont plus ou moins tergiversé, et cinq ne l’avaient pas reconnu: l’Espagne, Chypre et, ce qui n’est pas neutre, trois pays de la zone, la Grèce, la Roumanie et la Hongrie…

Quant à la question du Tribunal pénal international, qui était, elle, une vraie pré-condition, elle est désormais réglée. Bruxelles avait fait de la résolution de cette question "la seule condition d’obtention de l’adhésion". En 2011, les deux derniers responsables concernés, Mladic et Karadzic, étaient arrêtés. Et Bruxelles a alors souligné "la très bonne coopération de la Serbie vis-à-vis du Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie".

En outre, comme le rappelait  la chancelière allemande Angela Merkel, cette adhésion représenterait "un moyen supplémentaire de faire contrepoids à l’influence de la Russie dans les Balkans".

Or, que s’est-il passé ce lundi, le 12 décembre, à Bruxelles ? La délégation serbe, menée par son Premier ministre, Aleksandar Vucic, a claqué la porte et décidé de ne pas participer à la future Conférence intergouvernementale. En effet, suite à l’opposition croate d’ouvrir le chapitre 26 (sur l’éducation et la culture) de l’adhésion serbe à l’Union européenne, Belgrade a estimé avoir fait des efforts qu’aucun autre candidat à l’adhésion n’avait eu à fournir et d’avoir subi trop d’humiliations et de chantages.

Le même jour, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est arrivé à Belgrade et a fait une déclaration sur les principes généraux de relations internationales, et notamment la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains. Par la même occasion, le ministre Lavrov a promis "un don" d’avions de combat qui manquent à l’armée de l’air serbe. Ceci sera discuté avec Vladimir Poutine le 21 décembre prochain à Moscou avec le Premier ministre serbe. Ce même lundi dernier, le Premier ministre croate Plenkovic est reçu par Angela Merkel, comme récompense pour son obstruction à l’adhésion serbe, le matin même. Coïncidences malheureuses du calendrier ou navigation au-dessus de nos têtes dont on ne voit pas d’effet immédiat ?

Les relations franco-serbes sont anciennes. Rarement en France, et encore moins à l’étranger, vous ne verrez gravé en marbre sur un de ses principaux monuments, "Aimons la France comme la France nous a aimée".

Comment ne pas se souvenir de l’émouvant pamphlet de Victor Hugo, écrit depuis Guernesey en 1876, et intitulé Pour la Serbie. Le peuple serbe survivait à l’époque sous le joug ottoman. Dans son texte, Hugo dénonçait, certes, les exactions commises et l’inertie des gouvernements occidentaux face à la situation dramatique du pays. Mais il écrivait aussi :

"Ce que les atrocités de Serbie mettent hors de doute, c’est qu’il faut à l’Europe une nationalité  européenne, un gouvernement unique, un immense arbitrage fraternel  En un mot, les Etats-Unis d’Europe!"

Bref, Pour la Serbie est considéré depuis un siècle-et-demi comme le texte fondateur des "Etats-Unis d’Europe".

Et ce ne serait que justice d’entériner l’entrée de Belgrade dans l’Union, contribuant ainsi, comme chaque nouveau venu dans la Maison Europe, à l’enrichissement de cette dernière. La France a son mot à dire !

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