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Corruption : le Président allemand aurait-il démissionné s'il avait été élu en France... ?
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Le président allemand Christian Wulff a fini par démissionner ce vendredi, suite à des accusations de corruption portant sur des avantages financiers reçus de riches entrepreneurs.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Atlantico : Le président allemand Christian Wulff a finalement annoncé sa démission ce vendredi, après des accusations de corruptionIl faisait face à la pression des médias et de l’opposition qui l'accusaient d’avoir profité de sa position à la tête de la Basse-Saxe (2003-2010) pour obtenir des avantages financiers indus (un prêt occulté ou des vacances chez de riches entrepreneurs à l'étranger) avant d’avoir tenté d’empêcher la révélation de ces affaires par la presse. Une telle histoire pourrait-elle se dérouler de la même façon en France ?

Gaspard Koenig : Pour qu’une telle affaire soit possible en France, il aurait d’abord fallu que les journalistes puissent la rapporter. Le rapport du journaliste au pouvoir est quand même plus compliqué en France que dans les pays anglo-saxons. Par ailleurs, il aurait fallu que le Président ne bénéficie pas d’un système légal. Il se trouve qu’en France beaucoup de ce que l’on appelle « corruption » dans d’autres pays est tout simplement permis.

Par exemple, il y a eu en Angleterre un scandale des dépenses des parlementaires. Des parlementaires ont du démissionner, certains mêmes ont été emprisonnés pour quelques milliers de pounds surfacturés pour leurs dépenses personnels. En France, nous avons ce que l’on appelle la « réserve parlementaire ». Une masse d’argent complétement opaque de plusieurs millions d’euros gérée uniquement par le Parlement et distribuée aux parlementaires pour réaliser les projets qu’ils veulent dans leurs circonscriptions…

Il y a beaucoup de choses qui en France sont complétement légales. On sort un petit peu du domaine politique, mais la corruption de régimes étrangers par les entreprises pour obtenir des contrats étaient jusqu’à la fin des années 1990 non seulement légale, mais exempté d’impôts par le fisc français.

La France entretiendrait donc un rapport particulier à la corruption ?

Nous avons en France, historiquement, des grandes figures de la corruption qui demeurent finalement plutôt sympathiques. Je pense notamment à Nicolas Fouquet, Talleyrand ou même Roland Dumas. Est-ce que Talleyrand est un mauvais homme ? En un sens, on peut dire que c’est lui qui a sauvé la France.

Il est d’ailleurs intéressant qu’Eva Joly soit aussi impopulaire. Elle qui a mis en examen le président du Conseil constitutionnel de l’époque (Roland Dumas).

Il y a de bonnes et de mauvaises raisons à cela. Il est vrai que les réseaux, les échanges de service et l’absence de transparence dans les dépenses prennent des proportions exagérées dans notre pays. On sait qu’il existe, notamment grâce au bestseller « L’oligarchie des incapables », tous ces petits réseaux de dons et contre-dons qui font le tissu de la République.

Mais il y a aussi de bonnes raisons. Nous n’avons pas en France cette recherche absolue de la « pureté ». Nous avons une certaine tolérance pour la déviance individuelle. Je me souviens d’un passage assez révélateur du livre d’Eva Joly. Après l’affaire Dumas, elle avait écrit dans son livre, « Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?» : « La Norvège est une société formidable, hyper transparente, avec très peu de corruption etc… » Mais elle dit aussi, sans s’en rendre compte (en fait, je crois que c’est lié) : « Ce qui me manque de Paris, ce sont les sorties, les théâtres, une certaine folie, l’art de vivre etc… » Les deux sont liés car les pays nordiques, selon un classement de Transparency International, sont les plus vertueux mais sont également, dans un autre classement, les pays où les taux de suicide sont les plus élevés.

Dans « La fable des abeilles » de Bernard Mandeville, il est expliqué que la créativité d’une société (dans tous les domaines) est souvent liée à une forme d’exagération, de phobie qui parfois ne peut s’accommoder de règles trop strictes.

La corruption, selon vous, peut donc avoir ses vertus. Où placez-vous la ligne jaune ?

Je crois que c’est une question de balance. Des grands économistes comme Samuel Huntington ont essayé de définir ce qu’était la corruption. Quand on commence à creuser un peu, on s’aperçoit qu’il n’est pas aussi facile de dire si tel acte est de la corruption ou non. Quelle est la limite ? Quelle est la zone grise ?

La conclusion d’Huntington est, qu’indépendamment de la limite, il faut qu’il y ait une zone grise. Une zone où l’on puisse dire : « Ce n’est pas tout à fait clair mais ce n’est pas grave ». Il faut que la société se préserve cet espèce de matelas de sensibilité morale. Les sociétés qui refusent cette zone grise peuvent très vite devenir totalitaires. Dans « 1984», George Orwell décrit une société ultra transparente dans laquelle justement le héros crie à un moment : « Qu’on me donne un peu de corruption ! ». A l’inverse, dans « Eichmann à Jérusalem », Hannah Arendt décrit la pureté morale d’Adolf Eichmann. Elle explique qu’il était un personnage qui refusait toutes formes de corruption.

Avons-nous récemment évolué en France ?

La tolérance française, depuis une dizaine d’années, semble s’amoindrir. Nous avons des associations comme « Anticor » qui deviennent de plus en plus puissantes. L’affaire Woerth montre bien que ce qui paraît relever de la banalité affligeante dans la société politique (échanger une légion d’honneur contre un service) est aujourd’hui la cause de beaucoup d'indignations.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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