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Post big bang 2008 : La France de 2012 est-elle encore gouvernable comme celle de 2007 ?
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Le meilleur des mondes ?

"La première élection du XXIème siècle", c'est ainsi que Nicolas Sarkozy a résumé la présidentielle. L'historien Alexandre Adler revient sur les principaux bouleversements du monde ces cinq dernières années et pourquoi le futur Président français pourrait n'avoir que des pouvoirs restreints...

Alexandre Adler

Alexandre Adler

Alexandre Adler est historien et journaliste, spécialiste des relations internationales.

Il est l'auteur de Le monde est un enfant qui joue (Pluriel, 2011).

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Atlantico : L'une des premières déclarations du candidat Nicolas Sarkozy fut de dire que, le monde ayant changé, cette élection présidentielle est la première du XXIème siècle. Dans quelle mesure, selon vous, ce propos est-il justifié ? Peut-on penser le monde de 2012 comme on le faisait lors de la campagne présidentielle précédente ?

Alexandre Adler : Il a particulièrement raison s’agissant de la France. C’est la première élection qui se situe en dehors des limites de la Vème République. Bien entendu nous n’avons pas proclamé la VIème république que souhaitait Arnaud Montebourg. Nous ne revenons pas à la IVème, à laquelle aspire probablement François Hollande. Il est évident qu’aujourd’hui, le pouvoir du président de la République français n’est plus celui que De Gaulle avait rêvé pour ses successeurs lorsqu’il a fondé la Vème république. Le pouvoir exécutif français a été, au sein des démocraties modernes, probablement le plus fort de tous.

Par la nécessité de la construction européenne, et de la crise que nous traversons, il n'a plus ces pouvoirs. Nous aurons désormais, c’est ce que souhaite Angela Merkel, une politique budgétaire commune, unique à la zone euro. Ce que Jean-Claude Trichet, avec son talent pédagogique habituel, a appelé simplement un ministre des Finances de la zone euro.

Si nous avons un ministre des Finances commun, nous ne tarderons pas à avoir aussi un ministre des Affaires Étrangères commun, une défense commune... Le fédéralisme, thème agité comme un serpent de mer par tous les partis français depuis des années, est déjà là. Le Président que nous allons élire, qu’il s’appelle François Hollande, François Bayrou ou Nicolas Sarkozy, ne sera plus le Président souverain de la France. Il restera un personnage de très grande importance au sein d’un exécutif européen où il prendra place à côté de la Chancelière allemande,  du Premier ministre italien, du gouverneur de la banque centrale européenne, et d'au moins de deux ministres fédéraux : un ministre des Finances et un ministres des Affaires Étrangères. Il n’est donc pas impossible que le Premier ministre disparaisse et que le Président devienne d'une certaine façon le Premier ministre de la France.

C’est une nouveauté qui nous vient sans que l’opinion y soit complètement préparée, vu que l'on n'a pas l’intention de nourrir le vote lepeniste en le proclamant trop haut, trop fort. Mais cette nouveauté va s’imposer au lendemain même de l’élection, quelque en soit le résultat. Après cela, nous n’aurons plus la Vème République telle que nous l’avons connue. En ce sens, c’est une campagne électorale complètement nouvelle. Cependant, la transformation de la gouvernance européenne et donc française qui est le point central de cette campagne n’est absolument pas au cœur des débats parce que personne n’a envie de lever ce lièvre.

Vous parlez d'Europe, mais au-delà, dans ce "nouveau monde" que vous décrivez, quelle est la place de l'Occident ?

La place de l’Occident dans le monde a changé considérablement, d’une manière sans doute assez durable, avec une transformation du rôle des États-Unis.

Le niveau d’endettement des Américains est très supérieur à celui des Européens. Là encore, Jean-Claude Trichet a soulevé le vrai lièvre en disant que notre problème, en Europe, était un problème de gouvernance, de gestion de la dette publique, mais pas un problème d’endettement. Un pays endetté comme les États-Unis ne peut plus avoir la politique étrangère qu’il avait. C’est ce que l’Angleterre a connu dans les années 1945 et qui a entraîné une rapide décolonisation, et c'est que les Etats Unis connaissent aujourd’hui.

On aurait pu penser que le pacifisme radical de Barack Obama serait le point sur lequel il s’opposerait aux conservateurs, aux nostalgiques de George Bush et de la croisade pour la démocratie dans le monde. Et bien pas du tout. Barack Obama a précisément réussi à obtenir un consensus sur sa politique étrangère. Il a évacué totalement l’Irak, il est en train d’évacuer l’Afghanistan... En dehors de la sécurité du Golfe persique assurée par des navires, on peut dire que l’Amérique rentre chez elle. J’ai récemment parlé à Condoleezza Rice, la dernière Secrétaire d’état de George Bush, et elle m’a dit les choses de manière très claires : "Les Américains sont fatigués." Ils veulent rentrer à la maison. Exactement comme les deux grands parties étaient d’accord pour mener la guerre froide contre le pouvoir soviétique, ils sont aujourd'hui d’accord pour ne plus dépenser ce qu’ils dépensaient autrefois pour leur influence dans le monde.

A la rigueur, ils vont garder une certaine position dans le Pacifique pour que les Chinois ne se considèrent pas comme les maîtres du lieu, ils vont maintenir des points d’appui ici et là. Nicolas Sarkozy s’est battu un moment pour rejoindre les États-Unis dans une croisade antiterroriste, démocratique. Aujourd’hui, qu’il soit réélu ou que ce soit son successeur, il aura des rapports beaucoup plus anecdotiques et détendus avec les Américains. L’OTAN ne sera plus une structure importante et la politique américaine ne sera plus une politique dominante dans les affaires mondiales, y compris les affaires financières. Au temps où l’Amérique était la première puissance mondiale, elle n’aurait pas laissé les choses se dégrader en Europe à cette vitesse. Aujourd'hui, que voulez vous qu’Obama ou un autre fasse pour les Européens ? Il n’a pas d’argent à donner, seulement des conseils.

En revanche, je  ne pense pas que les puissances émergentes vont jouer un rôle majeur. On peut perdre une puissance dominante, avec tous les effets de stabilité que celle-ci apportait, sans en gagner une autre. Nous allons arriver dans une période d'anarchie. Quand les Russes veulent sauver Bachar el Assad, ça ne donne rien du tout. Quand les Chinois essaient de jouer la diplomatie mondiale, comme ils manquent d’expérience et que cela ne les intéresse pas vraiment, ça ne donne rien. Quand le Brésil s’ébroue, ça n’a pour l’instant aucune influence sur le reste de l’Amérique latine. Alors bien sûr, à un moment ou à un autre cela va changer. Mais pour l’instant, nous n’avons aucune grande puissance capable, même régionalement, de se substituer aux Etats-Unis et cette situation va durer encore quelques temps.

Le prochain président français aura donc à connaître une période d’anarchie. Cette anarchie sera peut-être créatrice, mais la crise que le Moyen-Orient a traversé en 2011 nous en donne un avant-goût. En Libye, dans un premier temps, la réaction américaine était de ne pas intervenir. Ce sont la France et l’Angleterre, toutes seules au départ, ensuite un peu aidées, qui ont assumé cette intervention décisive dans le départ de Kadhafi. Et bien ce modèle-là, nous le reverrons sous d’autres formes et à de nombreuses reprises. L’Europe va devoir se doter de moyens d’intervention qui sont à la hauteur de sa richesse. Nous avons fait l’impasse sur la défense en comptant sur le gendarme américain. Il va désormais falloir investir pour que les Français, les Allemands, et même les pays qui avaient renoncé à toute ambition militaire comme les Italiens, aient les moyens de patrouiller en Méditerranée et d’assurer une certaine stabilité de notre environnement immédiat.

Entre la campagne de 2007 et celle de 2012, qu’est ce qui a changé dans les discours des candidats ?

Je crois que François Hollande a eu raison de dire que le parti communiste n’existe plus. Je pense même qu’il faut aller plus loin : ce n’est pas seulement le parti communiste qui n’existe plus, c’est même le parti socialiste dont l’existence est douteuse. Je ne parle pas d’un parti de gauche, qui a sa place en France, mais d’une coalition dont les fondaisons vont de l’extrême-gauche jusqu’à un centre-gauche bien tempéré.

La géographie des partis politiques dont nous héritons, la division droite-gauche très puissante, il est aujourd’hui évident qu’elle est inopérante. Pour faire semblant, on dit que les programmes sont très divergents. Ils peuvent l’être pour flatter les ailes populistes aussi bien à droite qu’à gauche, mais la gouvernance européenne va contraindre les forces dirigeantes de la société politique a se mettre ensemble. Le gouvernement italien résulte d’une telle entente, le gouvernement allemand ne tardera pas à revenir à la grande coalition... Il n’y a que la France et l’Angleterre qui maintiennent un bipartisme strict dont tout le monde se rend compte qu’il est ridicule.

Quelque soit le vainqueur, nous aurons donc rapidement une implosion de ces deux entités que sont le PS et l’UMP. Nous aurons des formes de coalition. En cas de victoire de François Hollande, la plus probable serait une entente avec François Bayrou. Ni Mélenchon, ni peut-être même Montebourg, ni la majorité des Verts ne pourront accepter la politique économique que François Hollande sera contraint de faire, en France et en Europe. Avec l’agravation de la situation de la Grèce, il va falloir organiser la mise à l’écart de la Grèce de l’euro. Je ne vois pas François Hollande se dispenser de cet exercice. Il va falloir présenter des budgets en ordre, et je ne le vois pas recruter 60 000 fonctionnaires. Dans cette situation sa marge de manœuvre sera très restreinte. S'il remporte de justesse les législatives, cela pourrait le contraindre à des coalitions qu’il n’envisage pour l’instant pas. Quand à Nicolas Sarkozy, la situation ne sera probablement pas très différente. Cela pourrait aboutir à un rapprochement de la majorité du PS et de la majorité de l’UMP. 

Comment le monde de la finance s'insère-t-il dans ce nouveau monde ?

Les marchés financiers sont probablement à leur apogée. Avant 2008-2009, personne ne s’inquiétait de la dette grecque. On pensait que son volume n’était pas très élevé, que ce n’était pas très sage de la part des Grecs de se laisser s’endetter. Mais avec la croissance, il n’y avait pas d’inquiétude. Aujourd’hui, on a commencé à mettre en doute la capacité des banques à rembourser et de celle des États à se substituer aux banques. Les marchés financiers ont donc été happés par l’instabilité majeure, vers le financement de la dette. Les agences de notation qui ne posaient pas de problèmes finissent par en poser d’énormes.

Si l'Europe se dote d'un ministre des Finances commun, met en place un mécanisme de stabilité et une gestion équilibrée de la dette publique, la première mesure qui sera prise sera de mutualiser la dette et de la placer à l’abris des marchés. Nous mettrons de plus en plus d’activités fondamentales, notamment bancaires, à l’abri des mouvements et des perturbations du marché. Le problème de la dette publique deviendra anecdotique et les marchés se porteront sur d’autres points de faiblesse où ils réaliseront des profits à court terme. Cela sera peut-être le marché des denrées agricoles ou des matières premières. Lorsqu’on voit les marchés jouer un rôle si important, ce n’est pas le signe de la force du capitalisme, mais plutôt de sa faiblesse. Dans une situation où nous avons une croissance à peu près plate, des taux d’intérêt proches de zéro dans le monde entier, il faut bien que la spéculation aille quelque part. Les gens théorisent sur la toute puissance des marchés, comme si c’était une donnée permanente de la situation. Mais c’est une situation très limitée : cela n’existait pas il y a dix ans, et ça n’existera pas dans dix ans.

Finalement, quels sont les grands évènements qui nous ont fait basculer dans le XXIème siècle ? Est-ce le 11 septembre ? La crise économique de 2008 ?

Ça a d'abord été le 11 septembre. Mais ensuite il y a 2008, l’effondrement du modèle financier américain tel que Reagan avait commencé à le mettre en place dans les années 80. Il y a aussi la capacité de la Chine à devenir la deuxième puissance mondiale avec un taux de croissance jamais enregistré auparavant. Enfin, l’explosion des dictatures moyen-orientales marque l'entrée dans le XXIème siècle. Nous avions l’habitude de vivre avec la pression d’un Moyen-Orient idéologiquement hostile, mais en tout cas stable. Cette stabilité est totalement remise en cause.

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