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Pendant qu'on discute de rembourser ou pas les rhumes, la vraie question pourrait bien être ailleurs comme le démontrent les résultats du Brexit
©Reuters

Recentrer le débat

Alors que la question du système de santé est au cœur du débat politique et médiatique, d'autres sujets préoccupent davantage les Français et pourraient être déterminants dans le résultat de l'élection présidentielle de 2017.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Une étude des réseaux sociaux réalisée au Royaume-Uni a montré que l'immigration avait été la thématique clé des partisans du Brexit. Ainsi, le mot "immigration" fut mentionné 66 000 fois sur Twitter par le camp du Leave contre 20 000 tweets seulement évoquant le NHS (National Health Service). Si les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs de l'ensemble de la population, d'autres enquêtes ont-elles montré que l'immigration avait été l'enjeu le plus déterminant du vote pro-Brexit ?   

Bruno Cautrès : De nombreux facteurs explicatifs peuvent être mobilisés pour expliquer le choix des électeurs britanniques en faveur du Brexit. Des facteurs économiques, sociaux ou politiques ont joué et l’on ne peut réduire l’explication à une seule dimension. La question que vous posez a fait l’objet de plusieurs recherches universitaires déjà. Mes collègues britanniques du British electionstudy ont analysé cette  question avant même le jour du vote  (https://www.theguardian.com/news/datablog/2015/dec/18/immigration-euroscepticism-rising-storm-eu-referendum).

Pour eux, on assiste au début des années 2000 à un fort accroissement de l’immigration en provenance de pays membres de l’Union européenne notamment lié à l'adhésion en 2004 des anciens pays d'Europe orientale à l'UE et à la décision du gouvernement de ne pas restreindre l'immigration de ces pays au cours des cinq premières années d'adhésion à l'UE. Après 2004, l'immigration provenant de l'UE a constitué une composante majeure de l'immigration en Grande-Bretagne. En 2013, c'était même la composante la plus importante de l’immigration au Royaume-Uni. Ce que les recherches conduites par les spécialistes de sociologie électorale ont montré c’est qu’en moyenne l’électorat britannique a rattaché ce changement de composition de l'immigration à son point de vue sur l’Europe. Les inquiétudes de la population concernant l'immigration semblent avoir augmenté avec l'augmentation des taux d'immigration en provenance de pays membres de l’UE alors que les niveaux d'immigration d'autres parties du monde étaient en baisse ou stables.

Ils ont également montré, grâce à des enquêtes d’opinion, que cette relation globale s’est retrouvée au niveau des électeurs : entre les électeurs qui croient que l'immigration est l'un des problèmes les plus importants auxquels le pays est confronté et ceux qui ne le pensent pas, il existe d’importantes différences d’attitudes vis-à-vis de l’UE et ces différences se sont fortement accrues après 2004. Ces différences s’estompent après la crise de 2008 (moment où les niveaux d’inquiétudes économiques concernent tous les électeurs) avant de repartir à la hausse. En résumé, on peut dire que le lien entre l'inquiétude concernant l'immigration et une vision négative de l'UE s'est considérablement renforcé au cours des années qui ont suivi l'ouverture du Royaume-Uni aux ressortissants  des pays nouveaux membres de l’UE en 2004. 

Alors qu'en France la question du système de santé a récemment monopolisé  le débat politique et médiatique, s'agit-il néanmoins de l'enjeu principal de l'élection présidentielle de 2017 ? Quels sont les sujets qui arrivent en tête des préoccupations des électeurs ?

D’après les données de la vague 8 (novembre 2016) de la grande enquête électorale réalisée par le CEVIPOF depuis plusieurs mois, les sujets économiques sont toujours en tête des questions importantes pour les Français, ainsi que la question du terrorisme : la lutte contre le chômage arrive en première place avec 92.5% des personnes interrogées qui déclarent que cette question est importante pour eux (52% déclarent même que ce problème est pour eux « extrêmement important »). Arrivent en seconde position (ex-aequo) les questions du pouvoir d’achat et du terrorisme. Puis la question des retraites et de l’assurance maladie (85% et 84% qui considèrent ces problèmes comme importants), ou de la criminalité (80%). L’immigration n’arrive qu’en huitième position de l’importance des problèmes des français sur une liste de onze sujets que nous leur avons proposés. En dernière position arrive la question de l’Union européenne

Au regard des candidats potentiels à l'élection présidentielle et des attentes des électeurs, les candidats qui choisiraient de ne pas aborder franchement la question de l'immigration ne risquent-ils pas de laisser le champ libre à Marine Le Pen ? Quel peut être le coût politique d'une campagne négligeant cette question, qui semble pourtant centrale ? 

La centralité de cette question n’est pas aussi évidente que celle des thèmes économiques. Le niveau très élevé du chômage en France, la question du pouvoir d’achat ou des inégalités continuent de préoccuper avant tout les électeurs. Pour ce qui concerne l’immigration et les candidats à la présidentielle, les spécialistes de sociologie électorale utilisent le concept de "issue ownership" (propriété d’un enjeu) pour évoquer le cas d’une question qui fait l’objet d’une forte appropriation par un parti ou un candidat. C’est clairement le cas avec l’immigration et le Front national, même si tous les partis et les candidats parlent de cette question. Par ailleurs, il s’agit d’un thème complexe et dont l’évocation dans la campagne électorale peut avoir des effets qui ne sont pas ceux escomptés par les candidats : on a ainsi vu que Nicolas Sarkozy n’avait pas réussi à devenir majoritaire dans son camp alors qu’il s’était fortement positionné sur cette question. Néanmoins, il serait risqué pour un candidat de ne rien dire sur cette question, tout comme il serait encore plus risqué de ne rien dire sur le chômage…C’est le paradoxe que doivent affronter tous les candidats : à la fois montrer qu’ils sont spécialisés ou porteurs d’une question centrale et dans le même temps montrer que cette question s’articule à d’autres et qu’ils ont une vision globale. Cela n’est pas simple à réaliser car cela fait souvent apparaître des contradictions.

Ce qui est certain néanmoins c’est que les inquiétudes liées à la globalisation de l’économie et à l’intégration mondiale de la France perturbent en profondeur les clivages politiques en France comme dans tous les pays européens. Ces inquiétudes s’expriment dans les dimensions économiques mais aussi dans les domaines où l’identité intervient. Le sociologue suisse Hanspeter Kriesi affirme que tout cela se traduit par une recomposition des groupes qui, dans nos pays, peuvent être qualifiés de "gagnants" et de "perdants" de la mondialisation. Il qualifie le nouveau clivage de nos pays comme celui qui oppose "l’intégration" et la "démarcation" (se tenir loin de). On voit bien dans l’élection présidentielle de 2017 à quel point certains candidats se positionnent vis-à-vis de ce nouveau clivage et notamment ceux qui souhaitent "casser" le moule : des candidats comme Marine Le Pen ou à l’opposé Emmanuel Macron essaient de convaincre les électeurs que le "vieux" clivage gauche-droite est mort. Mais il suffit d’analyser les données de nos enquêtes électorales pour se rendre compte que les préférences de politiques publiques des français (dépenser plus ou moins pour tel ou tel domaine de l’action publique) sont toujours fortement orientées par les visions de gauche et de droite…

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