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Comment la "Flat Tax" du programme de François Fillon a vu le jour dans les années 1980
©Reuters

Bonnes feuilles

Évincée depuis plus d'un siècle par les conceptions solidariste et socialiste, la pensée libérale de l'impôt pourrait bien, à la faveur d'un reflux étatique devenu inévitable, connaître un renouveau imminent. Sillonnant quatre siècles d'histoire des idées et rassemblant les textes d'une quarantaines d'auteurs de renom, cette anthologie entend ainsi fournir un ensemble de principes et de paradigmes seuls à même de guider l'action fiscale. Extrait de "La pensée libérale de l'impôt", de Victor Fouquet, aux éditions Libréchange (2/2).

Victor Fouquet

Victor Fouquet

Victor Fouquet est doctorant en droit économique et fiscal à la Sorbonne, auteur de La Pensée libérale de l'impôt - Anthologie (Libréchange, 2016).

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Robert Hall et Alvin Rabushka, The Flat Tax, 1985

En 1985, Robert Hall et Alvin Rabushka publient The Flat Tax[1], opuscule prônant une authentique révolution fiscale. Dans cet ouvrage, les deux économistes états-uniens se prononcent pour l’abandon de l’impôt progressif, qui pénalise à la fois les particuliers et les sociétés, au bénéfice d’un impôt proportionnel à taux fixe (19 %).

Au-delà du simple abandon de la progressivité, les deux universitaires de Stanford bâtissent avec la flat tax(littéralement « taxe plate ») un système où les revenus sont seulement taxés lorsqu’ils sont dépensés. De là l’épargne est encouragée et l’investissement stimulé. Le bénéfice est double : d’une part, l’esprit d’entreprise est dopé par l’abandon de la progressivité et ses taux d’imposition marginaux élevés ; d’autre part, l’épargne est favorisée par la suppression de sa double imposition. Ainsi, l’esprit d’entreprise cesse d’être pénalisé et la fraude comme l’évasion fiscales cessent d’être excitées. Symétriquement, leur projet contient l’abolition de l’ensemble des niches fiscales qui, outre la complexité et l’opacité qu’elles entraînent, distordent les structures naturelles de production et de consommation. Au reste, comme le relèvent Jean-Philippe Delsol et Pierre Garello, leur suppression « coupe […] l’herbe sous les pieds des lobbyistes en tout genre ».

En substituant une flat tax à l’ancien système d’imposition combinant progressivité et traitements fiscaux préférentiels, la proposition de R. Hall et A. Rabushka permet d’élargir l’assiette fiscale, de façon d’autant plus juste qu’elle prévoit dans le même temps l’exonération des revenus en-deçà d’un certain seuil. De nombreux pays, en particulier d’Europe de l’Est anciennement communistes (Russie, Estonie, Bulgarie, Roumanie, Lettonie, etc.), se sont inspirés de leur thèse, sans aller toutefois jusqu’à supprimer la totalité des anciens impôts qui ont ainsi continué à cohabiter avec le nouvel impôt à taux unique sur le revenu.

Lorsque les économistes prononcent des jugements de valeur, ils invoquent souvent le concept d’équité. Appliqué à la fiscalité, et aux charges fiscales en particulier, l’équité a toujours signifié de traiter de façon égale des situations ou des personnes égales. […] Discriminer entre des classes égales de contribuables est arbitraire et généralement considéré comme injuste. Selon le sens d’« équitable » tel que défini ci-dessus, un traitement discriminatoire n’est pas juste, impartial ou compatible avec la logique ou un ensemble de règles. Donc, par exemple, si deux familles ont des revenus identiques, la doctrine de l’équité implique qu’elles devraient payer un montant identique en impôts. […]

Les économistes utilisent le terme équité horizontale pour signifier que des personnes se trouvant dans des circonstances similaires devraient subir des charges fiscales égales. En règle générale, une flat tax (également appelée impôt uniforme, proportionnel ou à taux unique) satisfait ce critère. Même le philosophe de Harvard John Rawls, fervent partisan de la redistribution, conclut dans son livre controversé A Theory of Justice qu’« un impôt proportionnel sur les dépenses pourrait être ... le meilleur système fiscal ». Le principe d’équité incarné par la flat tax est que chaque contribuable paie des impôts en proportion directe de son revenu. Lorsque son revenu double, triple ou décuple, sa charge fiscale double, triple, ou décuple. Ceux qui gagnent plus paient plus.

En pratique, la norme de l’équité horizontale inclut toujours une clause pour exempter les familles à bas revenus de l’impôt. Actuellement, cette clause prend la forme d’une combinaison d’abattements personnels et de la déduction standard. […]

La croissance importante de la taille de l’État est allée de pair avec la croyance en la politique fiscale en tant qu’outil pour redistribuer les revenus. Premièrement, une hausse massive de la charge fiscale fédérale a été considérée comme essentielle pour financer les transferts sociaux et les grands programmes publics. Deuxièmement, l’introduction de taux d’imposition fortement progressifs a été vue par beaucoup comme souhaitable pour aboutir à une plus grande égalité dans la distribution du revenu après impôts. Ceux qui ont mené cette transformation intellectuelle et politique ont trouvé une nouvelle norme d’équité verticale avec laquelle remplacer la norme bien établie de l’équité horizontale. Ils ont appelé cette nouvelle norme la capacité contributive.

Il est important de garder à l’esprit que cette nouvelle interprétation de l’équité, une approche redistributive de la justice fiscale, n’est pas ancrée dans la philologie ou dans les approches traditionnelles de l’équité. Cette nouvelle approche, un phénomène du XXe siècle vieux d’environ un demi-siècle, s’est mise à signifier que les personnes qui ont réussi dans la vie, avec des revenus supérieurs à la moyenne, devraient avoir à payer des parts plus importantes de leurs revenus en impôts. Cette pénalité est appliquée par un système de taux d’imposition progressifs, où les tranches additionnelles de revenu sont imposées à des taux de plus en plus élevés. […]

L’équité verticale ne semble guère fonctionner en pratique. Malgré les tentatives d’égaliser le revenu après impôt par des taux d’imposition fortement progressifs, les législatures successives ont criblé, les unes après les autres, le code fiscal de centaines de niches fiscales qui permettent à certains millionnaires de ne payer absolument aucun impôt sur le revenu et à certains hauts salaires de n’en payer que très peu. […] John Witte, un historien de l’impôt sur le revenu, a conclu que « rien ne prouve que l’impôt sur le revenu redistribue les revenus de façon significative ». La raison est qu’à chaque fois que les taux d’imposition sont augmentés, le Congrès, en réponse à des pressions politiques de la part de groupes d’intérêts organisés, inclut de nouvelles déductions et niches dans le code fiscal qui compensent les effets des taux plus élevés. L’idéologie de l’équité verticale, ou capacité contributive, se heurte à la réalité économique et politique des distorsions économiques et des groupes d’intérêt bien organisés.

Plus fondamentalement, nous croyons que des taux d’imposition élevés mettent en danger la liberté individuelle dans une société libre. Les politiciens et les intellectuels qui soutiennent des taux d’imposition élevés pour redistribuer les revenus afin d’atteindre leurs objectifs égalitaristes menacent la liberté individuelle et l’autonomie personnelle.

Quel est le bon degré d’équité selon la nouvelle doctrine de l’équité verticale ? Quelle part des impôts totaux devrait être payée par chaque catégorie de revenus ? Personne ne semble vraiment le savoir, et les chiffres varient tous les deux ou trois ans. Les politiciens et les intellectuels semblent avoir de la peine à se décider sur le bon degré d’équité parce qu’il n’y a pas de norme objective d’équité et parce que l’équité n’est pas sans coûts. Des taux d’imposition élevés réduisent la production de l’économie. Ils encouragent également la fraude et l’évitement fiscaux.

[…] L’effet net de la flat tax, avec des taux marginaux allant de 0% à 19%, serait d’améliorer de façon spectaculaire les incitations pour pratiquement toute la population active. […]

Les économistes ont consacré beaucoup de travaux à mesurer l’effet potentiel d’une réforme fiscale sur le travail. Le consensus est que tous les groupes de travailleurs réagiraient à la flat tax en augmentant leur effort de travail. Un petit nombre de travailleurs réduiraient leur nombre d’heures de travail soit parce que le taux de la flat tax serait supérieur à leur taux marginal actuel, soit parce que la réforme accroîtrait de tant leur revenu après impôts qu’ils ressentiraient moins l’urgence d’accroître encore leur revenu. Mais la grande majorité des travailleurs feraient face à des incitations nettement améliorées. […]

La flat tax n’améliorerait pas immédiatement la situation de tout le monde. Actuellement, la lourde imposition des salariés et des entrepreneurs à succès procure des recettes fiscales assez importantes, poussant ces gens à renoncer à leurs activités les plus productives et consacrer leurs efforts à l’évitement fiscal. Jusqu’à ce qu’une réaction aux incitations améliorées produise ses effets, les impôts plus bas sur certaines personnes devraient être compensés par des impôts plus élevés sur d’autres personnes. Si une réforme fiscale était un jeu à somme nulle, allégeant la charge fiscale de certaines personnes tout en augmentant les impôts d’autres personnes, il est peu probable qu’elle serait mise en place. Le but de la réforme fiscale est de revitaliser l’économie, d’augmenter le revenu total à partager entre les hauts salariés et les autres. Notre flat tax, cependant, est conçue pour être équitable dès le départ. Elle protégerait les pauvres de toute imposition et limiterait nettement l’imposition des salariés, tout particulièrement pour les salariés les plus productifs et ceux qui ont le plus de succès. Elle financerait ces baisses d’impôts en imposant judicieusement le revenu professionnel à un taux modéré, augmentant ainsi les recettes fiscales fédérales provenant des entreprises.

[...] Le pire effet immédiat de la flat tax serait de réduire le revenu après impôts des gens qui ont réussi jusque là à protéger leurs revenus professionnels de l’IRS. Leur taux d’imposition sur ces revenus augmenterait à 19%. Mais ils seraient vraisemblablement capables de tirer aussi profit de la croissance accrue de l’économie, stimulée par une meilleure fiscalité.

Pourquoi ses détracteurs dénoncent-ils la flat tax comme inéquitable ?

Notre plan de flat tax subit fréquemment le reproche qu’il serait inéquitable. Certains économistes affirment qu’une flat tax nuirait inévitablement aux familles de la classe moyenne, qu’un abattement généreux aiderait les pauvres et que de faibles taux d’imposition marginaux aideraient les riches, mais que la classe moyenne souffrirait de la réforme fiscale. Ces critiques ont tort car ils ne comprennent pas à quel point le système actuel est inéquitable. Leurs calculs se basent invariablement sur les revenus bruts ajustés déclarés par les contribuables comme s’ils étaient leurs revenus réels. Ils ne comprennent pas la réalité choquante du fait que plus de la moitié de tous les revenus professionnels ne se retrouvent dans les revenus bruts ajustés de personne.

Parce que les critiques ne sont pas conscients des recettes additionnelles qui seraient obtenues d’une imposition effective des revenus professionnels à un taux de 19%, ils ne considèrent que des plans d’impôts à taux fixe qui obtiendraient des recettes fiscales excessives des travailleurs et constatent que de tels plans impliqueraient une lourde charge fiscale sur les employés de la classe moyenne. Ils ne tiennent pas compte de la possibilité d’obtenir des montants importants de recettes à partir des revenus professionnels ; au lieu de cela, ils proposent de continuer la pratique actuelle consistant à obtenir pratiquement toutes les recettes fiscales par l’imposition des revenus salariaux. En laissant les revenus professionnels pratiquement exonérés d’impôts, ils perpétuent l’injustice du système fiscal actuel. […]

Comment serait-ce de vivre dans un monde avec une flat tax à 19% ? Le changement le plus important serait que nous passerions plus de temps à penser à la production de biens et services et à l’amélioration de la productivité au lieu d’être obsédés par l’exploitation d’opportunités fiscalement avantageuses. Avec des taux d’imposition marginaux de 40% pour la tranche supérieure, beaucoup de contribuables à haut revenu considèrent qu’ils ne peuvent se permettre de révéler aucun revenu significatif à l’IRS. Ils investissent beaucoup d’efforts à réduire leur revenu imposable et dévier leurs revenus vers des destinations exemptes d’impôts. À 40 cents par dollar, la malhonnêteté est rentable. À 19%, la plupart d’entre eux y renonceraient : la fraude et l’évitement fiscaux seraient bien moins avantageux à 19% qu’à 40%. Inversement, pouvoir conserver 81 cents de chaque dollar de revenu supplémentaire serait une forte motivation pour produire autant que possible. Avec des impôts ne prenant pas plus de 19 cents de chaque dollar additionnel quel que soit le niveau de revenu, la plupart des gens se livreraient aux activités économiques qui ont le rendement le plus élevé et leur apportent la plus grande satisfaction, plutôt qu’à celles qui minimisent leur revenu imposable.


[1]R. E. Hall et A. Rabushka, La Flat Tax, trad. J. Krepelka, préf. J.-Ph. Delsol et P. Garello, Paris, Les Éditions du Cri, 2009.

Extrait de La pensée libérale de l'impôt, de Victor Fouquet, aux éditions LibréchangePour acheter ce livre, cliquez ici

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