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Le modèle américain : une seconde vie pour le syndicalisme français ?
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Syndicalism of life

Aux États-Unis, le syndicat SEIU mobilise 2,1 millions de personnes dans un pays relativement défavorable aux acquis sociaux. Il est devenu un acteur politique de poids et un relais écouté. De quoi inspirer le syndicalisme français.

Anne-Marie Pecoraro

Anne-Marie Pecoraro

Anne-Marie Pecoraro est Avocat associé en "Propriété intellectuelle, technologies et médias". Elle représente et conseille SEIU en France (Service Employees International Union).

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C’est un paradoxe. Alors que les syndicats aux États-Unis ont plus de mal à mobiliser les travailleurs, alors que certains gouverneurs d’États remettent en cause ostensiblement des acquis sociaux, un syndicat connaît une forte croissance depuis plus de dix ans, au point d’être devenu un acteur politique de poids et un relais écouté de la voix des travailleurs.

Né il y a 90 ans pour syndiquer concierges et agents d’entretien d’immeubles, le SEIU (Service Employees International Union) est passé d’un peu plus d’un million de membres en 1995 à 2,1 millions en 2011. Aujourd’hui, il peut se prévaloir d’être le principal syndicat dans les secteurs de l’entretien, du nettoyage, de la sécurité, et de la santé, ainsi que le deuxième syndicat dans le secteur public.

En comparaison, les syndicats français n’ont cessé de perdre des adhérents depuis 1945, avant de stabiliser leurs chiffres dans les années 90 (tout en renforçant leur présence institutionnelle, c'est-à-dire que le nombre d’entreprises comprenant des salariés syndiqués a augmenté). Actuellement, la France dispose du taux de syndicalisation le plus faible d’Europe avec un taux de 8%.

Alors, quelles sont les clefs ? Voici quelques ingrédients :

  • Des campagnes de syndicalisation à grande échelle.

    S’il n’existe jamais de recette miracle, force est de constater l’intense travail de syndicalisation mis en place par le SEIU. L’organisation de campagnes syndicales, non pas limitées à un site de travail ou à une entreprise, s’étendent à de vastes régions, pour mobiliser avec davantage de force les populations et l’opinion. C’est ainsi que la campagne « Justice for Janitors », destinée à rehausser les salaires et à améliorer la couverture sociale des agents d’entretien, a connu un succès national.

  • La pédagogie du gagnant-gagnant.

    Pourtant, les États-Unis n’ont pas la même culture syndicale qu’en France : en témoigne l’absence d’automaticité de la présence de délégués syndicaux dans une entreprise à partir d’un certain nombre de salariés, ou encore l’absence d’obligation de négocier pesant sur l’employeur. La négociation collective n’intervient dans les entreprises aux États-Unis qu’une fois une élection tenue sur un site de travail, et que 50% des salariés se sont prononcés en faveur d’un syndicat. Autant dire que les pressions sont fortes pour décourager les salariés de chercher, ne serait-ce qu’à organiser une élection syndicale. Face à cette situation défavorable, le SEIU cultive la volonté d’un dialogue constructif avec les chefs d’entreprise, en se focalisant sur les bénéfices communs apportés à chaque partie par la syndicalisation, plutôt que de privilégier une culture du conflit. Tout en dénonçant les bas salaires qui maintiennent certains américains sous le seuil de pauvreté, le syndicat prône notamment la responsabilité sociale des entreprises pour augmenter la confiance des investisseurs, et chercher ainsi à provoquer un cercle vertueux.

A cet égard, le syndicat devra avoir l’écoute d’investisseurs, raisonnablement soucieux de se préserver une bonne image, socialement responsables.

  • Des moyens au service de propositions politiques.

    Au-delà de la gestion des rapports entre employeurs et employés, le syndicat est également devenu une véritable force d’initiative politique : propositions de réforme des lois sur l’immigration, propositions de mesures pour endiguer la crise financière et remettre l’économie américaine en marche, propositions pour créer des emplois « verts » respectueux de l’environnement… Le SEIU a également été l’un des acteurs-clés du passage de la réforme de l’assurance santé en 2010, qui a permis à 32 millions d’Américains supplémentaires de bénéficier d’une forme de sécurité sociale : en témoignent les remerciements chaleureux adressés par le Président Obama aux membres de SEIU à la suite du vote de cette loi. Le syndicat n’avait pas ménagé ses efforts pour sensibiliser la classe politique en faisant témoigner certains américains privés de couverture maladie, en sillonnant le pays à travers un bus pour transmettre leur message, et en mobilisant la population.
  • Une forte communication électorale.

    Le SEIU avait d’ailleurs fait de la réforme précitée l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2008, et avait même conçu des spots publicitaires expliquant les différences entre le programme des républicains et celui des démocrates sur ce point. Le syndicat s’était également invité dans la campagne en proposant aux candidats, républicains comme démocrates, de participer au programme « Walk a Day In My Shoes » (« Mettez-Vous à ma Place une Journée ») qu’il avait créé et destiné à tester les candidats à des fonctions politiques, aussi bien au niveau local qu’à la Maison Blanche, lorsque ceux-ci sollicitent un soutien de la part des membres du syndicat. C’est ainsi que Barack Obama s’était mis dans la peau d’une aide-soignante à domicile pendant une journée, une image largement relayée par les médias outre-Atlantique. Aucun candidat du parti républicain n’avait suivi son exemple.

Le programme et les engagements de Barack Obama avaient conduit le SEIU à lui apporter son soutien financier et humain en 2008, ce qui signifiait concrètement des millions de coups de téléphones et de messages de campagne, l’organisation d’évènements médiatiques et la mobilisation de volontaires pour soutenir le candidat.

Le syndicat vient d’annoncer son soutien pour les prochaines échéances de 2012, un appui considérable pour le Président sortant, puisque celui-ci peut d’ores et déjà compter en théorie sur 2,1 millions de voix en sa faveur.

  • L’organisation de journées d’action. 

    Plus traditionnellement, le SEIU n’en oublie pas de manifester en faveur de ses thèmes historiques d’équité, et de meilleure protection des salariés. Le syndicat a notamment apporté son soutien au mouvement des "Indignés", sa Présidente Mary Kay Henry ayant même été arrêtée par la police en raison de sa « désobéissance civile » lors de la manifestation du 17 novembre dernier sur le pont de Brooklyn. Début décembre, le syndicat organisait également cinq journées d’action à Washington pour faire pression sur les députés américains. Au programme : les manifestants ont rencontré les députés, ont manifesté devant les bureaux des lobbyistes, avant d’installer leurs tentes autour du Capitole. Dans le cadre de ses partenariats internationaux, le SEIU a accueilli une délégation CGT qui a participé aux journées d’action aux côtés de ses membres. Le syndicat proposait aux internautes, comme souvent, de laisser des messages par le biais de son site internet, pour les transmettre ensuite aux pouvoirs publics. Les événements étaient relayés sur le blog du syndicat, par le biais d’alertes sur les téléphones mobiles, ou encore sur Twitter.


Une communication qui pourrait inspirer les syndicats de ce côté-ci de l’Atlantique, et leur permettre de se revitaliser pour renforcer leur capacité à être des forces de proposition. Un syndicalisme structuré avec force et raison devrait conduire à une meilleure confiance entre employeurs et employés, et à une meilleure qualité du travail. Un tel syndicalisme offre aux entreprises et à la société un interlocuteur exemplaire, ainsi qu'un dialogue de qualité pour faire face à la mondialisation.

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