Quand le Washington Post considère que le capitalisme fonctionne mieux en France qu’aux Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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La France gagne la bataille des inégalités et perd celle de la croissance, les États Unis gagnent la croissance mais perdent sur le terrain des inégalités.
La France gagne la bataille des inégalités et perd celle de la croissance, les États Unis gagnent la croissance mais perdent sur le terrain des inégalités.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Totalement dépassé, vraiment ?

Malgré une croissance plus faible, les revenus des 50% de Français les moins riches ont progressé bien plus vite que leurs homologues américains depuis 1980. Une situation qui semble remettre en cause l'idée d'un système français totalement obsolète.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Dans un article publié le 12 décembre, le Washington Post indique "le capitalisme fonctionne mieux en France qu'aux Etats Unis" (voir ici), en sa basant notamment sur la maîtrise des inégalités en France. Qu'en est-il réellement ? 

Nicolas Goetzmann : L'analyse faite par le Washington Post repose sur un graphique issu d'un papier de recherche publié par trois économistes français, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, et Gabriel Zucman. En comparant la progression des revenus des adultes issus de la partie inférieure de la distribution des revenus (50%), entre France et États Unis, les économistes constatent un écart important. Entre 1980 et 2014 les revenus des 50% de français qui gagnent le moins ont progressé de 32%, contre aucune progression de revenus aux États-Unis pendant ces 35 années. En France, les revenus de cette catégorie de population étaient inférieurs de 11% à ceux des américains en 1980 (les 50% de la partie basse), ces revenus sont désormais plus élevés, soit de 16% de plus. Et ce résultat a été obtenu avant toute imposition.

Ce que cette situation révèle est la possible déconnexion entre croissance et inégalités. Les États Unis sont parvenus à obtenir une plus forte croissance par tête tout au long de cette période, mais la distribution de celle-ci a été très inégalitaire, ce qui a provoqué un tel résultat, ou 50% de la population ne profite pas de la bonne conjoncture du pays. A l'inverse, et malgré une croissance plus faible, la situation française a permis l'élévation du niveau de vie de ces mêmes catégories de population. Il est tout de même important de  noter, comme il est possible de le voir sur ce même graphique, que la progression des revenus s'est arrêtée en France à partir de l'année 2007.

En d’autres termes, la France gagne la bataille des inégalités et perd celle de la croissance, les États Unis gagnent la croissance mais perdent sur le terrain des inégalités. 

Les auteurs précisent que l'écart constaté est encore plus large lorsque l'on prend en compte les impôts et les politiques de transferts qui sont bien plus élevés en France. 

Comme le précise le Washington Post, un tel résultat affaiblit certaines hypothèses développées pour expliquer les inégalités, comme le progrès technologique ou la mondialisation. Parce que la France a été soumise aux mêmes pressions que les autres pays, mais que le résultat final peut être considéré comme "supérieur" pour notre pays. Il ne s’agit pas de dire que tout est parfait, ce serait aussi absurde que de dire que tout va mal, mais il faut être attentif à ce résultat. Les hypothèses retenues pour expliquer cette meilleure performance de distribution des revenus en France sont ; un salaire minimum plus élevé, une plus grande pression syndicale sur les salaires, et un niveau d'éducation supérieur à celui des États Unis, selon Gabriel Zucman, en réponse aux questions du Washington Post.

En quoi cette meilleure performance française à maîtriser les inégalités peut-elle également expliquer la faible croissance du pays, et son niveau de chômage élevé par rapport aux Etats Unis ?

C'est tout l'enjeu. Mais les ressorts de la croissance et ceux de la distribution des revenus ne résultent pas des mêmes phénomènes. La croissance est d’abord une question de politique monétaire avant d’être un problème d’offre, c’est donc à la BCE de permettre d'atteindre le plein emploi. Cela devrait d'ailleurs être son objectif. La distribution des revenus au sein de la population dépend quant à elle de plusieurs facteurs, comme le pouvoir de négociation des salariés ou le salaire minimum, et bien sûr de la politique de redistribution fiscale. 

La France a connu de très belles années de croissance entre la moitié des années 90 et 2007, durant cette période, la France a réussi son pari de combiner forte croissance et distribution égalitaire. Si certains veulent voir ce modèle comme obsolète, ce qui semble ressortir de la comparaison avec les États Unis montre plutôt un exemple à suivre. Cette hypothèse est suffisamment robuste au regard des résultats obtenus pour ouvrir le débat. Au lieu de voir la France comme un rebutoir économique absolu, il s'agirait d'un système permettant de répondre aux défis économiques du moment.

Il faut cependant faire une distinction importante. Cette bonne tenue de la distribution des revenus en France a été stoppée nette par la crise, parce que le pays n'a plus de croissance depuis 2008. Le chômage est plus élevé, la pression à la baisse sur les salaires est forte, et la pression politique sur la remise en cause de tout ce système est croissante, le cocktail pourrait provoquer l'explosion de ce qui fait la force du pays, et ce, sans aucune certitude sur la capacité future à générer de la croissance. A l'inverse, un retour à la croissance forte, tout en gardant le modèle actuel, en le rationalisant, en l'optimisant, a bien le potentiel pour devenir une référence. 

Comment concilier ces deux approches, entre croissance et inégalités ? Sont-elles seulement conciliables ?

Concernant la France, la problématique relève d'abord de la politique monétaire européenne, qui doit être beaucoup plus active pour offrir des conditions satisfaisantes au pays. Le simple constat est effrayant. Entre 1995 et 2007, la croissance de la demande (croissance + inflation) était de 4% par an en France, alors qu'elle n'est plus que de 2% en moyenne depuis cette date. Les français ne sont pas devenus fainéants du jour au lendemain, la Banque centrale européenne a simplement échoué à remplir sa fonction de stabilisation de la demande. Un tel niveau de croissance de la demande rendrait le modèle social français viable, et celui-ci pourra alors être optimisé, en distillant des mesures de "politique de l’offre", de libéralisation des marchés bloqués, des situation s de rentes etc..  pour améliorer le potentiel  global. Parce que ce n'est pas parce que la France fait mieux que les États Unis que le modèle est parfait, mais la base de départ est suffisamment solide pour le rendre encore plus efficace. Le paradoxe qui se profile, c'est que le modèle qui est perçu comme la cause du déclin du pays pourrait en réalité être la solution. Le mal est ailleurs, il s'agit de la croissance, de la BCE, et de la politique de désinflation européenne qui viendrait masquer le fort potentiel de développement économique de notre pays. 

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