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Barbie, une malédiction 
de ménagère qui se transmet 
de mère en fille
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Poupée vaudou

Avec plus de cinquante ans de carrière, Barbie s'est déclinée en d’innombrables modèles. Après Barbara Streisand, Lady Gaga et Angela Merkel, c'est le couple princier britannique Kate et William qui va se voir transformé en poupée. Faut-il s'inquiéter de l'image qu'elle véhicule auprès des jeunes filles ?

Catherine Monnot

Catherine Monnot

Catherine Monnot est anthropologue à l'EHESS et professeure d'histoire-géographie dans le secondaire.

Auteure de Petites filles d'aujourd'hui, l'apprentissage de la féminité (Autrement, 2009). Elle vient de publier aux éditions Le Vent se Lève : "Gabriela, Rom de France".

 

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Atlantico : La célèbre poupée Barbie revient sous la forme du couple princier britannique Kate et William. Une série limitée qui doit sortir dans deux mois environ. Après plus de 50 ans d’existence, Barbie fait-elle toujours rêver les petites filles ?

Catherine Monnot : Barbie est toujours vendeuse et porteuse mais dans des tranches d’âge plus jeunes que par le passé. Aujourd’hui, c’est plutôt le créneau 4-8ans. Au-delà, avec la préadolescence, les petites filles qui jouent encore avec des poupées ont des modèles plus liés à la mode moderne avec des formes encore plus pulpeuses.

La Barbie s’est adaptée à l’évolution de la société. Aujourd’hui, les formes et la féminité sont beaucoup plus affichées que par le passé. Elles sont dévoilées et exploitées à des fins économiques. Barbie n’a fait que suivre le mouvement et propose aux enfants des supports ludiques qui respectent ces critères de beauté.

Barbie existe avant tout par son esthétique. Dans un second temps, elle a un métier. Là encore, elle est plus institutrice ou vétérinaire qu’astronaute, comme on a pu le voir dans les années 1980 avec des essais peu concluants du fabricant. Barbie semble condamnée à évoluer comme une jolie jeune fille qui évolue professionnellement dans des secteurs que la société relie traditionnellement à la femme.

La sortie, d'ailleurs, d'une Barbie Angela Merkel n'a aucun intérêt pour les enfants : aucune petite fille ne sait qui est la chancelière allemande. C'est pour faire plaisir aux parents. Introduire une image de femme politique dans le monde la poupée n'est pas une mauvaise idée, mais il aurait fallu rendre la notion accessible pour une fillette : une Barbie président par exemple.

Hervé Parizot, alors PDG de Mattel, disait il y a quelques années : « Nous rêvons depuis vingt ans de sortir une Barbie qui ne serait pas rose. C’est impossible ! Les Barbies pilotes ou médecins se vendent moins que la nouveauté de cette année : une Barbie avec une machine à laver … »

Cela pose surtout la question du rôle des parents. Bien sûr les enfants sont demandeurs de certains jouets. Mais ce sont les adultes, en particulier pour ces catégories d’âge, qui proposent l’objet. La première Barbie, c’est le parent qui la propose. Et il reste libre de choisir un modèle plutôt qu’un autre. C’est la responsabilité des parents que de jouer leur rôle d’éducateur en offrant des jouets qui les sortent du carcan de cette vision sociétale du genre féminin.

Barbie avec une machine à laver ou avec un cabriolet rose se vend mieux parce que nous, parents, faisons le choix de proposer à nos enfants ce modèle identitaire. C’est le message que l’on envoie à nos petites filles : elles devront s’épanouir en ménagères. Même chose pour les petits garçons qui voient leurs petites camarades cantonnées dans cette position.

Entre 4 et 6 ans, l’enfant n’est pas décideur, ce n’est pas lui qui effectue le choix. En général, c’est la maman qui achète la Barbie à sa petite fille. Les mères relaient cette hiérarchie entre les sexes en initiant les petites filles et les petits garçons dans des tâches très spécifiques. Cette orientation vers une profession ou une autre se répercuté ensuite sur le reste de la société. Les femmes se contentent par habitude à des postes et des conditions de travail dévalorisées. Tant que les mères et les pères ne prendront pas conscience des inégalités sociales qui se jouent au travers des jouets, qui paraissent anodins, il sera difficile pour les enfants de se construire autrement. C’est aux adultes, aux parents, de démonter ce modèle sociétal.

N’est-ce pas paradoxal ? Une mère aurait plutôt, à priori, envie de voir sa fille réussir et s’épanouir dans un corps de métier prestigieux ? Pourquoi la cantonner à des tâches que elle-même ne voit-elle pas comme valorisantes ?

Une maman ne rêve pas que sa fille soit cantonnée à la maison, c’est certain. Une maman veut avant tout que sa fille soit heureuse. Et si vous demandez à des parents ce qui compte pour que leur enfant soit heureux, ils évoqueront la sphère professionnelle pour un petit garçon et la sphère familiale voire domestique pour une petite fille.

Inconsciemment, on attend de nos petites filles de pouvoir, plus tard, concilier leur vie familiale avec leur vie professionnelle. Mais cette vie professionnelle apparaît comme secondaire, comme pour la Barbie. Elle ne peut pas s’épanouir dans son travail comme un garçon. L’enjeu n’est pas le même. C’est donc moins choquant pour une maman d’éduquer une petite fille qui joue à faire à manger et à élever des poupons en plastique.

Pourquoi pas après tout ? Ces valeurs sont importantes. Mais elles devraient s’appliquer à la fois aux petits garçons et aux petites filles.

Comment protéger nos petites filles du conformisme lié à la Barbie ? Doit-on seulement la protéger de la célèbre poupée ?

Il faut trouver un équilibre en tout. Elever son enfant à l’empathie et à la vie domestique, c’est bien. Il faut le faire pour les deux sexes. Les parents doivent se poser la question de cet équilibre lorsqu’ils achètent des jouets à leurs enfants : des jouets féminins et des jouets masculins pour les deux sexes. Il est évident qu’un petit garçon de huit ans ne vous demandera pas une Barbie, c’est quelque chose qu’il faut mettre en place avant pour qu’il s’y habitue.

On voit d’ailleurs dans les familles où il y a des filles que les petits frères jouent facilement avec les jouets de leurs sœurs. Les petits garçons jouent sans problème avec un poupon, une poussette et changent les couches des poupées sans aucun problème. De la même manière, il faut familiariser les filles aux jeux des garçons. Une astuce peut être d’éviter d’offrir ce genre de jouets lors des grands événements. Ces cadeaux plus atypiques peuvent survenir sur des dates plus impromptues.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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