Pourquoi la politique étrangère de Trump ne ressemblera pas à ce qu’en a décrit la presse étrangère<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour envisager quelle sera la politique étrangère de l’administration Trump, les observateurs n’ont pas d’autres éléments que ses discours de campagne. Or Trump a fait des déclarations qui ont pu paraître surprenantes ou inquiétantes.
Pour envisager quelle sera la politique étrangère de l’administration Trump, les observateurs n’ont pas d’autres éléments que ses discours de campagne. Or Trump a fait des déclarations qui ont pu paraître surprenantes ou inquiétantes.
©relay

Trans Amérique Express

Alors que l'élection de Donald Trump, qui a multiplié les déclarations surprenantes, inquiète les observateurs quant à la politique étrangère qui sera menée, le vrai changement tient moins au contenu de cette politique qu’au fait qu’elle est articulée par un homme issu du camp républicain, qui renoue avec la ligne non-interventionniste du parti.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Quatre semaines après son élection surprise, Donald Trump n’a toujours pas choisi son futur secrétaire d’Etat, poste clé de l’administration, équivalent du ministre des affaires étrangères. De nombreuses personnalités ont été évoquées, dont Mitt Romney, candidat républicain à la Maison Blanche en 2012, Rudolph Giuliani, ancien maire de New York et allié de la première heure du candidat Trump, ou John Bolton, ancien ambassadeur à l’Onu du président George W. Bush.

Ce choix sera déterminant. Il donnera une indication claire de la direction à venir de la politique étrangère américaine. Pour l’heure, au sein de l’équipe de défense et de sécurité nationale, Donald Trump a choisi des hommes et des femmes qui illustrent son intention de rechercher "la paix depuis une position de force" ("peace through strength").

Ainsi Donald Trump a désigné Michael Flynn comme Conseiller à la Sécurité Nationale. C’est un lieutenant-général, trois étoiles qui fut directeur du renseignement pour le Pentagone et un critique virulent de la stratégie militaire du président Obama (cela lui avait d’ailleurs coûté sa place). Au Pentagone il a placé James Mattis, également général en retraite. Il a nommé Nikki Haley ambassadrice à l’Onu, et a placé Mike Pompeo à la tête de la CIA. Ces trois nominations devront recevoir l’assentiment du Sénat. Haley est, pour l’heure, gouverneur de Caroline du Sud. Pompeo est un élu du Kansas, proche du Tea Party, qui avait dénoncé avec virulence les révélations d’Edward Snowden sur les écoutes de la NSA, appelant à ce qu’il soit ramené aux Etats-Unis, jugé et condamné à mort…

Pour envisager quelle sera la politique étrangère de l’administration Trump, les observateurs n’ont donc pas d’autres éléments que ses discours de campagne. Or, comme il en est coutumier, Trump a fait des déclarations qui ont pu paraître surprenantes ou inquiétantes, surtout pour les alliés des Etats-Unis.

Ainsi, il a recommandé au Japon de se doter de l’arme nucléaire pour sa défense ! A l’encontre des traités bilatéraux, et du principe de non- prolifération. Il a indiqué qu’il ne viendrait au secours des pays européens, notamment les pays baltes, en cas d’agression extérieure, que si ceux-ci avaient payé ce qu’ils doivent à l’Otan. A l’encontre de l’article 5, mais en rappelant que les membres de l’Alliance atlantique sont tenus de consacrer 2% de leur PIB à la défense, ce que seuls trois pays font régulièrement, les Etats-Unis, le Royaume uni et la France. Il a laissé entendre qu’il reviendrait sur l’accord de juillet 2015 avec l’Iran. Qu’il chercherait à coopérer avec la Russie dans le dossier Syrien. Qu’il avait un "plan" pour éliminer l’Etat islamique. Qu’il reverrait la relation avec les monarchies du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite…

Au-delà des petites phrases – dont chacun sait désormais qu’elles ne doivent jamais être prises au pied de la lettre venant de Donald Trump – le président élu a placé sa future politique étrangère derrière le mot d’ordre "d’America First". Ce qui signifie "l’Amérique d’abord". En clair Trump mettra l’intérêt des Etats-Unis avant tout autre considération. "Nous mettrons les Américains en tête de nos préoccupations qu’il s’agisse de commerce international, d’immigration, d’emplois, de revenus ou de sécurité," avait-il dit dès le mois d’avril 2016. Trump estime en effet que depuis trop longtemps, et notamment sous l’administration Obama, les Etats-Unis ont placé les intérêts d’autres pays, partenaires ou adversaires, avant les leurs, espérant sans doute d’être payés en retour, ce qui n’a pas été le cas à son goût. Cette période est révolue. Sous Donald Trump les Etats-Unis auront comme premier souci… les intérêts des Américains.

Ce slogan a été bien sûr dénoncé par certains. Pour ses connotations historiques. Et parce qu’il marquerait un retour à l’isolationnisme. Sur la référence historique, des éclaircissements s’imposent pour ne pas tomber dans la caricature. Quant à la seconde affirmation, elle est tout simplement fausse et résulte d’une lecture biaisée des intentions de Donald Trump.

L’America First Committee (AFC) fut une organisation brièvement engagée contre l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1940. Ce comité vécut quinze mois, de septembre 1940 à décembre 1941. A l’époque, les Etats-Unis étaient officiellement un pays neutre. Cette neutralité avait été maintes fois réaffirmée, durant les années trente, par des votes du Congrès. Elle traduisait donc la volonté populaire. Elle ne seyait cependant pas au président Franklin Roosevelt. Et c’est pour prévenir une démarche de sa part, précipitant l’Amérique dans le conflit européen, que certaines personnalités du monde des affaires, de la politique ou de la culture, avaient fondé ce comité. Il s’agissait d’utiliser la pression de l’opinion contre la volonté perçue du président.

Le fait que certains membres du comité aient pu avoir alors des sympathies pour l’Allemagne nazi, et le fait que la non- ingérence américaine ait alors fait le jeu de l’agresseur, c’est-à-dire d’Hitler, ont été utilisés depuis pour discréditer l’AFC et en faire une sorte de groupuscule néo-fasciste. C’est tomber dans la caricature. L’America First Committee compta près d’un million de membres, et exprima alors la volonté d’une large partie de l’opinion américaine. Loin de rassembler des extrémistes et des radicaux, il comptait, parmi ses sympathisants, des personnalités de premier plan, dont un certain Joseph Kennedy, ex-ambassadeur en Grande Bretagne, et son fils cadet, John Fitzgerald Kennedy. L’AFC fut dissout trois jours après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Il n’empêcha pas l’Amérique de se rassembler derrière le président Roosevelt, une fois la guerre déclarée, ou même de s’engager, comme le fit John Kennedy.

Après l’AFC, la désignation "America First" est apparue à quelques reprises dans la vie politique américaine, notamment lors d’élections présidentielles. En 1944 un candidat se réclamant du "America First Party" reçut moins de deux mille suffrages. En 1952 ce même parti, fit campagne pour le général Douglas Mc Arthur. Sans plus de succès. En 1996 et 2000 Pat Buchanan fut candidat à la nomination républicaine, puis à celle du Reform Party, avec une politique étrangère guidée par ce même principe de "America First".

S’agit-il, comme certains le prétendent, d’un "retour à l’isolationnisme" ? Pas du tout. C’est même, par bien des aspects, la simple poursuite de la politique étrangère du président Obama, mais au nom de justifications différentes.

L’Amérique s’est considérablement désengagée du monde depuis 2009. Outre l’Afghanistan et l’Iraq, dont il a retiré les troupes, conformément à ses promesses de campagnes, Obama a articulé la doctrine du "leading from behind". L’idée que les Etats-Unis doivent "diriger depuis les lignes arrières" ! Une doctrine appliquée à la lettre en Libye et en Syrie, où les Américains ont suivi le mouvement plus qu’ils ne l’ont suscité.

Barack Obama a également nié à plusieurs reprises "l’exceptionnalisme" américain, une notion historique liée à l’idée que les Etats-Unis ont la "mission", quasi divine, de promouvoir la démocratie à travers le monde. C’était une façon pour lui de justifier une approche "non-interventionniste", de faire rentrer les Etats-Unis dans le rang, et de se reposer sur les institutions internationales, pour la résolution des conflits. Après le triple échec de son "reset" avec la Russie, de son "pivot" vers l’Asie, et de son soutien au printemps arabe qui a débouché sur l’islamisme et le chaos, Barack Obama s’est contenté de laisser les affaires du monde aux autres. Partout où les intérêts vitaux des Etats-Unis n’étaient pas menacés, il a laissé faire les choses, au risque de voir se développer les conflits régionaux. Quant à la marque qu’il laissera pour l’histoire, elle tient à sa réconciliation avec un voisin devenu inoffensif, Cuba, et avec un ennemi toujours dangereux, l’Iran.

Ces deux dossiers sont peut-être les deux seuls où sa politique est en totale opposition avec celle prônée par Donald Trump. Ce dernier considère Cuba comme une "dictature brutale". Il l’a redit à l’occasion du décès de Fidel Castro. Il n’entend pas pactiser avec ce régime tant qu’il n’aura pas évolué, notamment sur la question des libertés politiques. Concernant l’Iran, il considère l’accord de juillet 2015 comme "désastreux". Notamment parce qu’il permettra au régime des mullahs de reprendre leurs expérimentations nucléaires d’ici quinze ans. Toutefois cet accord engageant d’autres pays – les cinq membres du Conseil de Sécurité, l’Allemagne et l’Union européenne- Donald Trump ne pourra pas le "détricoter" comme il a promis de le faire durant sa campagne. Vis-à-vis de ces deux pays, Trump n’a pas caché son souhait de voir un changement de régime s’opérer.

Pour le reste sa politique suivra la "ligne Obama", avec deux différences notables, l’une vis-à-vis de la Russie, l’autre vis-à-vis de l’Arabie Saoudite.

S’il faut attendre un bouleversement majeur de la politique étrangère américaine, il peut concerner les relations avec la Russie. Donald Trump a multiplié les appels du pied à Moscou. Il a souvent chanté les louanges de Vladimir Poutine, qu’il considère comme un "grand leader", parce qu’il sait se faire respecter à l’extérieur et parce qu’il agit toujours avec l’intérêt de son propre pays en tête. Par ailleurs Donald Trump a critiqué un ordre international encore bâti sur les lignes de partage datant de la guerre froide alors que celle-ci est achevée depuis plus d’un quart de siècle. C’est d’ailleurs une des raisons qui l’ont incité à évoquer une réforme fondamentale de l’Otan.

Pour Trump, la menace majeure du moment vient de l’islamisme radical. Il menace les intérêts vitaux des Etats-Unis parce qu’il menace les fondements même de la civilisation occidentale, Russie inclue. Cette menace justifie, à ses yeux, que l’occident, au sens large, se mobilise de façon unitaire pour la combattre et l’éliminer. Dès lors la Russie doit être considérée comme un allier. Cette vision diffère radicalement de l’attitude actuelle des Etats-Unis. Elle s’oppose à ce que proposait Hillary Clinton, dont le discours restait ancré dans une opposition frontale avec Moscou. De même qu’elle diffère de ce que Mitt Romney avait affirmé en 2012 parlant de la Russie comme "de l’ennemi numéro des Etats-Unis". Le fait que l’ancien candidat républicain à la Maison Blanche soit toujours en considération pour occuper le poste de Secrétaire d’Etat invite à la prudence quant aux intentions réelles du futur président Trump, mais il a, sur ce dossier, l’occasion de réorienter durablement la politique étrangère américaine. 

Inversement, Donald Trump n’a jamais caché sa méfiance vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, allié privilégié des Etats-Unis depuis soixante-dix ans. Il a, à maintes reprises, dénoncé le double jeu de Riyad, dont les monarques bénéficient de l’aide militaire américaine, tout en soutenant l’expansion du wahhabisme – un islam très rigoriste- au Proche Orient, en Asie centrale ou même en Europe. Ayant fait de l’indépendance énergétique des Etats-Unis, une de ses priorités, Trump estime n’avoir plus besoin du pétrole saoudien et n’entend pas demeurer "l’otage" du régime.

Quoi qu’il en soit, les craintes évoquées ici et là, quant à la politique étrangère de la future administration Trump sont largement injustifiées. Le vrai changement tient moins au contenu de cette politique qu’au fait qu’elle est articulée par un homme issu du camp républicain. Trump renoue en fait avec la ligne non-interventionniste du parti, largement marginalisée depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

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