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La gauche est divisée sur les questions économiques.
La gauche est divisée sur les questions économiques.
©Reuters

Pétaudière

Après les exposés proposés par les candidats de la droite et du centre lors de la primaire, c'est au tour des candidats de gauche de mettre sur la table leurs programmes économiques. Entre le bizarre, le déjà vu, les bonnes idées, et le radical, les représentants de la gauche brillent surtout par leurs divergences.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Écrire un article sur les programmes économiques des candidats de gauche est un exercice périlleux. La bonne volonté ne suffit pas. Entre le blog de Gérard Filoche qui parle quand même beaucoup de Fidel Castro, la démarche participative des uns et des autres qui aboutit à des propositions parfois curieuses, le site archaïque d'EELV, la prose d'Emmanuel Macron, on entre assez rapidement dans un monde, il faut quand même le dire, un peu angoissant. Si certains candidats ont pu développer leurs propositions, cela n'est pas le cas de toutes les forces en présence, et la liste est ici non exhaustive. D'autant plus que le jetage d'éponge de François Hollande laisse, pour le moment, Manuel Valls à découvert.

Mais il reste possible de dresser des catégories au sein des différentes personnalités. Entre les sociaux-démocrates-libéraux Emmanuel Macron et Manuel Valls, qui ont tous deux été les premiers de cordée du dernier quinquennat, et qui, il n'y a pas de raison d'en douter, vont poursuivre sur la même voie ; la gauche "keynésienne", incarnée par Arnaud Montebourg, (Il est périlleux de le classer justement Benoît Hamon) ; Marie-Noëlle Lienemann, qui occupe une ligne intermédiaire, et la "gauche de combat" représentée par Gérard Filoche et surtout par Jean-Luc Mélenchon, la diversité est de sortie. Il est d'ailleurs utile de souligner les très fortes divergences qui opposent ces candidats sur le terrain économique. L'idée "d'une gauche" ne veut plus rien dire.

Pour les sociaux libéraux, Manuel Valls et Emmanuel Macron, le terrain est connu malgré l'absence de propositions réelles. Baisse des charges des entreprises en perspective, comme le font les gouvernements français depuis 1993, avec un succès pour le moins relatif, puisque le dernier CICE, n'a toujours pas produit les résultats escomptés. Le coût stratosphérique de l'opération, près de 50 milliards d'euros, l'absence de résultats révélée par France stratégie (aucun effet sur l'investissement, effets dérisoires sur l'emploi mais une belle hausse des marges des entreprises) font de ce dispositif le trou noir du quinquennat économique de François Hollande. Aussi longtemps que ces deux candidats ne remettront pas en cause leur erreur de diagnostic sur ce point, il paraît difficilement envisageable de voir émerger des propositions répondant aux problèmes du pays. Le "j'aime l'entreprise" permanent de Manuel Valls, le libéralisme de l'offre invoqué par Emmanuel Macron semblent bien obstruer les approches de ces deux candidats, qui n'admettent pas qu'il existe un gigantesque problème de demande en France et en Europe. Pourtant, les plus libéraux des libéraux n'hésitent pas un instant à faire ce diagnostic

Plus original, Emmanuel Macron propose notamment l'indemnisation chômage aux personnes démissionnaires, pour "éviter les burnouts des salariés qui demeurent dans une entreprise parce qu'ils pensent qu'ils n'ont pas d'autre choix". Si l'idée est nouvelle, elle souffre d'une possible intention détournée. Les entreprises auront-elles encore envie de payer les indemnités relatives aux ruptures conventionnelles en sachant qu'une démission du salarié permettra à celui-ci de toucher le chômage ? Derrière l'idée apparemment "sympa" pour les salariés, il pourrait s'agir, encore une fois, de permettre de baisser d'autres charges qui pèsent sur les entreprises. De la même façon, la modulation du temps de travail par âge, proposée par l'ancien ministre de l'économie, est également une question de temps de travail, et donc de coût. Seul l'habillage change, l'esprit est toujours le même. Tout est question de créativité.

Concernant les keynésiens, le programme est sur la table. Arnaud Montebourg, en principal opposant potentiel à Manuel Valls propose, pour le moment du moins, le programme le plus construit. Cela commence par des plans de relance (keynésiens) par le biais d'infrastructures (20 milliards d'euros soit 1% de PIB). Cette proposition de relance par les infrastructures devrait cependant faire consensus, celle-ci étant reprise aussi bien par François Fillon que par Marie-Noëlle Lienemann. Seuls les montants et les modes de financement divergent, mais si ces points sont essentiels d'un point de vue général. De telles dépenses permettent de répondre à plusieurs questions à la fois ; productivité du pays sur le long terme, création d'emplois moyennement qualifiés (c’est-à-dire correspondant plutôt bien au profil majoritaire des chômeurs), et incitation à l'investissement pour le secteur privé.  

Puis vient une proposition bien plus curieuse, de "hausse des salaires au niveau européen", par le biais de négociations branche par branche, comme cela est le cas "en Allemagne". Ici, le candidat franchi un peu vite les étapes, puisque les hausses de salaires ne sont le résultat que d'une situation favorable de l'emploi (les entreprises doivent débaucher pour embaucher, ce qui suppose de proposer un salaire supérieur), elles sont donc bien plus une conséquence d'une économie en bonne santé. Une entreprise, dans une logique de recherche de profit (ce qui est son but par nature, c'est ce qu'on lui demande) n'octroie de hausse de salaire que par intérêt. Le but est donc de créer les conditions permettant d'obtenir ces hausses de salaire, de faire que les entreprises n'aient pas d'autre choix d'offrir de meilleurs salaires, et non de le décréter. 

Arnaud Montebourg propose surtout d'en finir avec les mesures d'austérité au niveau européen, notamment avec une demande de renégociation des termes budgétaires européens, et la sacro-sainte règle des 3% de déficit budgétaire. L'ensemble général est donc cohérent dans une logique keynésienne, mais souffre d'un problème fondamental. Une telle relance, et même en considérant que les partenaires européens acceptent de renégocier les traités budgétaires, ne pourra pas produire d'effets si le mandat de la BCE reste en l'état. Puisque la BCE est, de facto, totalement maîtresse du niveau de la demande en zone euro, toute relance pourra être brisée par une action contraire de la BCE. Comme cela a été le cas lors de l'année 2011 suite aux plans de relance de 2009-2010. Le résultat d'une telle opération est plus de déficits, plus de dette, mais pas plus de croissance si la BCE n'est pas réformée. C'est la voie qui a été choisie par le Japon dans le courant des années 90 et 2000 (mais stoppée en 2012 par Shinzo Abe) qui a conduit à une croissance 0 et un endettement équivalent à 250% du PIB du pays.

Benoît Hamon est plus difficilement classable, puisque la mesure économique phare défendue par l'ancien ministre est un revenu universel de 750 euros par mois pour tous les français de plus de 18 ans, soit 50 millions de personnes. En faisant le calcul, une telle mesure représente 450 milliards d'euros, soit 20% du PIB du pays, et non 300 milliards comme l'indique le candidat (Benoît Hamon propose de commencer par 535 euros, soit le montant du RSA socle, ce qui justifie les "300" milliards, à 30 milliards près quand même) avant de passer à 750 euros par mois. Les pistes de financement évoquées ne sont, à l'heure actuelle, que très peu définies, et ne totalisent "que" 282 milliards, soit un trou de 170 milliards d'euros, soit 7% de PIB par année. Hors concours. D'autant plus que les sources de financement du type "lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscale pour 80 milliards" paraissent peu crédibles. Les autres réformes proposées par Benoît Hamon relèvent plus des domaines de l'écologie et du "renouveau démocratique".

Avant de glisser vers les plus radicaux, la position de Marie-Noëlle Lienemann est un point de rencontre. Les dépenses d'infrastructures sont également présentes, mais pour un montant plus important qu'Arnaud Montebourg, soit 35 milliards d'euros. La renégociation des traités européens n'est pas non plus oubliée. Mais la candidate propose également un relèvement important du SMIC (1300 euros nets avant de passer à 1700 euros nets en 2022), une 6e semaine de congés payés, l'encadrement des loyers, ainsi qu'une proposition de mise en place d'un revenu de base pour les moins de 28 ans. Cependant, en imaginant que le montant versé aux jeunes soit proche du RSA socle, le coût s'approcherait des 50 milliards, par an, ce qui commence à faire beaucoup sur l'ensemble d'un quinquennat. Ici encore, comme cela est le cas pour Arnaud Montebourg, la crise de la demande est bien prise en compte, mais les mesures proposées viennent plus répondre à ses effets qu'à ses causes. De plus, et en n'ouvrant pas la voie à une relance de la demande par la voie monétaire, les dispositions relatives au SMIC pourraient avoir un lourd effet négatif sur l'emploi des plus fragiles. 

Enfin, "la gauche de gauche". Le positionnement de Gérard Filoche apporte la touche la plus radicale à la primaire socialiste. Entre les 32 heures, la retraite à 60 ans, le relèvement du SMIC brut à 1800 euros en fin de quinquennat, un salaire maximum équivalent à 20 SMIC, l'interdiction des licenciements pour les entreprises qui versent des dividendes, la création "massive" d'emplois publics, une réforme fiscale visant à réintroduire 13 tranches d'imposition pour en arriver à un taux marginal de 65%, Gérard Filoche s'éloigne assez nettement du concept d'économie de marché. Le candidat pourrait reprendre à son compte la phrase d'Emmanuel Macron "C'est Cuba sans le soleil", puisque Gérard Filoche ne tarit plus d'éloges à l'égard de Fidel Castro. Ce qui est sans aucun doute son but, sans jugement de valeur d'ailleurs. À titre d'exemple, la seule prise en compte du relèvement du SMIC de 20%, combiné à une baisse du temps de travail de 10% devrait avoir pour effet de créer une importante barrière à l'emploi pour les moins qualifiés, aussi bien pour ceux ayant un emploi au SMIC, que pour ceux qui pourraient y accéder. 

Enfin Jean-Luc Mélenchon, qui, au regard des sondages, est actuellement le candidat le plus "installé" de ces dernières semaines. Ici encore, ce n'est pas faire insulte de dire que l'idée d'économie de marché est laissée de côté, le terme de planification convient mieux. Outre le rapport de force européen, une forte probabilité de sortie de l'euro et de l'UE, et en dehors de mesures écologiques importantes, comme le retrait du nucléaire, plan de 100 milliards pour les investissements écologiques, création de 300 000 emplois "maritimes" et des programmes de renationalisation, Jean-Luc Mélenchon évoque également "l'illégitimité" de 50% de la dette du pays, en demandant à la BCE de racheter cette même dette. En effet, la gauche radicale porte bien son nom, il n'y a pas tromperie sur la marchandise.

Puisque Jean-Luc Mélenchon préconise, comme Gérard Filoche, de réduire le temps de travail jusqu'à 32 heures hebdomadaires, tout en octroyant une 6e, voire une 7e semaine de congés payés, une augmentation du SMIC de 16%, de limiter les écarts de salaire de 1 à 20, d'interdire les licenciements boursiers etc… l'impression qui se dégage de ces propositions est son aspect miroir à ce que Jean-Luc Mélenchon cherche pourtant à viser ; l'ultralibéralisme. À force de vouloir "mettre au pas" un mouvement qu'il est pourtant possible d'apprivoiser, de maîtriser, d'équilibrer, le candidat de la "France insoumise" offre une vision également ultra, c’est-à-dire complètement déséquilibrée. Le caractère disproportionné de l'avantage donné au capital de l'ultralibéralisme change de camp, il est disproportionné dans l'autre sens, coupant l'herbe sous le pied du moteur économique. Les références explicites de Jean-Luc Mélenchon au Venezuela d'Hugo Chavez sont d'ailleurs sans équivoque à ce sujet. 

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