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Pourquoi l'électrochoc Hollande laisse la gauche orpheline du seul candidat qui aurait pu garantir son unité
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Et maintenant qui ?

En renonçant à se représenter devant le suffrage des Français pour un second mandat, François Hollande met aujourd'hui le Parti socialiste face à ses propres divisions.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Par le rejet que François Hollande suscitait au sein de la gauche socialiste, il réussissait à maintenir une forme de cohésion dans son camp. Maintenant qu'il s'est retiré de la course, que reste-t-il de cette cohésion ?

Christophe Bouillaud : Il me semble qu'il reste surtout le fait que la droite apparaît en bonne position pour gagner la présidentielle et ensuite les législatives. Il y aura nécessairement une obligation pour les personnes qui font carrière au Parti socialiste de se regrouper autour d'un candidat qui représente le PS et soit capable de faire un score à peu près correct à la présidentielle.

Les candidats restants (probablement Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, pour citer les trois principaux) auront tous intérêt à maintenir l'unité du parti même s'ils sont battus à cette primaire, dans la mesure où la carrière politique des personnes qui les soutiendront ne sera assurée que si le PS est capable d'avoir une "honorable" défaite en 2017.

Ce retrait de François Hollande peut-il aggraver l'état de tension, d'affrontement et de division au sein du Parti socialiste ?

Christophe Bouillaud : Je pense que oui, au moins dans un premier temps, dans la mesure où l'enjeu de la primaire de la Belle Alliance Populaire devient extrêmement fort. C'est l'orientation idéologique à moyen terme du Parti socialiste qui est en jeu. Une victoire de Manuel Valls ou d'Arnaud Montebourg, qui sont les deux candidats ayant a priori le plus de chances de gagner, sera forcément un choix très marquant pour le parti. Cela déterminerait également à partir de quelle opposition il sera amené à se reconstruire sur la longue durée.

Il y a aussi le rapport avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon, car il est évident que pour lui, il serait important que Manuel Valls gagne cette primaire, pour qu'il puisse se revendiquer comme étant le seul candidat véritablement "de gauche". Si c'est Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon, l'hésitation d'une grande partie de l'électorat de gauche serait assez forte.

L'annonce du président de la République peut-elle avoir un effet sur la démarche présidentielle d'Emmanuel Macron ?

Christophe Bouillaud : Elle peut avoir l'effet inverse par rapport à ce que nous venons de voir avec Jean-Luc Mélenchon. Si les électeurs de gauche choisissent Arnaud Montebourg, cela ouvre un espace non négligeable pour Emmanuel Macron. Inversement, si c'est Manuel Valls qui ressort vainqueur de la primaire, Emmanuel Macron apparaîtra comme très isolé. D'autant plus que le vainqueur de la primaire aura la légitime de millions d'électeurs, alors que lui ne se retrouvera qu'avec ses quelques dizaines de militants...

Cette décision ne peut-elle pas mettre en difficulté tous ceux qui ont construit leur rhétorique, leur discours, leur axe de campagne autour du rejet de François Hollande et de son bilan ?

Christophe Bouillaud : Celui qui aura le plus de difficultés, c'est Manuel Valls, qui sera obligatoirement un peu comptable de ce qui a été fait. En revanche, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon pourront dire qu'ils avaient protesté depuis le début du quinquennat et qu'ils n'ont pas été entendus. Il y a quelques années, Arnaud Montebourg avait déjà rendu public certain documents montrant qu'il avait essayé de faire pression sur François Hollande pour changer de politique. Il pourrait très bien ressortir ces documents pour souligner le fait que la situation actuelle confirme son analyse initiale.

L'opposition interne au sein du PS est aujourd'hui très fortement légitimée. François Hollande lui-même reconnaît que ni l'électorat de gauche, ni l'électorat en général ne veut de cette politique.

Comment interpréter le fait que François Hollande n'ait pas désigné Manuel Valls comme son héritier lors de sa déclaration de non-candidature ?

Christophe Bouillaud : S'il ne se représente pas, c'est que sa popularité était extrêmement faible. Dans le fond, désigner un héritier équivaudrait à couler électoralement cet héritier... On pourrait même soupçonner au contraire que la tragi-comédie entre Valls et Hollande soit en réalité une commedia dell'arte pour tromper l'adversaire. Au stade où nous en sommes, François Hollande n'aura aucun héritier et aucun soutien.

Le seul espoir de Manuel Valls, c'est de parvenir à apparaître comme celui qui a sauvé le quinquennat, y compris par sa personnalité. Il va sans doute essayer d'endosser le rôle de la personne qui, pour des raisons extra-politiques, a la carrure pour diriger un exécutif.

J'ajouterais qu'il est assez étonnant de voir à quel point les journalistes acceptent si rapidement ce fait inédit. Il faut quand même souligner qu'il est totalement inédit qu'un Président ne puisse pas politiquement se représenter. Il finit son mandat de président de la République aussi mal que celui de Premier Secrétaire du PS, à l'issue duquel il avait été très critiqué, y compris par Martine Aubry. 

Il apparaît difficile aujourd'hui pour un candidat d'être en mesure de conserver l'unité du PS. Dans quelle mesure le plus dur est-il à venir ?

Christophe Bouillaud : Pour des raisons strictement organisationnelles, je pense que tout le monde aura intérêt à jouer l'unité du parti, d'autant plus qu'après l'élection présidentielle arriveront les législatives. Si le Parti socialiste se divisait en plusieurs entités avant ces législatives, le score "des" PS serait encore pire que celui qu'on peut prévoir aujourd'hui avec un PS unifié.

Jérôme Fourquet : Aujourd'hui, personne ne fait l'unanimité. Tout le monde s'accordait sur le fait que François Hollande était extrêmement abîmé en termes d'image et fragilisé, mais Manuel Valls, par son positionnement, sa façon d'être, et la façon dont il a géré la majorité parlementaire et présidentielle depuis qu'il est à Matignon, s'est fait beaucoup d'ennemis. Toute l'aile gauche ne se retrouve pas dans ses positions réformistes et ce clivage a été renforcé quand il a théorisé les deux gauches irréconciliables. Manuel Valls, qui a usé lui-même du clivage au sein de sa propre famille politique, en est aujourd'hui la victime. 

Manuel Valls non seulement n'est pas une condition de victoire mais n'est pas forcément un meilleur scénario que François Hollande dans la mesure où beaucoup considèrent qu'il fracturerait définitivement le parti. Des personnes comme Claude Bartolone, Jean-Christophe Cambadélis, soucieux de sauvegarder les intérêts de la maison commune par-delà la défaite du hollandisme, se disent que Manuel Valls non seulement n'éviterait pas la défaite mais pourrait accélérer le processus d'implosion de la famille socialiste. 

L'heure n'est-elle pas à la construction d'un projet idéologique ? Dans quelle mesure l'absence de projet pourrait-elle amplifier les conflits de personne ?

Christophe Bouillaud : Je pense en réalité que le Parti socialiste dispose de trop de projets idéologiques... Il est plutôt tiraillé entre le projet républicain de Manuel Valls et de Gérard Collomb et celui de personnalités telles qu'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. La vraie difficulté du PS est donc selon moi d'arriver à choisir la ligne et à savoir quelle est celle qui attirera le plus l'électorat français.

A cela s'ajoute le fait que le seul espoir raisonnable de faire un bon score à l'élection de 2017 est de trouver une façon de créer une "rupture" avec François Hollande, de la même façon que Nicolas Sarkozy avait réussi à inventer la "rupture" avec Jacques Chirac en 2007. L'enjeu est de ne pas endosser les stigmates que représente François Hollande aux yeux des Français.

Bien sûr, les conflits de personnes s'ajoutent à cela. Mais il me semble qu'ils jouent plutôt à l'intérieur des différents camps. Au sein de la gauche de la gauche, vous avez avec Benoît Hamon et Arnaud Montebourg deux candidats globalement de la même génération, et qui partent sur des lignes très similaires. Au fond, il aurait mieux valu pour eux qu'un seul des deux se présente... De la même manière, la ligne "droitière" du PS est incarnée à la fois par François Hollande et Manuel Valls. Sans compter la ligne "centriste" de Martine Aubry, dont on ignore encore ce qu'elle compte faire...

Jérôme Fourquet : Le PS a un projet idéologique. C'est bien ce qui est grave : la fragmentation a commencé au début du quinquennat à la grande périphérie du PS quand les communistes ont refusé de soutenir le gouvernement, puis, au bout d'un ou deux ans les Verts sont partis, sont ensuite apparus les frondeurs au sein du PS et enfin une fracture du bloc majoritaire au sein du PS a pris forme, alors que Manuel Valls et François Hollande étaient grosso modo sur la même ligne.

Ce qui empêche la construction d'un nouveau projet, c'est le manque de temps. C'est quand le PS était dans l'opposition qu'il fallait qu'il réfléchisse à tout cela. Cela a été dit à de très nombreuses reprises : ce travail de réflexion idéologique, d'aggiornamento du modèle socialiste à la nouvelle société et à la nouvelle ère du capitalisme n'a pas été fait pendant quinze ans (quand Hollande était à la tête du parti). La droite a le même problème : ce n'est pas lorsqu'un parti est aux responsabilités qu'il peut se lancer dans une refondation idéologique. Le PS est affaibli, très divisé, cherche des réponses et n'en a pas face aux défis majeurs qui se posent au pays, qu'il s'agisse de la régulation de l'économie mondialisée, de l'adaptation du modèle social à la nouvelle économie, des questions de laïcité, de libertés publiques, d'école. L'école, aujourd'hui complètement en crise, est un élément très important de le pensée socialiste, "l'outil d'émancipation par excellence". Or, toutes les réformes, qu'il s'agisse des rythmes scolaires ou des révisions de programmes, ont créé un fossé béant entre les enseignants et le PS, et là aussi le parti n'a aucune réponse à apporter.

Une primaire pourra-t-elle vraiment apporter une solution à la situation de division que connait le Parti socialiste ? Quels problèmes ne pourra-t-elle résoudre ?

Christophe Bouillaud : Cela dépendra beaucoup de la manière dont cette primaire se déroule. Il est fort possible que l'on observe une dynamique d'apurement du passé. 

En tout état de cause, cette primaire ne pourra pas résoudre le fait que le camp de la gauche au sens large est minoritaire dans le pays depuis quelques années. La dynamique électorale observée depuis 2012 correspond à un affaiblissement de plus en plus net du camp de la gauche. Je ne parle pas uniquement du PS, cette tendance s'observe du centre-gauche (PRG) à l'extrême-gauche (Lutte Ouvrière, NPA). Ce n'est pas cette primaire qui pourra changer les choses.

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