Mais que va devenir cette droite des valeurs qui pensait lancer ses propres frondeurs en cas de victoire d’Alain Juppé ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La démarche n’avait pas abouti, du fait de l’orgueil de Wauquiez – déjà ! –, et tous deux doivent aujourd’hui en éprouver de ces profonds regrets que l’on ressent au souvenir des occasions manquées.
La démarche n’avait pas abouti, du fait de l’orgueil de Wauquiez – déjà ! –, et tous deux doivent aujourd’hui en éprouver de ces profonds regrets que l’on ressent au souvenir des occasions manquées.
©Reuters

Accident de parcours

Alors que Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier avaient misé sur un duel Sarkozy-Juppé à la primaire de la droite et du centre, la victoire de François Fillon, qu'ils n'avaient pas du tout anticipée, compromet leur avenir politique.

Saïd Mahrane

Saïd Mahrane

Saïd Marhane est rédacteur en chef au journal hebdomadaire Le Point. Il couvre particulièrement l'actualité politique.

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Bruno Larebière

Bruno Larebière

Journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude des droites françaises, Bruno Larebière a été durant dix ans rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Jean-Paul II (éd. Chronique, 1998) et De Gaulle (éd. Chronique).

Il prépare actuellement un ouvrage sur Les Droites françaises vues de droite (parution 2017).

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Atlantico : Alors que Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier avaient misé sur un duel entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé à la primaire de la droite et du centre, dans quelle mesure la victoire de François Fillon menace-t-elle leur existence politique ? Laurent Wauquiez a récemment qualifié François Fillon de "colosse aux pieds d'argile" : comment comprendre cette attaque ?

Bruno Larebière : La formule utilisée par Laurent Wauquiez au lendemain du triomphe de François Fillon à la primaire de la droite et du centre se voulait tactique, elle n’a révélé que sa maladresse et son orgueil. Au lieu de simplement prendre acte de l’écrasante victoire de l’ancien Premier ministre et de se mettre humblement à sa disposition, Laurent Wauquiez a cru bon d’essayer de sauver son poste – il était président par intérim des Républicains – en se posant comme celui qui pouvait donner au vainqueur l’assise populaire qu’il venait d’obtenir sans lui et que lui-même n’avait pas été capable d’apporter à son propre candidat !

Ceci est parfaitement grotesque comme fut ridiculement puéril sa tentative de faire croire, mardi, qu’il devenait "premier vice-président" des Républicains, en désinformant par texto l’Agence France-Presse pendant que se tenait le bureau politique des Républicains. Cela a fonctionné quelques heures, le temps qu’on apprenne, de source officielle cette fois, qu’il était simplement l’un des deux vice-présidents – avec Isabelle Le Callenec, qui est elle proche de Fillon.

Une photographie valant encore mieux qu’un organigramme, celle de cette réunion est terrible pour lui. On y voit en effet François Fillon encadré par Gérard Larcher et Bernard Accoyer, qui constituent de façon visible sa garde rapprochée, tandis que Laurent Wauquiez est relégué sur un siège distant. Elle révèle le côté farcesque des prétentions du président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes.

Si j’étais cruel, je dirais que Laurent Wauquiez est aujourd’hui un "collaborateur" de François Fillon, en allusion limpide à la place que Nicolas Sarkozy accordait à François Fillon durant son quinquennat. C’est peut-être pire – pour lui, ça l’est – que d’avoir pris la porte.

Guillaume Peltier a été bien plus habile, lui qui a fait part de son "enthousiasme" et de son "humilité", et s’est réjoui de la victoire "d’une droite courageuse, fière et authentique [qu'il défend] depuis des années". Lui a compris que quand on a soutenu un candidat qui n’a obtenu que 20% des suffrages, on se fait petit devant celui qui l’a emporté avec les deux tiers des voix.

D'une certaine manière, peut-on considérer qu'une victoire d'Alain Juppé aurait été préférable pour eux ?  

Bruno Larebière : L'un des paradoxes de cette primaire de la droite et du centre est que François Fillon l’a emporté sur une ligne politique très proche de celle que défendent depuis des années, avec leurs spécificités, Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier, mais sans eux, ce qui ne peut que leur donner des regrets, notamment si l’on se remémore le congrès de l’UMP de 2012.

A ce congrès resté célèbre en raison de la bataille pour la présidence du parti entre Jean-François Copé et François Fillon, le premier l’ayant emporté dans les conditions que l’on sait, les adhérents étaient également appelés à se prononcer sur des motions, légitimant ainsi les différents courants.

Or, dans cet autre scrutin, c’est La Droite forte de Guillaume Peltier qui était sortie en tête, avec près de 28% des suffrages, suivie par La Droite sociale de Laurent Wauquiez, avec près de 22% des voix. Ajoutez à cela les 10% recueillis par La Droite populaire de Thierry Mariani, et vous constaterez que ces trois courants très proches par leurs positions étaient très largement majoritaires.

Cela n’avait pas échappé à Guillaume Peltier qui, quelque temps plus tard, avait proposé à Laurent Wauquiez de contracter alliance afin de s’emparer du parti. La démarche n’avait pas abouti, du fait de l’orgueil de Wauquiez – déjà ! –, et tous deux doivent aujourd’hui en éprouver de ces profonds regrets que l’on ressent au souvenir des occasions manquées.

Pour l’anecdote – et même un peu plus –, je rappellerai aussi qu’à ce congrès de 2012, Laurent Wauquiez était le colistier de François Fillon. Le Premier ministre avait constitué un "ticket" avec Wauquiez, qui, en cas de victoire, serait devenu vice-président de l’UMP. Quant à Alain Juppé, il faut aussi rappeler qu’il avait soutenu la motion de La Boîte à idées, qui avait royalement obtenu 9,19% des voix.

Pour en revenir à l’actualité, une victoire d’Alain Juppé aurait eu pour conséquence, en théorie, de leur ouvrir un espace politique interne dont ils ne disposent pas après la victoire de François Fillon, mais le contexte de l’élection présidentielle, qui contraint tout un chacun à faire bloc derrière le candidat désigné, ne leur aurait pas permis d’exprimer leur tonalité différente avant de longs mois. Pire : ils auraient été contraints de propager les éléments de langage d’Alain Juppé jusqu’à la présidentielle sans en partager le fond, en attendant l’échec et la déception de l’électorat pour se démarquer.

Avec la victoire de François Fillon, au moins peuvent-ils espérer, en faisant preuve de patience et d’habileté – deux qualités dont Laurent Wauquiez est singulièrement dépourvu –, voir arriver le jour où ils seront appelés à jouer un rôle important.

Que compte faire désormais Laurent Wauquiez ? A-t-il un plan en tête ? 

Saïd Mahrane :Comme tout ancien ministre de sa génération, Laurent Wauquiez, qui n’est pas le moins stratège de tous, table désormais sur la présidentielle de 2022. Il considère, avec d’autres, que son heure viendra, d’autant plus qu’aujourd’hui l’horizon s'est dégagé à droite avec les éliminations de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé. Et qui sait dans quel état sortira François Fillon d’un éventuel quinquennat ? Laurent Wauquiez ne s’en sort donc pas trop mal en héritant d’une vice-présidence LR, même s’il espérait rester en poste, ce qui eut été impossible pour le candidat Fillon. "Pas fiable", tel est le propos qui revient dès lors que l’on évoque le maire du Puy-en-Velay. Il est certain que, connaissant son appétit, il ne se contentera pas de jouer les bons camarades durant cinq ans. J’imagine qu’il escompte être ministre, si possible dans la première fournée ministérielle ou dans la seconde, quand il s’agira de donner une autre impulsion au quinquennat. 

Wauquiez a pour lui deux choses : la première est d’être réellement populaire auprès des sympathisants de la droite, et de la droite dite identitaire, aujourd’hui orpheline de Sarkozy. En outre, il porte une représentation du monde et de la société absolument claire, ce qui n’est pas toujours évident en politique. Il en est dont on ne sait absolument rien de leur corpus doctrinal, après des années d'exercice, tant ils se complaisent dans un flou confortable et passe-partout. Ce qui n’est pas le cas de Wauquiez, qui a beaucoup évolué idéologiquement, d’aucuns diront même qu’il a trahi ses idéaux de départ (fédéralisme européen et libéralisme économique). Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui porteur d’une identité politique très affirmée. En outre, avec Xavier Bertrand, il a une capacité de travail très importante. S’il accorde une large part à la communication, parfois à l’excès, il n’en délaisse pas pour autant les sujets de fond. 

Ensuite, je vois chez lui deux limites : la première est que l’homme suscite bien des détestations à droite. Sarkozy, ô combien décomplexé, ne laissait lui aussi personne indifférent, mais il était entouré de gens prêts à mourir pour lui au combat. Je ne m’explique pas le rejet que provoque Wauquiez auprès de ses paires, quelles que soient d’ailleurs les générations. A lui d’y remédier. En outre, il devra apprendre, je pense, à assumer sa propre histoire, son propre cursus, j’irais jusqu’à dire sa supériorité intellectuelle. Il a ce travers qu’ont beaucoup de politiques - ce qui dénote une méconnaissance du peuple -, qui consiste à penser que pour être accepté de la France d’en bas il faut absolument lui ressembler, éviter les dehors de la France d’en haut, surtout ne pas citer de grands auteurs, faire oublier ses diplômes et ce qu’il est réellement, c’est-à-dire un crâne d’oeuf avec des cheveux, sans lui faire injure. "Le peuple", comme l’on dit aujourd’hui de manière indéfinie, apprécie au contraire d’être tiré vers le haut, aime qu’on le respecte en étant soi-même, authentique, humble et à l’écoute. Bruno Le Maire, à force de singer la jeunesse et de surjouer la transgression vis-à-vis de son milieu, en a fait les frais. Enfin, pour être tout à fait honnête s’agissant de Laurent Wauquiez, il a perçu très tôt le sentiment de relégation des classes moyennes inférieures, celles qui s’apprêtent, pour une part, à voter FN. La chose paraît évidente aujourd’hui, et les commentateurs citent volontiers cette France périphérique, mais Wauquiez, en l’occurrence, a eu un temps d’avance.   

Quelles sont aujourd'hui les marges de manœuvre de Laurent Wauquiez et de Guillaume Peltier pour exister politiquement ? Peuvent-ils faire autrement que de se rallier à François Fillon ?

Bruno Larebière : Ils se sont ralliés dès après le premier tour. La différence entre Laurent Wauquiez et Guillaume Peltier est que le premier est un homme très pressé, qui ne pense qu’à une chose : accéder à la présidence de la République.

Dans l’hypothèse d’une élection d’Alain Juppé, Laurent Wauquiez voyait la possibilité de se porter candidat à l’Elysée dans cinq ans, après avoir pris la tête des frondeurs de droite. Avec la possible élection de François Fillon, il a compris qu’il risquait d’en prendre pour dix ans : si Fillon est élu et qu’il réussit, il rempilera ; si Fillon est élu et qu’il échoue, ce n’est pas Laurent Wauquiez qui représentera l’alternative.

A mon sens, Laurent Wauquiez a tout intérêt à baisser le ton et à se mettre au travail, pour montrer déjà qu’il est autre chose qu’un beau parleur. A 41 ans, il serait peut-être temps qu’il commence à faire ses preuves avant de penser à autre chose parce que, pour le moment, il n’a rien montré d’autre que son ambition.

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