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Et pendant ce temps là… 6 infos majeures n’ayant rien à voir avec la Primaire et que vous avez probablement ratées
©Reuters

Il n'y a pas que la primaire

Si la primaire de la droite et du centre a vampirisé la plupart des médias cette semaine, d'autres informations loin d'être anecdotiques se sont déroulées pendant ce temps-là.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Les premières nominations de Donald Trump pour son gouvernement

Jean-Eric Branaa : Si les toutes premières nominations de Donald Trump avaient créé la surprise, celles de cette semaine n’ont rien enlevé à la confusion qui règne en cette période de transition. Tant la méthode que les choix sont tellement inattendus que la presse a cessé de s’intéresser au polémique Steve Bannon et à ses idées extrêmes pour tenter de comprendre le type de présidence que sera celle du prochain président. Donald Trump avait été très critiqué dans les premiers jours alors qu’il remplaçait à la surprise générale Chris Christie, qui préparait pourtant cette transition depuis le printemps, par le vice-président Mike Pence en personne. On a vu là une tentative de déplacer le curseur politique en direction des plus conservateurs et la nomination de plusieurs d’entre eux, tels que Ben Carson, Newt Gingrich, Jeff Sessions ou Rudolph Giuliani dans l’entourage du nouveau président a semblé confirmer le choix d’une ligne dure.

Les toutes premières nominations aux plus hautes fonctions n’ont en rien démenti cette idée, avec Jeff Sessions comme Attorney General, c’est-à-dire en charge de la justice, mais aussi de la police. Le gouverneur de l’Alabama est connu pour ses prises de position sans concession vis-à-vis de l’immigration et il prône également, tout comme Rudolph Giuliani, la tolérance zéro envers les criminels. Le général Flynn a également fait partie des nominés de la semaine, au poste de responsable de la sécurité intérieure. Ce n’est pas non plus un tendre : il est notamment favorable au recours à la torture contre les terroristes. On pensait donc que les tenants de la ligne dure l’avaient emporté et que Donald Trump appliquerait à la lettre le programme qu’il a sans cesse répété pendant sa campagne.

Il a lui-même créé le doute en signalant que l’abandon total de l’Obamacare n’était plus forcément à l’ordre du jour, sachant que deux mesures au moins pourraient être conservées. Puis, il n’a pas repoussé la proposition des quelques membres du Congrès suggérant que le mur promis à la frontière sud pourrait être, par endroit, une simple clôture. Enfin, dans un entretien avec le New York Times, il s’est dit ouvert à l’idée de réfléchir aux Accord de Paris, même s’il annonçait la veille, dans une courte vidéo, l’abandon du traité Trans-Pacifique, ou la fin de toutes les régulations, et notamment celle concernant la production de charbon ou de gaz de schiste. Il a même annoncé l’abandon des poursuites contre Hillary Clinton ! Où est passé le "mettez-la en prisonqui a galvanisé les foules dans ses meetings ?

Donald Trump est déroutant car il semble toujours vouloir souffler le chaud et le froid, faire une chose et son contraire. Sur le plan des idées politique, plus personne ne sait où il veut aller désormais, quelles seront ses priorités ou même les points qu’il retiendra. Avec la presse, il a créé un black-out, n’a donné aucune conférence de presse depuis juillet, contrairement à l’usage, mais a choisi de répondre à une sollicitation du journal qu’il a le plus décrié et dénoncé au cours des seize derniers mois, le New York TimesAbandonnant sa rhétorique souvent guerrière de la campagne, il parle aujourd’hui de réunification et, à la veille de Thanksgiving, une fête très importante aux Etats-Unis et qui symbolise l’unité et les valeurs familiale, il a encouragé ses compatriotes à dépasser les clivages raciaux et a nommé trois personnalités issues des minorités : deux femmes, dont une Indienne-Américaine, et un Afro-Américain. Betsy Devos a hérité du portefeuille de l’éducation et Ben Carson de celui du logement et du développement urbain. Nikki Haley, quant à elle, est la nouvelle ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies.

Le seul problème est qu’aucun de ces nouveaux nommés ne connaît quoi que ce soit au secteur dont il a désormais la charge. Pas de quoi aider un président qui est, lui aussi, rappelons-le, totalement novice en politique. Pas de quoi rassurer, non plus, la communauté internationale qui aimerait bien que les choses se stabilisent enfin aux Etats-Unis et que l’on commence à y voir plus clair. Pour la semaine prochaine, on parle d’une possible nomination de Mitt Romney aux Affaires Etrangères. Le plus trumpiste y a perdu son latin depuis très longtemps. Les chefs d’Etats étranger ne savent plus comment réagir.

Le risque bancaire en Europe et le recul de la collecte de l'assurance-vie en France

Eric Verhaeghe : Pendant que la primaire occupait l'actualité, deux signaux faibles sont apparus en France. D'un côté, la collecte de l'assurance-vie est passée en zone négative pour la première fois depuis 3 ans. L'événement n'est pas anodin, car il montre l'aversion grandissante des Français pour une épargne qui rapporte peu. La faiblesse des taux d'intérêt explique cette inversion: les épargnants veulent que l'argent fasse des petits, et l'assouplissement quantitatif pratiqué la Banque Centrale Européenne rend l'exercice de plus en plus compliqué. L'argent ne va donc plus gonfler les réserves des assureurs parce qu'il ne rapporte pas assez, ce qui constitue un premier élément d'inquiétude. Parallèlement, la BCE a publié une étude soulignant les risques bancaires en Europe, et l'extrême volatilité des valeurs bancaires face à leur exposition au risque. Tout ceci montre que nous sommes loin d'être tirés d'affaire et que rien n'exclut un bug bancaire systémique. La BCE s'y prépare, et tout concourt à laisser penser que, dans les douze mois à venir, la situation économique et financière pourrait être durement affectée. 

La démonétisation décidée par Narendra Modi en Inde 

Jean-Joseph Boillot : C'est un séisme à la fois politique et économique. Le Premier ministre Narendra Modi, en secret, a décidé de faire un coup politique en s'attaquant à l'économie parallèle et illégale en liquide. Pour cela, il a, avec un délai de 4 heures, annoncé la fin de la circulation légale des billets de 500 et 1000 roupies (environ 10 et 20€), qui représentaient 86% de la masse monétaire fiduciaire en circulation. Sur le plan politique, cette décision a été dans un premier temps très bien accueillie car beaucoup d'Indiens relient le cash à la corruption, en particulier celle des partis politiques et des mafias.

Mais, comme souvent en Inde, les bonnes idées butent sur les errements de leur mise en application. En effet, soudainement, l'économie indienne s'est arrêtée de tourner : les ventes de téléphones mobiles ont chuté de 90%, celles de voitures de 70%, et surtout, l'homme ordinaire de la rue ne pouvait plus payer ses produits de base dans les petites échoppes de quartier. Les Indiens étaient en effet obligés d'aller échanger dans les banques leurs anciens billets contre de nouveaux billets. Mais moins de la moitié de la population indienne a des comptes bancaires et pas assez de billets n'ont été imprimés à l'avance, ce qui a créé une panique totale.

La véritable question est de savoir si Narendra Modi a joué un coup politique gagnant avec un coût économique certain mais limité dans le temps (quelques semaines) ou s'il va provoquer une véritable retombée de la croissance indienne, qui était une des plus fortes du monde, et ce faisant être le grand perdant politique.

Comme on dit en Inde,"the jury is still out"

Le départ de Martin Schulz du Parlement européen pour revenir dans la politique allemande

Jérôme Vaillant : C’est le jeu habituel des chaises musicales. La proposition commune aux chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates d’élire le 12 février 2017 l’actuel ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier (SPD), à la présidence de l’Allemagne fédérale entraîne à sa suite une série de décisions personnelles qui en viennent à se conjuguer ensemble. Cette proposition, outre qu’elle lance un signal favorable à la poursuite de l’actuelle grande coalition après les élections fédérales de septembre 2017, affranchit la chancelière de la tutelle de son parti frère bavarois, la CSU de Horst Seehofer qui voulait la contraindre à ne se déclarer qu’après un accord programmatique entre CDU et CSU et lui permet de briguer à nouveau la présidence de son parti lors de son congrès à Essen le 6 décembre prochain et surtout de briguer un quatrième mandat en tant que chancelière.

C’est dans ce contexte qu’il faut voir l’annonce à première vue anodine de Martin Schulz de quitter la présidence du Parlement européen et de se consacrer désormais à la politique allemande en tant que premier de liste pour le SPD, lors des élections régionales de Rhénanie du Nord – Westphalie fixées au 14 mai 2017. Son renoncement était, à vrai dire, prévu  dans le cadre d’un accord passé entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates européens afin de permettre une rotation entre les deux principaux groupes parlementaires européens. Mais il y a plus M. Schulz peut aujourd’hui prétendre, avec toute l’autorité que lui confère sa fonction passée et toutes les compétences qu’il a acquises sur les scènes européenne et mondiale, remplacer F.-W. Steinmeier aux Affaires étrangères à Berlin non seulement pour les quelques mois qu’aura encore à gouverner la grande coalition dirigée par Angela Merkel mais pourquoi pas pour la mandature suivante dans le cadre du renouvellement de cette grande coalition au-delà de 2017.

La rumeur voudrait même que M. Schulz soit celui qui brigue lors de ces prochaines élections fédérales la chancellerie au nom du SPD et soit donc le challenger d’A. Merkel. Cette hypothèse ne peut être exclue dans la mesure où le président du SPD, Sigmar Gabriel, hésite à se porter candidat et qu’aucun autre ne se presse pour le remplacer vu que c’est là une "mission impossible". C’est aussi affaire de popularité. 54% des Allemands sont favorables à la nomination de M. Schulz aux fonctions de ministre des Affaires étrangères, mais ils lui accordent  également 24%  d’intentions de votes favorables, contre seulement 16% à S. Gabriel si le chancelier était élu au suffrage universel direct -  mais l’un comme l’autre loin derrière Angela Merkel.

La préparation de la réunion de l'Opep à Vienne sur le cours du pétrole

Jean-Pierre Favennec : Le 30 Novembre les pays OPEP se réunissent à Vienne pour tenter de concrétiser l’accord esquissé le 26 septembre à Alger : les pays membres de l’organisation s’engageaient à plafonner leur production entre 32,5 et 33 millions de barils par jour pour une production qui se situe aux environs de 34 millions et ceci bien sur pour faire remonter le prix du brut, jugé bas par de nombreux acteurs.

Beaucoup d’incertitudes autour de cette réunion. Quelle peut être la production dans les pays que l’OPEP a accepté de laisser en dehors de cet accord car ces pays ont besoin d’augmenter leur production (Libye, Nigéria, Iran) ? Les grands pays non-OPEP (à commencer par la Russie mais en n’oubliant pas Norvège, Mexique …) participeront-ils à l’effort ? Et enfin, et peut-être surtout, quel serait l’impact d’une hausse sensible des prix (vers 60 dollars le baril ?) sur la production de pétrole de schistes aux Etats-Unis, pétroles de schistes dont les ressources sont annoncées en augmentation et les coûts de production en diminution.

L’accord le 30 novembre n’est pas certain. Un échec entrainerait une baisse des prix. Mais le paramètre essentiel reste le besoin en dollars des pays producteurs, toujours très dépendants de l’or noir pour équilibrer leurs budgets qui nécessitera un accord de limitation de la production à court ou moyen terme.

La menace d'Erdogan d'ouvrir les frontières turques pour les migrants voulant aller en Europe

Alain Rodier : Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan confronté à une multitude de problèmes réagit à son habitude : il menace et quand il le peut, il cogne.

Après le vote du 24 novembre du Parlement européen proposant le "gel provisoire" des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le lendemain il menace d’ouvrir à nouveau les portes de l’Europe aux réfugiés dont le nombre dépasserait désormais les trois millions. En effet, un accord avait été trouvé en février prévoyant un meilleurs contrôle des frontières turques en échange d’un approfondissement de ces négociations, de la suppression des visas pour les ressortissants turcs et le versement d’une aide de six milliards d’euros. Il est vrai que sur ces trois points, l’UE a, au minimum, du retard. Cette "mauvaise volonté" est la conséquence de la réponse musclée du président Erdoğan au putsch du 15 juillet de cette année. Ce sont des "mesures disproportionnée".

Il est vrai qu’à l’intérieur, Erdoğan ne menace pas, il cogne. Il a saisi le prétexte du coup d’Etat militaire raté pour faire incarcérer des milliers de militaires (ce qui peut être considéré comme normal si ces derniers bénéficient de jugements équitables) mais aussi des fonctionnaires dont des juges, des policiers, des universitaires, des centaines d’intellectuels et des journalistes. Ce n’est pas tant une sympathie réelle ou supposée vis-à-vis des putschistes qui leur est reprochée (ce qui est totalement faux pour l’immense majorité d’entre eux) mais, soit d’être des membres du mouvement Gülen (1), soit d’être proches du PKK. C’est ainsi que le 4 novembre, onze députés du HDP (Parti démocratique du peuple) dont Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ Senoğlu, les deux co-présidents du mouvement ont été appréhendés A noter que ce parti regroupe certes des Kurdes mais aussi de nombreux démocrates qui avaient vu dans cette formation politique un nouvel espoir de démocratisation du pays (2).

Poursuivant de sa vindicte les Kurdes, Salih Muslim, le président du PYD syrien (parti de l'union démocratique) fait l'objet d'un mandat d'arrêt international délivré par Ankara le 22 novembre 2016. Il lui est reproché sa responsabilité supposée dans l'attentat d'Ankara du 17 février 2016 (29 tués et 61 blessés -principalement des militaires-). En fait, c'est le TAK (les faucons de la liberté), un mouvement théoriquement dissident du PKK, qui a revendiqué cette action dès le 19 février. Il a même donné l'identité du kamikaze, Abdülbaki Sömer originaire de Van. L'analyse ADN du corps a confirmé cette déclaration. Mais désormais le chef du PYD étant recherché, le PYD est officiellement considéré comme "terroriste" (3). Dans l’esprit du président Erdoğan, le PYD se situe au même niveau que Daech car sa proximité avec le PKK lui est intolérable.

En ce qui concerne Daech, le président Erdoğan a été plus que complaisant avec ce groupe salafiste-djihadiste depuis son apparition en 2014. Inversement, le "calife" Abou Bakr al-Baghdadi se gardait de le provoquer, même quand ses sympathisants déclenchaient des attentats en Turquie. D’ailleurs, ils ne visaient pas directement le régime (mais plutôt des Kurdes, des socialistes, des étrangers, des opposants) et ce, jusqu’au triple attentat-suicide qui a frappé l’aéroport d’Istanbul le 28 juin 2016 (48 morts, 230 blessés). C’est à partir de cette date que la politique d’Ankara a totalement changé. Depuis, la guerre est déclarée de part et d’autre. L’attentat à la bombe survenu le 4 novembre qui a fait neuf morts a été pour la première fois revendiqué par Daech via son "agence de presse" Amaq. Deux jours plus tôt, al-Baghdadi était sorti d’un an de silence pour désigner la Turquie (et l’Arabie saoudite) comme un objectif prioritaire. Le numéro trois de Rumiyah paru en novembre, la nouvelle revue en ligne qui a succédé à Dabiq, est venu confirmer le statut de la Turquie comme terre de djihad.

L’opération "Bouclier de l’Euphrate" lancée par l’armée turque "en appui" de groupes rebelles syriens, débutée le 24 août est destinée dans un premier temps, à chasser Daech de la zone frontalière turque située à l’ouest de la ville de Jarablus. Ensuite, elle doit permettre de récupérer une zone tampon s’étendant de l’Euphrate au corridor d’Azaz. Cela devrait empêcher les Kurdes du PYD de créer une région autonome (le Rojava) tout le long de la frontière jusqu’au canton d’Efrin et de faire pression sur le pouvoir syrien. Erdoğan poursuit toujours Bachar el-Assad d’une vindicte personnelle car ce dernier a eu l’outrecuidance résister à la "révolution arabe" qui devait lui permettre de jouer un rôle de premier plan au Moyen-Orient. Le non respect des Droits de l’Homme par le régime syrien est là aussi un prétexte bien commode à d’autres visées beaucoup plus personnelles. Les villes de Manbij (qui a été conquise de haute lutte le 11 juin par les Kurdes membres des Forces démocratiques syriennes -FDS- sur Daech) et Efrin sont officiellement désignées comme des objectifs à atteindre pour l’armée turque. Or, la première zone est tenue par les Kurdes soutenus par les Américains et la deuxième par les mêmes Kurdes soutenus -plus discrètement- par Damas et Moscou ! Enfin, dans la même zone, tout le monde tente de s’emparer du carrefour d’Al-Bab situé à 30 kilomètres au nord-est d’Alep. La suite risque d’être très compliquée !

A l’évidence ni Daech, ni les Kurdes, ni Damas n’apprécient cette volonté offensive d’Erdoğan. Bien que la presse en parle peu, les pertes commencent à être sérieuses du côté turc. Officiellement, il est question de 17 tués, de dizaines de blessés et de trente véhicules blindés dont des chars de bataille détruits. A savoir que les salafistes-djihadistes mènent des combats retardateurs qui les opposent aux forces turques et aux milices qui les accompagnent. Fait nouveau, le 23 novembre, ce sont quatre militaires turcs qui auraient été tués (l’un est mort après-coup) et dix autres blessés lors d’un bombardement de l’armée de l’air syrienne (fait démenti par Damas). En réponse, l’artillerie turque a pilonné le lendemain des forces armées syriennes qui effectuaient une offensive au nord-est de Lattaquié en direction de la province d’Idlib tenue majoritairement par les islamistes de Fateh al-Sham, le mouvement qui a succédé au Front al-Nosra, un petit chouchou d’Erdoğan même si cette formation est désigné comme terroriste par la communauté internationale. Pour une fois, les Russes et les Américains sont d’accords sur ce point… Enfin; étant donnée la volatilité de la situation dans la région, le président Erdogan aurait ordonné la mise en alerte maximale de son armée de l’air. Etant donnée qu’elle a été décapitée après le putsch, il est raisonnable de s’interroger sur ses capacités opérationnelles actuelles.

Curieusement, dans cette ambiance délétère, Washington et Moscou gardent un profil bas. Il faut dire qu’une des remarques préférées du président Erdogan est que "le monde est plus grand que les cinq" parlant des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme il est capable de tout, il vaut mieux rester prudent.

  1. (1) Le mouvement Gülen (FETÖ) proche des Frères musulmans a aidé le président Erdoğan durant toute sa carrière politique. Mais depuis que ce dernier a exprimé la volonté d’établir un régime présidentiel taillé à sa personne, il est devenu gênant. Même s’il est loin d’être exempt de tous reproches, les accusations les plus abracadabrantesques -dont celle d’être un mouvement "terroriste"- ont été lancées à son encontre. Elles permettent la chasse aux sorcières qui se déroule actuellement.

  2. (2) L’accusation de liens avec les mouvements terroristes n’est qu’un prétexte juridique. Erdoğan reproche au HDP d’avoir attiré à lui des électeurs qui lui étaient redevables (dans son esprit) des ouvertures qu’il avait faites pour mener des négociations de paix avec le PKK. Le HDP avec 10,76% aux élections législatives de novembre 2015 a empêché l’AKP d’obtenir la majorité des deux tiers qui lui était nécessaire pour changer la constitution en vue de l’établissement d’un régime présidentiel.

  3. (3) Auparavant, il n’était que "désigné" comme "terroriste". C’était une décision politique. Maintenant, elle est judiciaire.

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