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Les Nations unies parviendront-elles à signer un traité encadrant mieux le commerce d'armes ?
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Business is business ?

L'ONU consacre la semaine à la négociation finale d'un traité sur les ventes d'armes qui pourrait être signé en juillet prochain et permettre au commerce de l'armement de gagner en transparence.

Nicolas Vercken

Nicolas Vercken

Responsable du plaidoyer sur la prévention des conflits et protection des populations chez Oxfam France.

 

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Atlantico : D’où viennent les armes qui sont utilisées aujourd’hui pour tuer des populations civiles ? Sont-elles encore issues de trafics d’armes illégales ?

Nicolas Vercken : Elles viennent d’un peu partout mais d’abord et avant tout des Etats, notamment des grands producteurs d’armes. Cette production d’armes est légale et connue. Si à un moment, elle peut passer par des canaux plus opaques, elle est en grande partie commercialisée de manière officielle.

Exemple typique : la Russie. Moscou continue de fournir le régime syrien sans avoir besoin de passer par des trafiquants d’armes. Elle n’est soumise à aucune législation contraignante sur le plan national ou international. L’industrie militaire échappe à toute transparence. Personne ne sait, au niveau international, qui vend quoi, en quelle quantité et à qui. Il n’existe qu’un registre, aux Nations unies, rempli uniquement sur une base volontaire. Il est évidemment largement incomplet.

Il n’existe que des estimations effectuées par certains institut de recherche comme le SIPRI (Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm) ou encore l’Institut de Recherche du Congrès américain. Entre ces deux sources considérées comme fiables, il peut y avoir des écarts allant de 50 à 100% selon les dossiers.

Les Etats, la France notamment, ne prennent-ils pas des dispositions pour éviter les dérives ?

Il existe une grande variété de législations en fonction des Etats. En France, nous avons un régime juridique avec un principe d’interdiction. Chez nous, il est interdit de vendre et d’exporter des armes sauf dérogation du ministère public. Ce régime administratif impose un strict suivi officiel. Reste alors la question des critères d’attributions de ces marchés de la part du gouvernement.

En Europe, il existe ce que l’on appelle la position commune de l’Union européenne en matière d’exportation d’armements. Elle prévoit 8 critères à respecter qui prennent en compte la situation sécuritaire du pays destinataire et son respect des engagements internationaux et des droits de l’homme. Ce sont des obligations théoriques qui ne sont pas systématiquement intégrées dans le droit national. La France, par exemple, ne l’a pas fait. Le gouvernement déclare suivre ces règles mais il n’existe aucun recours. Dans la pratique, nous avons par exemple de grosses réserves dans certains contrats à destination, par exemple, du Tchad en 2008 ou d’Israël au moment de l’opération Plomb Durci à la même époque.

L’accord, en discussion cette semaine aux Nations unies, peut-il changer quelque chose ?

C’est la bonne nouvelle, le monde change. Il y a 30 ans, personne n’aurait envisagé que la communauté internationale ne s’engage en direction de plus de transparence ou de règles contraignantes. La tendance est positive. Les Etats, les organisations régionales, sans toujours adopter de lois sérieuses, ont tendance à prendre des engagements. La dernière ligne droite, c’est la démarche des Nations unies vers l’adoption d’un traité sur le commerce des armes depuis 2006.

Cette semaine, le dernier comité préparatoire va se pencher sur les règles du jeu de la conférence finale de négociations qui aura lieu en juillet. Sauf catastrophe diplomatique majeure, nous aurons un traité dans quelques mois. Reste que nous devons parvenir à nous assurer que le texte adopté soit solide. Il doit couvrir toutes les armes, munitions et matériels de police, quels que soient les calibres. Des lacrymogènes, par exemple, peuvent être utilisés pour tuer. Le transport et le transit de ces équipements doit aussi être pris en compte.

Exemple concret : le transfert par un navire russe d’armes vers la Syrie qui a transité il y a quelques jours par Chypre. Une fois ce traité adopté, les Etats seront responsables des marchandises militaires qui transiteront par leurs territoires.

Il faut contrôler les armes mais il faut surtout contrôler leur usage. Nous cherchons à faire passer une règle d’or claire et parfaitement simple : s’il y a le moindre risque que les armes soient utilisées contre des populations civiles, les Etats doivent bloquer la transaction. Il faut que le texte prévoit une contrainte juridique, au-delà de la déclaration de bonnes intentions.

Qu’est ce qui permet de croire que des pays comme la Russie ou la Chine, gros exportateurs d’armes, signent un tel traité ?

Formellement, aujourd’hui, aucun pays n’est opposé à ce traité. Le seul qui l’était, c’était les Etats-Unis. L’administration Obama a fait basculer la position américaine. Il y a par contre effectivement des pays qui s'abstiennent. Même des pays comme l’Iran ou Cuba, se contentent d’observer l’évolution de ce processus.

Des pays comme la Chine, la Russie ou l’Egypte sont dans une position compliquée. Ils ont des craintes sur l’impact de ce traité sur leurs propres enjeux stratégiques. Le risque d’être marginalisé, en cas d’opposition, existe. Ils y voient aussi, malgré tout, un moyen d’encourager une stabilité globale améliorée. Commercialement, il y a aussi un intérêt : la Russie aimerait profiter de ce traité pour éviter les pertes liées aux innombrables ventes de copies ou de contrebandes d’armes légères brevetées par Moscou.

Dans tous les cas, ces pays vont participer aux négociations. Les membres du Conseil de sécurité sont directement impliqués. Ils se sont exprimés publiquement et collectivement sur ce traité. Ils ne signeront pas n’importe quel traité. Certains pays vont certainement chercher à alléger les contraintes. Mais dans tous les cas, il est parfaitement positif de les voir s’engager dans un texte qui les engage. Il y a eu un précédent : le traité d’Ottawa en 1997, sur les mines anti personnelles. Si elle a été d’abord signée par un petit nombre d’Etat, elle a progressivement engagé politiquement les autres pays. Les Etats-Unis, par exemple, ont fini par céder et stopper leur production de mines.

Oui, la Russie pourra toujours décider de vendre des armes à la Syrie. Mais elle sera obligée de le dire. Ce qui sera nouveau, c’est une visibilité effective sur les transferts d’armement. Il n’y aura pas, du jour au lendemain, des sanctions économiques majeures. Mais il y aura une obligation d’explications qui engagera politiquement les Etats. Aujourd’hui, Moscou n’a pas la moindre raison de s’expliquer un tel choix.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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