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Steve Bannon : L’homme par qui la victoire et le scandale sont arrivés
©Reuters

Make America Great Again

Il y a trois mois personne, ou presque, ne connaissait son nom ! Aujourd’hui il est le conseiller personnel du président-élu des Etats-Unis. Il s’appelle Steve Bannon. Avant de reprendre en main la campagne du candidat républicain il dirigeait un groupe de presse controversé, Breitbart. Il est l’ennemi juré de tous les progressistes, pire qu’un épouvantail, un repoussoir qui offense les bien-pensants inquiets de sa proximité avec le pouvoir…

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Depuis la victoire de Donald Trump, la presse américaine a trouvé sa cible, sa tête de turc, l’homme responsable de sa désillusion et des malheurs d’Hillary. Il s’appelle Steve Bannon. Il a été nommé conseiller du président-élu dès le 9 novembre, après avoir été son directeur de campagne. Avant cela il était à la tête d’une entreprise jugée  indigne, voire inqualifiable, "Breitbart".

Breitbart est un groupe de presse. Il n’apparaît pas sur les radars des médias "grand public", mais cultive un lectorat conservateur, nationaliste  et populiste, voire apparenté à l’extrême-droite américaine. Breitbart a été un élément majeur dans la stratégie de conquête de la Maison blanche par Donald Trump. Que son ancien directeur ait aujourd’hui l’oreille du président des Etats-Unis est pour certains insupportable. Ils y voient la preuve que le milliardaire newyorkais n’est qu’un homme de paille au service de l’extrême droite et que, par son entremise, la "bête immonde" est désormais à la tête des Etats-Unis…

Quelques éclaircissements s’imposent donc sur cet homme par qui la victoire et le scandale sont arrivés. Car aussi ridicules que les insinuations portées contre lui et Donald Trump puissent paraître, nulle doute qu’elles s’ancreront chez certains. Comme, voici huit ans,  s’ancra chez d’autres l’idée que Barack Obama n’était pas né aux Etats-Unis, ou, comme un peu plus tôt encore, certains affirmèrent que les attentats du 11 septembre étaient  une manipulation… américaine!

Preuve de l’inquiétude des grands médias sur leur ancien confrère, Donald Trump fut longuement interrogé sur Steve Bannon et le groupe Breitbart, dans l’interview qu’il a accordé au New York Times, le mardi 22 novembre. "Breitbart est un groupe de presse qui a plutôt bien réussi", s’est–il défendu. Quant à Steve Bannon, c’est "un type brillant qui n’aurait pas été engagé s’il avait été raciste", a–t-il dit. 

Breitbart est en fait Breitbart.com, un site d’information sur internet,  lancé en 2005 par Andrew Breitbart, journaliste et chroniqueur conservateur. Andrew Breitbart, enfant, avait été adopté par un couple converti au judaïsme, et il grandit dans la foi juive. Devenu journaliste il écrivit pour le Drudge Report et fut à l’origine du lancement du Huffington Post, deux sites d’informations par internet à la réputation désormais établie. Son dynamisme et sa créativité étaient légendaires. De même que son indépendance d’esprit, ses convictions conservatrices, voire libertaires, et son soutien à Israël. C’est d’ailleurs le désir d’avoir aux Etats-Unis une source d’information qui défende sans concession la liberté et l’État hébreu qui l’incita à lancer Breitbart.com. Interrogé en 2010,  il avait qualifié Breitbart.com de  "Huffington Post de droite". Andrew Breitbart est décédé d’une crise cardiaque à 43 ans en 2012.

A la suite de ce décès subit,  Stephen Bannon, alors membre du conseil d’administration, devint le président exécutif du site. Tout en restant fidèle à la ligne éditoriale établie par Andrew Breitbart,  Bannon s’est attaché à faire de Breitbart la source d’information des jeunes conservateurs américains, les fameux "Millennials", la génération qui a grandi avec Internet, en ne s’informant que sur écran, qu’il s’agisse d’une télé, d’un PC, ou d’un smartphone. Pour ce faire il a défendu un nationalisme sans complexe, manié la provocation à outrance - Breitbart est un site gratuit qui ne tire ses revenus que de la publicité dont les tarifs sont proportionnels au nombre des visiteurs, d’où le besoin de susciter du trafic par une course incessante au sensationnalisme -,  dénoncé tous les autres médias américains comme des laquais de l’establishment, attaqué de front tous les dogmes du politiquement correct et donné la parole à des intervenants à la limite de la marginalité et totalement interdits d’antenne dans les grands médias. La stratégie a fonctionné. Breitbart, en juin 2016, se targuait d’être le premier site mondial d’information politique avec le plus grand nombre d’articles repris et partagés sur les réseaux sociaux…Neuf  millions de renvois en deux mois, soit deux millions de plus que le Huffington Post.  Ce succès, très relatif, car en termes de visiteurs Breitbart ne capte que 3% de l’audience américaine et n’apparait pas dans le top 15 des sites d’informations aux Etats-Unis, a néanmoins eu un prix, celui de l’image.

Le style du site est délibérément agressif, voire outrancier. Il s’agit de faire du "rentre-dedans", de dénoncer les grands médias ("mainstream media" en américain) comme les porte-voix du politiquement correct et de la pensée unique et de défendre sans complexe le point de vue et les intérêts américains. Il s’agit de dire haut et fort ce que les autres n’osent même pas suggérer. Il s’agit de manier la provocation, l’ironie, voire l'insulte. Vu de gauche, Breitbart est le porte-voix d’un "national-populisme" nauséabond.  Ses dirigeants, comme ses lecteurs, font lit commun avec les suprématistes blancs et autres neo-nazis… ! Toutefois, l’accusation repose moins sur le contenu propre du site que sur sa fréquentation. Comme tous les sites d’information sur Internet,  Breitbart fait une large place aux commentaires des internautes. Ceux-ci sont reproduits non censurés. D’où l’abondance de violences verbales, et autres propos extrémistes et intolérants. Une dérive qui n’est malheureusement pas la marque exclusive de Breitbart, mais au contraire l’apanage de beaucoup de sites d’information, y compris des sites progressistes, que les internautes ont tendance à prendre pour des défouloirs, heureux de  pouvoir se lâcher derrière l’anonymat d’un pseudo…

Âgé de 62 ans Steve Bannon n’a pas l’allure d’un conservateur classique. La mèche en bataille, le cou épais, une bonne vingtaine de kilos en trop, la couenne rougeaude et mal rasée, préférant les jeans et chemises au col ouvert au costume-cravate, il a l’allure négligée qu’on associe plutôt aux sympathisants de gauche. C’est son côté anti-establishment. Un côté qu’il n’a pas toujours cultivé.

Bannon est de souche irlandaise. Il passa son adolescence dans un internat catholique, avant d’entrer à l’université de Virginia Tech et d’obtenir une maitrise de relations internationales à l’université Georgetown de Washington. Engagé dans la marine il en sortit sept ans plus tard avec le grade de capitaine. Il reprit ses études, obtint un MBA à Harvard et se retrouva banquier pour Goldman Sachs. Il délaissa alors la côte est pour Hollywood, se fit producteur de cinéma et amassa une petite fortune à produire des films documentaires, dont l’un à la gloire de Ronald Reagan…

Interrogé sur ses modèles, il cite Michael Moore, le réalisateur de Farenheit 9/11, et Leni Riefenstahl, cinéaste au service du nazisme dans les années trente. Non qu’il partage les idées du premier, ou de la deuxième, mais parce qu’il reconnait leur talent de propagandiste. C’est d’ailleurs ce que la gauche et les radicaux américains lui reprochent le plus, sans le dire, d’avoir retourné leurs propres méthodes contre eux.

Dès le début de la campagne des primaires, Breitbart, que certains voyaient plus proche du conservateur Ted Cruz, également candidat à la présidence, prit fait et cause pour Donald Trump, lui offrant à de multiples reprises à la fois ses colonnes et son antenne (car Steve Bannon animait aussi un "talk show" quotidien à la radio). Ce ne fut donc pas une surprise quand, à la mi-août, il devint son directeur de campagne. La cote de Donald Trump était alors au plus bas. Il se perdait dans des polémiques inutiles et certains évoquaient publiquement une humiliation en novembre… Bannon est considéré comme l’artisan de la remontée et de la victoire de Trump. C’est notamment lui qui est à l’origine de la stratégie de reconquête des États de la ceinture de rouille américaine, avec un message alliant protectionnisme, promesse de renouveau économique et dénonciation de la corruption ambiante à Washington. Or ce sont les électeurs de ces Etats qui ont ouvert les portes de la Maison Blanche à Donald Trump.

Pour le clan des vaincus du 8 novembre, Stephen Bannon fait figure de bourreau. Imaginer qu’il influe sur la politique américaine pour les quatre années à venir est inacceptable. L’abattre au plus vite est donc, pour eux, une nécessité. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Ce n’est pas Donald Trump qui pourra les contredire. 

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